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l'idée de la puissance du consentement dans les contrats, car les fragments cités sont tout autant d'applications de cette idée, mais ils la consacraient par une voie indirecte, au nom de l'autorité du droit romain. On notera cependant une tentative d'explication fort originale chez Paul de Castres. Cet auteur fonde la compétence de la loi du lieu de formation du contrat sur cette idée que le contrat, comme une personne, a un statut qui lui est propre, le statut du lieu de son origine. On retrouve dans la pratique anglaise, en matière de capacité contractuelle, des vestiges certains de cette conception. Il appartint à Dumoulin de dégager en cette matière les vrais principes. Dumoulin s'est attaqué, à deux reprises, à la question de la loi compétente dans les contrats, d'abord dans son célèbre Consilium LIII, à l'occasion de la communauté des époux de Ganey, ensuite, et beaucoup plus tard, dans sa théorie générale. Dans la première occasion, le jurisconsulte s'appliquait à démontrer que la communauté existant entre époux domiciliés en pays coutume s'étendait même aux biens situés dans le ressort du droit écrit et, pour y parvenir, il alléguait que la communauté mème coutumière est établie en vertu du consentement tacite des époux. La coutume, dans un contrat, n'intervient pas comme loi publique, mais comme loi privée et voulue, elle doit donc échapper à la règle stricte de la territorialité.

Toute cette argumentation visait à établir que la communauté coutumière concerne la personne plutôt que les biens et que, personnelle dans son objet, elle devait être. aussi personnelle dans ses effets.

Plus tard, dans son Commentaire sur le Code, Dumoulin reprend la question: arrivé aux questions concernant le fond du droit (quæ meritum scilicet causæ vel decisionem concernunt) il distingue ce qui dépend de la volonté des parties (aut statutum loquitur de his quæ pendent a voluntate partium vel per eas immutari possunt... aut disponit in his quæ non pendent a voluntate partium sed a sola potestate legis) de ce qui excède cette vo

lonté. A l'occasion des lois de la première espèce il observe qu'elles soulèvent une question de fait plutôt que de droit, les difficultés que ces lois suscitent devant logiquement être tranchées par la seule considération de l'intention des intéressés.

225) Tel fut le fondement de cette célèbre doctrine qui nous fut livrée d'abord dans un grand appareil de lois romaines sans lequel un jurisconsulte, à l'époque de Dumoulin, n'aurait pas osé proposer ses opinions, mais qui tire toute sa force de l'analyse qu'elle contient de la nature des lois interprétatives. Les principes posés par Dumoulin n'obtinrent pas, tout d'abord, le succès dont ils étaient dignes et qu'ils devaient rencontrer dans une doctrine plus récente. Les jurisconsultes statutaires, contemporains ou successeurs de Dumoulin, en virent d'abord les dangers et, sans donner grande attention aux lignes générales de la théorie, s'appliquèrent de préférence à combattre et à réfuter la solution proposée touchant le caractère de la communauté coutumière. Cette solution, en effet, contrariait les idées les plus solidement établies touchant la portée du statut de communauté, elle était contraire à la jurisprudence des parlements, qui lui cédèrent parfois, mais sans jamais s'y rallier d'une façon ferme et indiscutée.

On ne s'étonnera pas de voir ici encore d'Argentré 2 à la tête des adversaires de Dumoulin, et l'on ne sera pas surpris non plus de constater que, jusqu'à Bouhier et à Pothier au moins, l'influence du jurisconsulte breton demeura prépondérante 3.

1 Dumoulin (Opera, t. III, pp. 554 et 556).

2 D'Argentré, Commentaire. Des Donations, art. 218, Glose 6, no 33 et suiv. 3 Si nous considérons les trois jurisconsultes dont les œuvres traduisent le mieux l'état de la théorie des statuts au XVIIIe siècle, nous constatons qu'à cette époque la théorie de Dumoulin n'avait point encore définitivement triomphé. Froland (Mémoires...., t. I, p. 197) dit fort bien, au sujet de la communauté coutumière, que ce n'est point l'intention des parties qui doit fixer la résolution du magistrat, mais bien ce qui est en leur pouvoir, notamment s'il leur a été permis de renverser les sacrées dispositions de nos coutumes, et plus loin (t. I, p. 321) il se refuse à discuter

Quelle est la valeur théorique de la doctrine de Dumoulin? Il a été longtemps d'usage de l'accepter les yeux fermés, parce qu'elle paraissait juste et surtout parce qu'elle est fort commode: dans ces dernières années seulement cette doctrine a été soumise à une critique attentive qui lui a fait perdre une part de son crédit . Il faut, du reste, distinguer soigneusement, dans cette théorie, deux points, la doctrine générale exposée au sujet de la constitution Cunctos populos et la solution particulière donnée par le Consilium LIII à la question de la communauté conjugale.

226) La question générale nous occupera d'abord. Dumoulin ne se préoccupe pas de justifier son principe. Il admet comme évident que dans les choses qui dépendent de la volonté, l'intention des parties doit seule être consultée, ce qui ramène le problème à une question de fait. Il s'agit là, d'après lui, moins de donner autorité à une coutume ou à un statut, que de reconnaître la force d'un

les opinions proposées à ce sujet, tenant pour incontestable la compétence de la coutume de la situation des biens. Même solution pour le douaire (t. I, p. 520) et (moins affirmativement cependant) pour le don mutuel (t. II, p. 863). Bouhier et Boullenois se montrent plus favorables aux doctrines nouvelles. Le premier (Observations, t. I, ch. XXI, n** 190 et 193) reconnaît la prépondérance du consentement en matière de contrat, comme il l'a déjà reconnue en matière de communauté coutumière (id., n° 18 et 23), mais il ne va pas jusqu'à l'appliquer à la prescription extinctive qui demeure soumise à la distinction traditionnelle des statuts (id., chap. xxxv, n° 3). Le second est celui qui a défendu, à ce qu'il semble, de la façon la plus ferme la doctrine de Dumoulin. En matière de contrats en général, de communauté coutumière, de douaire, de donations, il ne faut pas donner compétence à une loi déterminée, mais consulter toujours l'intention des contractants. Le jurisconsulte ne fait exception que pour le cas où l'intention des parties se heurterait à une coutume prohibitive. Cette exception était, on le sait, déjà admise par Dumoulin (Boullenois, Traité de la personnalité et de la réalité, t. II, tit. IV, ch. II, pp. 494 et suiv.).

Il faut signaler surtout l'intéressant article publié à ce sujet par notre collègue M. Aubry dans le Journal de droit international privé (1896, pp. 465 et 721). Nous avons nous-même, dans une précédente étude, critiqué la doctrine de Dumoulin (Cl. 1894, pp. 941 et suiv.).

pacte tacite, base unique du droit des parties. Cela est juste, mais encore cela ne nous dit pas dans quelle mesure il est légitime de s'inspirer de l'intention des parties. Fautil résoudre à l'aide d'inductions de cette sorte toutes les questions qui s'élèvent en matière de contrats ou seulement certaines d'entre elles? C'est sur ce point que le vice de cette doctrine s'est révélé. Conçue en termes trop généraux elle a poussé la jurisprudence et une part considérable de la doctrine à soumettre à la volonté des parties toutes les questions du domaine des contrats qui ne concernent pas la capacité des parties et n'intéressent pas l'ordre public international. Ces deux restrictions sont les seules qu'admette ce parti à la règle posée par Dumoulin. Tout le reste se trouve soumis à l'empire de la volonté exprimée ou présumée des contractants. Et ce reste comprend nombre de dispositions légales d'un caractère obligatoire, lesquelles se trouvent, gràce à l'application de cette méthode, dépouillées de ce caractère dans les rapports internationaux. C'est ainsi que la volonté des parties exerce une influence prépondérante en matière de vices du consentement, de prescription libératoire, d'irrévocabilité des conventions matrimoniales, et sur quantité d'autres points de droit que le législateur a jugé bon de soustraire à l'action de la volonté des intéressés.

Ce résultat, notons-le immédiatement, est imputable bien moins à Dumoulin lui-même qu'à ses disciples, surtout à ses disciples de l'époque la plus voisine de nous et plus encore peut-être à Savigny qui, dans sa doctrine, a fait une part évidemment exagérée à l'influence de la volonté des parties. Les exemples donnés par le grand jurisconsulte français sont, en effet, fort corrects. Qu'il s'agisse d'un fonds vendu à tant la mesure ou d'un certain nombre d'arpents légués par un testateur, ou de fidejusseurs tenus de la garantie d'éviction, ou encore de l'étendue des droits. des parties, le jurisconsulte ne fait jamais application de

1 Cf. Cass., 24 janvier 1899, Cl. 1901, p. 998.

son principe qu'à des matières qui dépendent effectivement de la volonté des intéressés et qu'il est juste, par suite, de régler conformément à cette volonté. Mais on est allé beaucoup plus loin depuis, jusqu'à faire de la loi d'autonomie le grand remède que, sauf les deux exceptions cidessus mentionnées, on applique à tous les cas de conflit qui se présentent.

227) Celte extension, considérée au point de vue des principes, est certainement illégitime. Elle ne constitue, à la vérité, qu'un simple expédient impossible à justifier en raison et que l'on ne devrait se résigner à admettre qu'autant qu'en fait il serait impossible de s'en passer. On n'aperçoit pas, lorsque, dans un but de simplicité et pour se délivrer de questions gênantes, on se rapporte à la volonté des parties du choix à faire entre plusieurs lois obligatoires, que par ce détour on aboutit simplement à dépouiller ces lois de leur caractère de lois. Ces lois ont été faites par le législateur qui les a portées, impératives ou prohibitives. Il a entendu les investir d'une force certaine, opposable à toute volonté contraire des intéressés, et voici qu'en autorisant les particuliers à choisir entre elles, à leur fantaisie, on leur permet de se soustraire à une prohibition jugée gênante, d'esquiver l'effet d'un commandement déplaisant, bref, de se soustraire à l'empire du législateur. Pourquoi admettre cette faculté dans le commerce international, alors qu'elle n'existe pas dans les rapports des citoyens entre eux? Il n'existe à cette différenciation aucune raison; bien plus, elle est contradictoire à l'objet du droit international.

Il faut lire les excellentes observations présentées sur ce point par Charles Brocher (Théorie du droit international privé, 3° art., R. D. 1., 1872, pp. 189 et suiv.) et aussi la critique de de Bar (Theorie und Praxis, t. II, pp. 3 et suiv.). Cet auteur remarque fort justement qu'avant de se demander ce que les parties ont voulu, il faut savoir ce qu'elles ont pu vouloir, et ceci ne dépend pas d'elles-mêmes, mais de la loi qui régit en elles la faculté de s'obliger. V. également sur ce point Waechter, Archiv, t. II, pp. 35 et suiv.

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