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généralement pas. A supposer même que l'extraterritorialité de l'acte juridique accompli fût une propriété du statut personnel, on pourrait répondre à cet argument ce que nous répondions plus haut au raisonnement des réalistes, qu'il constitue une pétition de principes, mais ici le vice est plus grave. Les jurisconsultes, en le faisant, ont confondu deux notions tout à fait distinctes, l'extraterritorialité du statut qui lui permet de s'imposer même au delà des limites de l'État de la législation duquel il fait partie, et cette propriété qu'a un acte conforme à la législation compétente de valoir partout.

La validité internationale d'un acte juridique ne se rattache nullement au statut personnel en particulier elle est la condition indispensable à l'établissement de toute communauté juridique fondée sur l'application harmonique des diverses lois positives. Il suffit qu'un acte soit internationalement valable pour qu'il ait ses effets en tout lieu : il y a équation exacte entre ces deux propositions, et en dehors d'une semblable équation aucun droit international privé ne pourrait exister. Le statut réel aussi bien que le personnel assure aux actes faits en conformité de ses dispositions la validité internationale et, si cet effet général est ici moins sensible, c'est uniquement parce que les droits acquis sur des immeubles sont, en vertu d'une loi de compétence juridictionnelle générale, appréciés par le tribunal de la situation de ces immeubles.

Les principes n'en existent pas moins et précisément l'exemple des lois sur la forme des actes leur donne une éclatante confirmation. Voilà des lois qui en vertu de l'assentiment général sont invocables sans distinction par toutes personnes, qui possèdent donc à ce point de vue la caractéristique du statut réel, et pourtant il n'est pas douteux que l'acte fait en conformité de la lex loci actus a une validité générale. Comment expliquer cette anomalie, si l'on n'admet pas que cet effet général est attaché non pas spécialement au statut personnel, mais à tout droit acquis en conformité des lois compétentes?

254) Les difficultés que suscite la règle locus regit actum ne sont guère moins nombreuses aujourd'hui qu'autrefois, elles sont un peu différentes, voilà tout. Si l'on ne peut pas prétendre les résoudre toutes, il est permis au moins de les limiter singulièrement en les soumettant à un examen attentif. Les lois sur la forme des actes présentent un caractère qui suffit à lui seul à expliquer les controverses de notre sujet. Elles n'ont pas d'individualité qui leur soit propre et il est radicalement impossible d'imaginer des règles juridiques qui leur soient applicables et qui ne soient applicables qu'à elles.

L'exigence d'une forme considérée en elle-mème est une précaution qui ne nous dit rien de sa nature et de son objet, car elle peut s'accommoder à des situations et à des buts sociaux fort divers. La forme peut être requise dans l'intérêt de l'auteur de l'acte ou dans l'intérêt des tiers; elle peut être exigée pour la validité de l'acte lui-même ou simplement en vue d'une meilleure administration de la justice. Dire qu'une loi concerne la forme d'un acte ne nous renseigne en aucune façon sur l'objet que poursuit cette loi, donc aussi cette indication ne nous fournit aucun renseignement utile sur la compétence de cette loi. Il faut donc procéder tout d'abord à des classifications et admettre des distinctions: si elles n'ont pas la vertu de nous fixer tout à fait sur le mérite de la règle locus regit actum, elles nous aideront du moins à en délimiter le domaine.

255) On oppose quelquefois les formes extrinsèques aux formes intrinsèques. A la vérité, les premières seulement sont des formes, les éléments improprement appelés formes intrinsèques n'étant autre chose que les conditions de fond de l'acte juridique. Il est à remarquer cependant que si l'on admet, avec Boullenois, que la lex loci actus donne l'existence à l'acte solennel, il sera logique d'emprunter à cette loi les conditions de fond de l'acte aussi bien que ses conditions de forme. N'est-ce pas à cela que revient la

doctrine d'après laquelle les contrats sont soumis à la loi du lieu où ils sont faits, même pour celles de leurs parties qui ne dépendent pas de la volonté des contractants? Cette extension pourtant n'est pas admise et, dans la doctrine commune, la règle locus regit actum est regardée comme se référant uniquement aux formes extrinsèques. Même dans ce domaine, elle est loin d'une application générale et certaines formes correspondant à un but social bien déterminé obéissent à la règle de compétence qu'implique l'existence de ce but social.

256) Il en est ainsi des formes habilitantes. Il est bien certain que ces formes ne sont imaginées que pour remédier à l'incapacité de la personne, qu'elles constituent pour elle une protection et que leur application dépend de la loi nationale de l'individu à protéger et non point du tout de la loi du lieu où l'acte est fait. La doctrine est à peu près unanime sur ce point qui laisse la jurisprudence incertaine. On ne conçoit pas qu'il puisse donner lieu à une incertitude quelconque. Nous avons précédemment donné pour exemple les formes exigées par notre loi française pour l'aliénation des biens fonds appartenant à des mineurs. N'est-il pas évident que ces formes ont dans l'incapacité du mineur leur unique raison d'être et qu'elles tendent à conférer à ce dernier un complément de protection? N'estil pas évident, par suite, que la loi qui décide de l'incapacité du mineur et des pouvoirs de son tuteur devra décider aussi des formes dont l'accomplissement pourra être nécessaire à tel ou tel acte intéressant son patrimoine? Pour penser autrement, il faut suivre aveuglément la doctrine. des anciens réalistes: elle ne possède aucun titre à une semblable confiance. Donc l'aliénation des immeubles appartenant en France à un mineur italien ne se fera pas nécessairement en justice et inversement un immeuble italien appartenant à un mineur français ne pourra être vendu que par le moyen d'une procédure judiciaire.

Ces principes sont assez nets pour être jugés certains:

ils soulèveront parfois une petite difficulté d'application que voici. Reprenons l'exemple du mineur français possédant des biens fonds en Italie. Ses immeubles ne peuvent être vendus que par-devant un tribunal. Mais de quel tribunal s'agit-il? Si le mineur est domicilié en France, on s'en remettra volontiers au tribunal de son domicile; s'il est en Italie, la question est un peu plus embarrassante. Observons que ce n'est pas positivement une question de droit, mais plutôt d'administration internationale de la justice (Rechtshilfe). Nous ne voyons aucune raison pour récuser la justice, soit française, soit italienne, et comme ici le débat ne paraît pouvoir porter que sur une question de commodité, nous dirons volontiers que, de préférence, le tribunal italien de la situation des immeubles devra être consulté ; ce n'est qu'autant que ce tribunal ne se considérerait pas comme compétent qu'il faudrait recourir à un tribunal français dont la désignation serait alors fort malaisée 1.

Ces solutions s'appliqueront à toutes les formes dont l'objet certain est de protéger l'auteur d'un acte juridique, par exemple à l'interdiction du testament conjonctif, à la nécessité de l'état descriptif dans la donation de choses mobilières et à toutes dispositions poursuivant le même but.

257) Une autre occasion de limitation nous est fournie par les formes intéressant le crédit public et établies pour la sécurité des tiers. Nous avons déjà traité de cette catégorie de lois dans un précédent chapitre aussi suffit-il de la mentionner ici, en notant qu'elle apporte une nouvelle limitation à l'empire de la règle locus regit actum 2.

1 Dernièrement un tribunal français voisin de la frontière franco-italienne a été requis d'accorder son homologation à un acte concernant un mineur français domicilié en Italie et ne possédant ni domicile d'origine ni biens dans le ressort de ce tribunal. J'ignore la solution que cette demande a reçue.

2 De Bar paraît bien faire allusion à cette catégorie de formes lorsqu'il présente la règle locus regit actum comme inapplicable en matière de

258) Nous arrivons ainsi à deux dernières classes de formes d'un intérêt direct pour notre sujet, les formes exigées pour les actes solennels et celles qui sont requises ad probationem. Il faut les distinguer l'une de l'autre, car ces deux séries de lois n'ont point le même but. Les actes solennels sont chez nous peu nombreux le mariage, l'adoption, la reconnaissance d'enfant naturel, l'émancipation, dans le droit des personnes; le contrat de mariage, la subrogation par la seule initiative du débiteur, la subrogation à l'hypothèque légale de la femme, le testament, la donation, dans le droit des biens, en épuisent à peu près la liste. Encore doit-on observer que la jurisprudence, en admettant la donation indirecte et la donation déguisée, a singulièrement altéré le caractère de solennité de cet acte. Les actes solennels sont ceux qui n'existent qu'autant que la volonté des parties a été revêtue des formes ordonnées par la loi. La forme est pour eux substantielle. Quel est l'objet des exigences de la loi? Cet objet est multiple. Il est certain que le désir d'augmenter la certitude des droits. résultant de ces actes et de contribuer par là au maintien du bon ordre dans la société n'a pas été étranger à l'exigence de la solennité, mais il paraît certain aussi que cela n'en a pas été le motif principal, au moins pour les actes authentiques. La présence d'un officier public à l'acte n'a pas seulement pour avantage d'assurer une expression plus correcte aux volontés des parties, elle sert surtout à

droit des choses (Sachenrecht) (Theorie und Praxis, t. I, pp. 615 et suiv.). Cette affirmation paraît cependant un peu absolue. N'est-il pas préférable de distinguer dans une translation de propriété, par exemple, les rapports des parties entre elles, auxquels rien n'empêche d'appliquer notre règle, de leurs rapports avec les tiers qui sont hors de son domaine et appartiennent bien certainement au ressort de la lex rei sitæ. En matière mobilière, il est vrai, ces deux points de vue tendent à se confondre, d'où cette conséquence que tout mode d'acquisition, parce qu'il intéresse les tiers, tombe sous l'empire de la lex rei sitæ. Mais en droit français au moins ce rapprochement ne va pas jusqu'à une véritable confusion et la comparaison des art. 1138 et 1141 c. civ. montre que la distinction peut encore être faite.

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