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Dans les contrats particuliers, au contraire, on rencontrera un nombre beaucoup plus grand de dispositions ayant pour objet de limiter la liberté des contractants dans leur propre intérêt, de peur qu'une liberté plus grande n'aboutît à des résolutions prématurées ou funestes. Il est à remarquer que les dispositions de ce genre se rencontreront plus fréquentes dans les contrats où l'on peut craindre que l'une des parties n'abuse de son influence sur l'autre, ou encore lorsque le caractère désintéressé de son engagement rend un sujet plus digne de la protection de la loi. C'est ainsi que le droit des donations appartient presque en entier à cette catégorie et doit être assigné au domaine du statut personnel. De même les limitations de cet ordre nous apparaissent très nombreuses dans le contrat de mariage. L'irrévocabilité des conventions matrimoniales appartient à cette catégorie, car c'est bien pour protéger chacun des époux contre tout abus d'influence de la part de son conjoint qu'elle a été créée1. Dans la même

p. 1238; Com., Bordeaux, 27 avril 1891, Cl. 92, p. 1004: Tunis, 26 décembre 1898, Cl. 98, p. 557). Un point paraît complètement inadmissible, c'est que l'on puisse, avec Fœlix et Savigny, appliquer à cette matière le droit choisi par les parties (v. cep. Trib. d'Ilfov, 11 décembre 1895, Cl. 97, p. 879). La prescription appartient aux lois obligatoires, bien que la volonté des intéressés ne soit pas sans quelque influence sur son effet. Au delà tout est difficulté, car la prescription a un caractère mixte elle est à la fois une protection pour le débiteur et une loi de procédure. En principe, il me paraît raisonnable de la faire régir par la loi nationale du débiteur, sauf à admettre que le délai ne dépassera jamais la plus longue prescription organisée par la loi du tribunal saisi. Il faudrait peut-être créer un régime particulier pour les courtes prescriptions qui sont dues à des considérations de crédit public, ce serait alors la loi du lieu où la créance est née qui leur serait applicable (en ce sens Trib. sup. de Hambourg, 18 janvier 1896, Cl. 97, p. 593). Je n'avance ces solutions qu'avec une certaine hésitation.

1 Cette solution ne devrait pas faire l'objet d'un doute sérieux, telle est l'évidence des motifs qui l'ont fait admettre. Elle est cependant fort contestée et bien des opinions différentes se sont manifestées sur la question. Tantôt c'est à la forme que l'on rapporte la prescription des art. 1394 et 1395, code civil, tantôt à l'autonomie des parties, ou encore aux exigences de l'ordre public (cf. Despagnet, Précis, pp. 639 et suiv. Dans le sens de l'immutabilité, v. Chambre des lords, 15 décembre 1899,

catégorie rentreront les garanties organisées au profit de la femme, ce principe, par exemple, qu'obligée avec son mari elle n'est considérée que comme une caution, ou encore la règle qui lui interdit de renoncer à la communauté au cours du mariage. Nous y ferons aussi rentrer tout ce qui concerne l'inaliénabilité dotale, à la seule exception des lois posées pour garantir les tiers des inconvénients. attachés à cette inaliénabilité. Il s'agit ici, sans doute, de lois concernant principalement et même, d'après une certaine doctrine, exclusivement les immeubles elles n'en sont pas moins personnelles, à notre avis, étant relatives à la protection de la personne et non pas à la condition des immeubles.

Les divers bénéfices accordés à la caution sont, au point de vue international, de même nature. Au contraire, certaines dispositions dirigées vers la protection de la personne sont prises, en réalité, dans un but de police et doivent être appliquées aux étrangers sur le territoire où elles sont en vigueur. Il en est ainsi des lois ouvrières, toutes les fois où le législateur ne limite pas aux seuls nationaux le bénéfice des dispositions qu'il a édictées.

245) Notre but n'est pas ici de dresser un répertoire des questions internationales que la théorie des contrats peut soulever. Nous nous en tiendrons donc à ces exemples, rappelant que les limitations à l'autonomie, issues des exigences de l'ordre public, ont déjà été exami

nées 1.

Cependant un point particulier doit encore être examiné: c'est la famosissima quæstio à l'occasion de laquelle Dumoulin a édifié, le premier, la théorie de l'autonomie. Dumoulin, on le sait, consultant sur le régime auquel

Cl. 1902, p. 866; pour la personnalité, v. Trib. de la Seine, 29 mai 1901, Cl. 1902, p.361).

1 Voy. p. 443.

sont soumis des époux mariés sans contrat, faisait observer qu'il s'agissait là non pas d'un véritable statut, mais d'un pacte tacite de nature personnelle et devant, à ce titre, s'étendre à tous les biens des époux en quelque lieu qu'ils fussent situés. Il y avait dans cette façon d'envisager les choses une légère inexactitude, suivie d'une erreur certaine. L'erreur a été relevée, surtout par les auteurs les plus récents. On a dit avec raison qu'un pacte exprès ou tacite donne lieu à un régime juridique qui n'est ni personnel, ni réel, car personnalité et réalité sont encore deux faces de l'autorité de la loi, et ici le législateur abdique son autorité. Si le pacte, une fois conclu, étend partout son effet, c'est, ajoute-t-on, que la nécessité des choses le veut ainsi. Précisons et laissons de côté ce terme imprécis de nécessité des choses. Si les conventions régulièrement faites ont une portée universelle (sous réserve des droits de l'ordre public), c'est en vertu de ce principe que tout droit régulièrement acquis doit être internationalement respecté. Cela n'est pas spécial aux conventions, et cette propriété se rencontre également dans tous les droits dont l'origine a été régulière au point de vue international, dans tous les droits acquis conformément aux exigences des lois compétentes. Cette grande loi de la société. des nations sera étudiée ultérieurement.

Mais on rencontre aussi en la matière une légère inexactitude, qui n'est pas sans vicier singulièrement la théorie de Dumoulin dans son application à la détermination du régime matrimonial des époux mariés sans contrat. Que l'on se réfère purement et simplement à la volonté des parties dans les contrats non solennels où la volonté peut, par elle-même et sans l'enveloppe de formes déterminées, faire la loi, cela est naturel et logique. Il est logique aussi dans ce domaine de se référer à une volonté présumée, lorsque toute volonté exprimée fait défaut. Donc, dans les contrats ordinaires et sous le bénéfice des réserves déjà faites, la théorie de Dumoulin est très juste et doit être acceptée comme constituant la vérité juridique.

Mais ce cas n'est point le nôtre. Dans la plupart des pays, en France notamment, le contrat de mariage est un contrat solennel. L'intention des époux ne s'y fait obéir qu'autant qu'elle se produit sous une forme rigoureusement déterminée par la loi. Si cette forme n'est pas suivie, soit que les futurs époux n'aient pas fait de contrat, soit que leur acte souffre d'une nullité de forme, le législateur exerce son rôle de directeur et de maître. Il impose aux époux un régime dit de droit commun, chez nous le régime de communauté légale, alors même que l'adoption de ce régime est manifestement contraire à la volonté des époux, ce qui apparaît notamment dans le cas où, par un contrat déclaré nul depuis, les époux ont adopté un régime différent.

On aperçoit la contradiction flagrante qui s'élève entre le régime national, à ce point de vue, et le régime international. En droit intérieur, l'absence de contrat a pour conséquence l'application d'un régime imposé par la loi; en droit international, dans la doctrine de Dumoulin, cette mème circonstance ne supprime nullement le libre choix des époux, elle autorise seulement le juge à déduire des circonstances le sens dans lequel ce choix peut vraisemblablement s'être exercé.

Comment et pourquoi le droit de libre disposition des particuliers intéressés irait-il plus loin à l'un de ces points de vue qu'à l'autre ? Est-il impossible d'établir un régime international de droit commun? En aucune façon. La loi nationale du mari remplirait d'autant mieux cet office que cette loi régit déjà les rapports personnels des époux. Il serait bon à tous égards qu'elle régît également leurs rapports pécuniaires, et cette solution n'aurait pas l'inconvénient de consacrer à leur profit une liberté qui manque véritablement de base, puisqu'elle n'existe pas dans les lois positives auxquelles ils sont, pour le reste,

soumis.

246) Un rapprochement intéressant peut être fait, à

notre point de vue, entre le contrat de mariage et le testament. Le testament, acte simplement unilatéral, est très voisin, par sa nature juridique, du contrat de mariage. Ici encore la liberté de tester, dans la mesure plus ou moins grande où elle existe, n'est reconnue par la loi qu'exprimée sous certaines formes, formes substantielles également quoique plus larges et pouvant être, au gré du testateur, ou authentiques ou olographes. Si un testament régulier n'a pas été fait, l'ordre légal s'impose dans la distribution des biens du défunt aux héritiers, quelles qu'aient pu être les intentions du premier. Il n'en est pas autrement en matière de régime matrimonial.

Par une dissidence vraiment fort bizarre, jamais l'application du principe d'autonomie n'a été faite aux successions, jamais personne n'a prétendu qu'il y eût là une pure question d'intention à trancher d'après des inductions tirées de la volonté probable du défunt. Bien au contraire, pendant longtemps la théorie s'est attardée, en compagnie de la pratique, dans la distinction surannée de la succession mobilière et de la succession immobilière. Elle tend maintenant à s'en affranchir (et les résolutions adoptées à La Haye lui seront d'un secours précieux), mais ce n'est nullement pour tenter une évolution semblable à celle que Dumoulin a accomplie, c'est pour restituer à la loi nationale sa légitime autorité. On voit que deux questions fort rapprochées l'une de l'autre eurent des fortunes très différentes, sans que l'on puisse en donner de bonnes raisons, simplement peut-être par le hasard de l'orientation prise par les jurisconsultes, peut-être encore parce que la question des successions n'a pas rencontré son Dumoulin.

Mais cette comparaison ne suffit-elle pas à faire douter de la solidité de la doctrine commune touchant le régime des époux mariés sans contrat, et à montrer qu'il y a eu en elle quelque chose d'irrationnel et de hasardeux ? Je dirai volontiers que c'est une solution de consultation et non une vraie décision de doctrine. Si l'on croit avec nous que

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