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Toutes les fois qu'un législateur décide que ses ressortissants ne pourront pas faire un certain contrat ou qu'ils ne pourront le faire que sous certaines conditions ou avec certaines restrictions, il statue sur un point particulier rentrant dans la question de savoir dans quelle mesure existe, au profit des particuliers, le principe de l'autonomie de la volonté. Personne n'est plus qualifié, ni mieux placé que le législateur national pour résoudre une semblable question.

240) Il faut convenir que cette solution n'a eu, jusqu'ici, l'adhésion ni de la pratique, ni de la doctrine. La jurisprudence n'hésite pas à consacrer la vertu du principe d'autonomie bien au delà du cadre tracé par la loi intérieure à la volonté des parties. La doctrine, elle, ne tombe pas toujours dans cette erreur. Ceux de ses représentants qui n'ont pas pris le parti plus prudent de fuir ces dangereuses questions ont préféré, comme on l'a vu, se rallier à la doctrine du statut de l'acte juridique qui a le mérite de leur laisser une liberté plus grande. Il n'est pas téméraire d'affirmer que cette voie les conduit à une inextricable confusion. Sous le nom de statut du fait juridique on peut également faire prévaloir quantité de statuts différents. Loi nationale, loi du domicile, lois du lieu de formation du contrat ou du lieu de son exécution, loi de la situation de l'objet, lex fori, il n'en est aucune qui ne puisse, à l'occasion, être qualifiée du nom de statut du fait juridique. Le tout est de choisir entre elles, et l'examen des doctrines issues de ce système montre suffisamment que nulle règle fixe ne saurait présider à ce choix 1.

1 C'est ce que met hors de doute l'examen des doctrines de Brocher (Droit civil, t. II, pp. 63 et suiv.) et de Rolin (Principes, t. II, pp. 465 et suiv.). Il faut remarquer à ce sujet que Brocher n'appuie sa préférence pour la loi du lieu où l'acte est fait, que sur des raisons de pure convenance et sur les inconvénients pratiques que soulèverait l'application de toute autre loi. Cela n'est pas d'une saine méthode, car la question est ici encore de savoir quel est l'État qui a le droit d'étendre sa souve

Il est donc permis de penser que le grand intérêt de la sûreté du droit milite ici en faveur du respect des principes. C'est bien un intérêt pratique, susceptible d'être mis en balance avec les intérêts du même ordre dont se recommande l'opinion opposée.

241) Il convient de résumer notre doctrine et d'indiquer quelles sont les lois compétentes en matière de contrats. Plusieurs aspects sont à distinguer ici, et le soin de séparer parmi les dispositions législatives celles qui appartiennent à l'une des catégories de celles qui rentrent dans les autres n'est pas une des moindres difficultés de la matière.

Tout d'abord les contrats sont soumis à la volonté des parties contractantes. Dans la mesure où leur liberté existe, les parties font elles-mêmes la loi de leur contrat, choisissant entre les lois interprétatives écrites celle qui s'accommode le mieux à leurs intérêts ou fabriquant de toutes pièces, si elles le préfèrent, les dispositions qui serviront de réglementation à leurs intérêts. Mais cette liberté n'existe (on ne saurait trop le répéter) que dans la mesure où elle ne se heurte pas à des lois obligatoires compétentes dans le cas particulier dont il s'agit.

L'appréciation de cette liberté impliquera fréquemment le point de savoir si une certaine loi est facultative ou obligatoire, question que la jurisprudence intérieure de chaque État servira à décider. Nous observerons que l'on doit ranger parmi les lois interprétatives, non seulement celles qui réservent formellement l'action de la volonté des parties, mais toutes celles auxquelles dans l'opinion. commune on peut déroger. La loi n'est, dans ce cas, qu'un modèle de convention écrit par le législateur pour aider les parties contractantes et non pas pour les contraindre. Les dispositions de ce genre sont les plus nom

raineté aux rapports de cet ordre. De simples motifs de convenance ne peuvent évidemment pas décider d'une question semblable.

breuses de toutes en matière d'obligations. Nous citerons, à titre d'exemple, la matière des dommages-intérêts dus en cas d'inexécution (réserve faite de l'influence de dol et de la faute lourde), la condition résolutoire tacite consacrée chez nous par l'art. 1184 du code civil, la clause pénale, la garantie dans la vente (sauf peut-être la garantie du fait personnel), les droits du locataire envers le bailleur1 et réciproquement, etc., etc. Il serait ridicule de vouloir tenter ici une énumération, mais on peut dire qu'en général ce qui concerne l'effet des obligations entre les parties contractantes appartient à ce domaine, alors que, au contraire, ce qui est relatif à la formation du contrat ou à son effet à l'égard des tiers tombe plus ordinairement dans le ressort des lois obligatoires.

242) La seconde catégorie des lois à mentionner embrasse les règles relatives à la forme du contrat. Nous aurons à en dire quelques mots plus loin.

243) Une troisième et très importante catégorie comprend les lois d'ordre public. Elles ont été étudiées séparément. Il est utile cependant de faire encore une observation à cet égard. Les lois d'ordre public sont, en matière de contrat, beaucoup plus nombreuses que l'on ne s'en douterait en consultant les ouvrages des publicistes. Ceuxci ont été surtout attirés par les limitations que des raisons d'ordre politique ou moral peuvent commander et leur ont emprunté les exemples qu'ils donnent de semblables. limitations. Ce serait une grosse erreur de croire que l'influence de l'ordre public se borne ici à proscrire les prêts usuraires ou les pactes sur succession future ou peut-être encore les associations entre contrebandiers

Au contraire, les droits du locataire à l'égard des tiers tombent sous le coup de la loi territoriale compétente, qui est sans doute la loi de la situation du bien loué.

formées au détriment d'un État étranger. En dehors de ces exemples et de tous ceux qui leur sont plus ou moins. analogues, certaines matières sont tout entières dominées par la considération de l'ordre public. Nous citerons comme applications certaines matières relatives à l'exécution des obligations (le terme de grâce, par exemple, ou encore le choix de la monnaie au moyen de laquelle le paiement doit être fait) et surtout les lois obligatoires émises dans l'intérêt du crédit public. Celles-ci, en particulier, sont très nombreuses et comprennent notamment l'effet des conventions sur la propriété mobilière ou immobilière en tant que cet effet est opposable aux tiers, les modes de libération indépendants de l'acquittement de l'obligation, tant par rapport au débiteur principal qu'à ses coobligés ou cautions 2 (remise du titre, certaines prescriptions extinctives, les modes de libération propres à la caution) et aussi les questions intéressant directement

1 On connaît la question très discutée de la validité des contrats relatifs à la contrebande, lorsqu'elle doit être pratiquée au détriment d'un État étranger. Chez nous, une jurisprudence déjà ancienne les a consacrés (Pau, 11 juillet 1834, S., 1835-1-673). Elle est fort attaquée par la doctrine et rejetée, à ce qu'il semble, en Allemagne (Oberlandesgericht de Stuttgard, 25 septembre 1891, Cl. 1894, p. 896). Cette dernière opinion, la meilleure, sans aucun doute, est généralement justifiée par des considérations de moralité. Ne serait-il pas plus simple et plus topique de la baser sur le respect que doivent mutuellement les États à leur souveraineté respective ?

2 A ce sujet appartient une question fort importante et fort discutée de droit maritime quelle est la portée internationale de la règle de l'article 217, code com., autorisant le propriétaire du navire à se libérer de toute responsabilité à raison des actes du capitaine par l'abandon du navire et du fret (on sait qu'il y a opposition sur ce point entre la législation anglaise et la nôtre). Notre savant collègue, M. Lyon-Caen, voudrait appliquer la loi du pavillon (Études de dr. int privé maritime préc., et note sous Cass., 18 juillet 1895, S., 95-1-305), parce que c'est à cette loi que les intéressés se sont vraisemblablement référés. Cette raison nous toucherait s'il s'agissait d'une règle de droit qu'il fût loisible aux parties d'accepter ou de rejeter à leur gré. Mais il n'en est pas ainsi. Cette loi est rigoureusement obligatoire, et comme elle concerne un mode exceptionnel de libération, la jurisprudence française a raison de trancher le conflit par l'application de la lex fori. Cette solution est également admise par la jurisprudence anglaise (Dicey, Digest, pp. 663 et suiv.).

le crédit public, comme celle du cours forcé donné parfois à la monnaie fiduciaire. Toutes les lois de cet ordre sont territoriales. Nous avons examiné dans le chapitre précédent les difficultés que peut rencontrer dans ce domaine la recherche de la loi compétente.

244) Enfin, en dernier lieu, viennent les lois obligatoires écrites dans l'intérêt particulier et pour la protection des parties contractantes, lois que nous considérons comme soumises au principe international de la compétence de la loi nationale.

A quelles lois s'applique ce principe de compétence?

Il paraît très difficile de donner de cette catégorie une définition ou même une simple idée générale. Si cela était absolument nécessaire, on pourrait dire que l'on trouve surtout dans cette classe les lois concernant les conditions sous lesquelles le consentement des parties sera réputé obligatoire. Dans la théorie générale des obligations nous rencontrons aussi la matière des vices du consentement (très discutée, comme on sait, au point de vue de la compétence internationale des lois) et, en outre, quelques dispositions éparses, la définition de la condition potestative et de son effet (code civil français, art. 1170 . et 1174), le principe que la solidarité ne se présume pas (code civil français, art. 1202), peut-être aussi le principe que le terme est censé stipulé au profit du débiteur (art. 1187). Il ne semble pas que la loi nationale des parties puisse revendiquer bien autre chose dans la théorie générale des obligations 1.

1 La prescription libératoire peut-elle rentrer dans le domaine du statut personnel ou, plus généralement, quelle est la loi compétente à son égard? C'est encore une famosissima quæstio à laquelle toutes les réponses possibles (ou à peu près) ont été successivement faites (v. Vincent et Pénaud, Dictionnaire, v° Prescription libératoire, et Cl. 1903, p. 138). La jurisprudence française hésite entre la loi du domicile du débiteur (Cass, 13 janvier 1869, S., 69-1-49; Trib. Seine, 28 novembre 1891, Cl. 92, p. 712) et la loi du lieu de formation ou d'exécution du contrat Trib. Seine, 19 février 1889, Cl. 89, p. 621; Tunis, 15 juin 1891, Cl. 91,

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