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souverain. Elle ne souffre d'exceptions que dans les cas où les nations civilisées s'unissent en une sorte de croisade destinée à faire prévaloir en tout lieu certains principes jugés par elles nécessaires au bien de l'humanité, comme la suppression de la traite ou la liberté des cultes. Encore ont-elles soin, en pareil cas, de se lier par des conventions expresses 1.

1

Il est permis dès lors de regarder comme vaine et comme dépourvue de sens juridique toute tentative de distinction. entre un ordre public général commun à toutes les nations civilisées et un autre ordre public particulier à chaque État. Qu'il soit possible de classer les législations à ce point de vue, de marquer leurs analogies et leurs différences, cela ne fait pas doute, mais cette recherche est de pure curiosité scientifique encore qu'elle aboutisse à établir le fait de la réception d'un certain nombre de règles d'ordre public chez toutes les nations civilisées, elle ne peut rien changer aux principes, elle ne saurait, en particulier, donner à un État le pouvoir de réprimer les atteintes portées aux dites règles par les actes des particuliers en pays étranger, si le législateur de ce pays ne considère pas ces mêmes actes comme incompatibles avec son propre ordre public. Lors même qu'il s'agirait de pratiques considérées par nous comme scandaleuses ou inhumaines, nous n'avons pas le droit d'intervenir, si nous n'y sommes autorisés par les

Telle est la distinction proposée par Despagnet entre l'ordre public objectif et l'ordre public subjectif (Cl. 1889, pp. 216 et suiv.). Si notre savant collègue entend par là (comme cela nous paraît être) qu'un acte contraire à l'ordre public objectif ne saurait produire aucun effet utile sur le territoire d'aucun État civilisé, il émet une proposition évidemment insoutenable. La polygamie, qu'il prend pour exemple de lois de cette sorte, produira sans aucun doute cet effet que la légitimité des enfants issus de l'union polygamique sera reconnue. Pourquoi la contesterait-on même chez nous si, du reste, le multiple mariage du père était valable d'après les lois compétentes, et en quoi cette légitimité peut-elle troubler notre ordre public? On trouve également la trace de cette distinction dans Lyon-Caen, note, sous Cass., 12 juin 1894, S., 95-1-161, et dans un jugement de Tunis, 27 décembre 1897, Cl. 98, p. 358.

termes d'une convention diplomatique antérieurement conclue 1.

Toute autre conception du rôle des nations les unes à l'égard des autres nous paraît contenir une erreur fondamentale. Le droit international ne peut intervenir ici que dans les deux sens que voici :

x) I autorise certainement l'État à refuser toute autorité sur son territoire aux actes passés en pays étranger, conformément à l'ordre public local, si les conséquences que l'on prétend tirer de ces actes sont contraires à l'ordre public de cet État.

3) Il oblige chaque État à considérer comme de nul effet les actes contraires à l'ordre public du pays dans lequel ils ont été faits, alors même que rien, dans lesdits actes, ne heurterait l'ordre public du territoire sur lequel on les invoque. Ce point sera plus complètement examiné au début du prochain chapitre.

201) 3o Un dernier caractère des lois d'ordre public mérite d'être relevé dans cette étude. C'est sa mobilité ou, autrement dit, son actualité. Dans chaque État le souverain est tenu de maintenir l'ordre. Cette tâche peut devenir plus ou moins lourde suivant les circonstances un législateur prudent aura soin de resserrer ou de relâcher les entraves mises à ce titre à la liberté des particuliers en proportion des besoins dont il aura vérifié l'existence. Il en est de

1 C'est sous cette forme, en effet, que se révélera l'action combinée des Puissances civilisées lorsqu'elles auront résolu de purger le monde de quelque fléau. Ainsi les traités nombreux conclus contre la pratique de la traite des nègres. Le problème, plus moderne mais tout aussi grave, de la suppression de la traite des blanches est d'un caractère juridique différent. Il s'agit moins de police générale que de perfectionnement des diverses polices locales par l'adoption de mesures communes. Dans les régions qui échappent à toute souveraineté, comme la haute mer, chacun fait sa police sur les siens et tous s'arrogent le droit de poursuivre les pirates. La piraterie nous offre l'exemple d'un crime contre la communauté internationale, et sa répression le type probablement unique d'une loi d'ordre public vraiment universel.

même de toutes les lois, mais ici ce caractère a une portée particulière. Les lois d'ordre public dénotent la présence d'un besoin actuel, et il ne saurait y avoir contre elles de droits acquis. Ce principe est reconnu en droit intérieur, il est tout aussi juste en droit international et nous noterons ici un point de rencontre entre la théorie de la non-rétroactivité et la théorie du droit international privé. Cette analogie indiscutable, mais qui a été parfois exagérée, sera examinée de plus près lorsque nous traiterons des droits acquis.

CHAPITRE XIV

De la territorialité des lois d'ordre public.

gent.

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202. De la détermination de la loi d'ordre public compétente. 203. Aspect moderne du problème. 204. Nécessité de le résoudre. 205. Méthode à suivre; considération du but social de chaque loi. 206. Lois pénales; lois de procédure. 207. Lois relatives à la propriété immobilière, mobilière, littéraire ou industrielle. 208. Créances. 209. Lois de publicité concernant les immeubles, les créances, l'état des personnes. 210. Vente des navires; hypothèque maritime. 211. Lois prohibitives concernant les intérêts économiques. - 212. Les intérêts des prêts d'ar213. Lois sur la responsabilité délictuelle et contractuelle. 214. Lois morales. 215. Avantages de notre conception du droit international privé. 216. Autorité internationale du principe de la territorialité des lois d'ordre public. 217. Conséquences de ce principe; effet réflexe de la territorialité des lois d'ordre public. 218. Nullité des rapports de droit établis en violation des règles d'ordre public de la loi compétente. - 219. Leur validité dans le cas inverse. Restriction à cette dernière conséquence. 220. Exemples; instances en exequatur; nationalité. 221. Conflits entre lois d'ordre public d'États différents. Essai partiel de solution. sion.

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222. Conclu

202) Les lois d'ordre public sont territoriales. Cet axiome paraît contenir la formule complète de l'effet international des lois d'ordre public: en réalité il exprime une vérité qui est loin de suffire à elle seule à la solution. des problèmes que comporte cette difficile matière. Le

sens de ce principe est celui-ci. Une loi étant reconnue d'ordre public doit s'appliquer, à l'exclusion de toute autre, sur le territoire soumis à l'empire du législateur qui l'a édictée. L'empire de cette loi est absolu, il n'y a pas pour elle d'étrangers et de nationaux, elle n'a sur son territoire que des sujets. Mais ce principe, s'il définit l'effet des lois d'ordre public, ne dit rien de leur compétence, et ne fournit nullement la règle à l'aide de laquelle on saura si un rapport de droit donné tombe ou ne tombe pas sous l'empire d'une loi d'ordre public d'un État déterminé. C'est quelque chose de savoir qu'une loi est d'ordre public et par conséquent territoriale, mais encore cela ne suffit-il pas à nous apprendre quels rapports de droit sont soumis. à son empire.

Les lois pénales sont des lois d'ordre public, personne n'en doute, pourtant à lui seul ce principe ne suffit pas à nous montrer quels crimes et quels délits rendent leur auteur passible des peines portées par les lois françaises. Il en est ainsi de toutes les catégories de lois d'ordre public. L'énoncé de leur territorialité ne détermine pas les limites de leur compétence. Or cette question, un peu délaissée (quoique bien à tort), est sans doute la plus difficile de toute la matière 1.

Depuis que ces pages ont été écrites, M. Aubry a très nettement dégagé cette difficulté dans son étude sur la notion de territorialité en droit international privé (Cl. 1900, pp. 689 et suiv.). Notre savant collègue a bien montré qu'en admettant que la nature d'un rapport de droit commande l'application de la loi territoriale, cette loi ne se trouve pas déterminée par ce seul fait. De quelle loi territoriale s'agit-il ? Le présent chapitre a précisément pour objet de répondre à cette question. Plus loin, le même auteur (Cl. 1901, pp. 255 et suiv.) paraît identifier la notion d'ordre public et l'application de la lex fori. Nous nous séparons complètement de lui sur ce point. La considération de l'ordre public peut rendre compétente soit la loi du lieu de l'acte, soit celle de la situation des biens, soit celle du for, soit d'autres encore. Tout dépend du but de la loi et de la relation qu'il a avec l'ordre public de l'un ou de l'autre de ces territoires. Parlant de l'exception de jeu, M. Aubry dit que nous la considérerions à la fois comme territoriale et extraterritoriale. C'est, de sa part, une supposition mal fondée. La prohibition du jeu est territoriale et la loi compétente est celle du lieu où l'acte de jeu a lieu.

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