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d'obligations dérivant de la seule autorité de la loi, nous nous demanderons simplement quel est le but social des lois qui ont établi ces obligations.

Pour la gestion d'affaires il paraît très clair que le législateur, en accordant au gérant un recours mesuré sur l'utilité de sa gestion, a voulu protéger un propriétaire négligent ou empêché, en engageant les tiers à prendre soin de ses affaires à sa place. C'est une idée assez voisine de celle qui a présidé à l'institution des tutelles, et nous n'hésiterons pas à faire régir les conséquences de la gestion par la loi nationale du maître de l'affaire.

Un objet tout différent apparaît dans l'obligation de restituer l'indû. Il s'agit ici de faire prévaloir une idée de justice élémentaire et même, si l'accipiens est de mauvaise foi, de réprimer la fraude. Les lois qui visent à un semblable but sont, à notre avis des lois d'ordre public, et cela emporte comme conséquence l'application de la loi du territoire sur lequel le paiement indû a été effectué.

Ces solutions ne font, on le voit, aucune part à la volonté des intéressés et par là elles contribuent à enfermer la règle d'autonomie dans le domaine qui lui est propre.

CHAPITRE XVI

Des lois sur la forme des actes.

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251. Singularité de la règle locus regit actum; historique. 252. Son application primitive au testament; son extension. 253. Embarras des statutaires touchant son classement. Critique de leur doctrine. - 254. Difficultés actuelles de la règle; méthode pour délimiter son domaine. 255. Formes intrinsèques et formes extrinsèques. 256. Restriction en ce qui concerne les formes habilitantes. 257. Formes touchant le crédit public et la sécurité des tiers. 258. Formes exigées pour les actes solennels. 259. Solution transactionnelle. Critique. — 260. Question du mariage religieux des étrangers en France. 261. Formes exigées en vue de la preuve des actes. Explication de la compétence de la loi du lieu dans la doctrine de Savigny. 262. Recherche du but social de cette catégorie de lois. 263. Inapplicabilité de la lex fori, bien que rationnellement compétente. 264. Caractère obligatoire de la règle locus regit actum d'après la jurisprudence. 265. Son caractère facultatif pour la doctrine. Emploi de la loi nationale fondé sur un retour aux principes. 266. Critique de la jurisprudence. 267. La règle et l'intention frauduleuse des parties. 268. Rapprochement des lois sur l'admissibilité de la preuve et sur la forme des actes. 269. Administration de la preuve. Compétence de la lex fori. 270. Importance exceptionnelle de la preuve dans certains cas. Identité du droit et de la preuve. 271. Distinction entre les actes juridiques et les faits matériels. 272. Conclusion.

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251) Les lois touchant les formes des actes juridiques ont présenté cette singularité d'être de toutes, celles que

l'on avait le plus de peine à faire entrer dans les classifications générales imaginées par les jurisconsultes et, en même temps, celles dont le régime international a été le plus vite et le plus solidement établi. La règle locus regit actum, qui permet d'user des formes ordonnées par la loi du lieu où l'acte est fait, remonte, en effet, aux origines les plus éloignées de notre science. Ce n'est pas qu'elle n'ait été contestée en Italie et surtout en France où l'influence du statut réel était plus marquée; on ne s'en étonnera pas, si l'on songe qu'à une époque comme la nôtre, où son autorité est depuis longtemps reçue, les controverses abondent sur son sens et sur sa portée.

252) C'est au sujet du testament que nos anciens auteurs discutaient la question. Le testament est, dans bien des cas, un acte qui ne peut pas se remettre il est donc important qu'il puisse être valablement fait dans un lieu quelconque et que sa validité soit reconnue en quelque endroit que les biens du testateur soient situés. L'hypothèse faite par les bartolistes était celle d'un testament dicté par un étranger, à Venise, en présence de deux témoins, alors que d'après le droit commun i en aurait fallu sept. Ce testament était-il valable? était-il valable à Venise où il avait été fait, était-il valable même ailleurs, dans un lieu quelconque où les biens laissés par le testateur peuvent être situés?

Le premier de ces deux points ne fit pas de difficulté. Les magistrats de tous les pays ont une tendance accusée à considérer comme valables les actes faits conformes au statut propre à leur cité. C'est, au point de vue des principes, un tort véritable, mais qui, dans l'espèce, avait l'avantage d'aider à la reconnaissance de la loi internationalement compétente. On eut plus de peine à admettre que le testament, dont la forme avait satisfait aux lois du lieu dans lequel il avait été passé, était valable même en pays étranger, aux lieux de situation des biens du défunt. La doctrine italienne s'y résigna, à la vérité, d'assez bonne

grâce une fois admise la prééminence d'un statut particulier sur le droit commun, ce qui était pour elle le point délicat, il ne paraît pas qu'elle ait fait grande difficulté à admettre l'effet extraterritorial du testament dressé conformément à la règle locus regit actum. Il n'en fut pas de même pour la doctrine française, bien plus pénétrée que la précédente de respect pour la territorialité des lois immobilières. M. Lainé1 nous montre bien la réaction qui s'opéra à cet égard au xvire siècle et qui eut son expression la plus nette dans l'art. 13 de l'édit perpétuel de 1611, texte qui soumettait expressément à la loi de situation des biens la forme des actes juridiques les concernant. Cependant la convenance de la règle surpassa tous ces obstacles, et la doctrine comme la jurisprudence finirent par admettre comme incontestable la validité internationale du testament fait suivant les lois du lieu où se trouvait le testateur.

Inventée pour le testament, la règle locus regit actum fut étendue de là aux autres actes authentiques et même jusqu'aux actes sous seing privé, quoique moins certainement pour ces derniers.

253) Il ne suffisait pas aux jurisconsultes d'être tombés d'accord sur la règle à appliquer aux solennités des actes. juridiques; il fallait encore faire rentrer cette règle dans leurs classifications générales, et sur ce point leur embarras fut beaucoup plus grand. Pas, à la vérité, pour les postglossateurs: ils ne manquaient pas de textes romains pour colorer leur résolution, et celle-ci s'inspirait, en réalité, de la seule convenance de la solution proposée. Il en était autrement des statutaires. Enfermés dans leur distinction fondamentale des statuts réels et personnels, ils devaient à tout prix y faire une place à la règle locus

1 Lainé, Introduction, t. II, p. 360. Au temps de Waechter (Archiv, II, p. 383) la règle locus regit actum n'avait pas son application en matière immobilière d'après le droit commun allemand.

regit actum,, à peine de se la voir reprocher comme une inconséquence dangereuse pour leurs principes euxmêmes. La règle était-elle un statut réel ou un statut personnel? Elle n'était, en réalité, ni l'un ni l'autre, car on ne voit pas que l'on puisse la rapporter plus particulièrement à la personne ou aux biens. De là les avis se partagèrent. Certains rangeaient les formes dans le statut. réel, soit seulement lorsqu'elles concernent les immeubles, comme Burgundus et Rodenburgh (ce qui, logiquement, ne devait faire admettre la compétence de la lex loci actus que dans le cas où elle se confondait avec la lex rei sita), soit en général et sans restriction, comme Raviot et Boullenois 1. Cette sentence était difficile à justifier. Raviot, ne reculant pas devant une pétition de principes, allègue comme preuve que dans chaque pays ces statuts sont accessibles aux étrangers comme aux domiciliés. Boullenois, qui se range à ce parti après de longues hésitations, émet une idée plus générale empruntée à Burgundus les actes solennels seraient, par essence, de la compétence de la loi du lieu où ils sont faits. On sent dans ces raisons de purs prétextes, des moyens inventés pour colorer une solution que l'on sent nécessaire, mais dont on cherche en vain l'accord avec les principes.

D'autres (Bouhier, Prévot de la Jannés 2) travestissaient en statuts personnels les lois sur la forme des actes. Bouhier, pour expliquer son sentiment, essaye de faire du statut des formes une sorte de statut personnel de l'officier public chargé de dresser les contrats des particuliers, idée étrange à coup sûr et bien visiblement mise au jour pour les besoins de la cause; en outre il se réfère à cette circonstance que les actes ainsi faits sont reconnus partout pour valables. Cette dernière raison mérite qu'on y insiste, car elle renferme une erreur que l'on ne pénètre

1 Boullenois, Personnalité et réalité des lois, t. I, p. 496 (Observation XXIII).

2 Bouhier, Observations sur la coutume de Bourgogne, chap. XXIII, n° 81, et chap. XXVIII, n° 12.

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