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conséquent territoriale 1. Et cela est tout aussi vrai des dispositions accessoirement prises par le législateur que de l'objet direct de cette institution. Donc les pouvoirs des syndics, le dessaisissement, le concordat, les incapacités sont eux-mêmes territoriaux. Que ce résultat comporte quelques difficultés, cela est certain; il n'est pas moins commandé par les principes les plus clairs du droit international privé.

La faillite est donc essentiellement territoriale. Ne nous hatons pas d'en conclure que dans chacun des pays où des faillites peuvent se trouver simultanément ouvertes on ne doive tenir aucun compte des actes qui peuvent se passer à l'étranger. Les actes régulièrement accomplis sous l'empire des lois territoriales sont internationalement justes. Loin de les ignorer il faut en tenir compte en tout lieu, et il est fort possible que les procédés d'une faillite viennent modifier les résultats d'une autre faillite ouverte en pays étranger. C'est ce que nous verrons mieux en traitant de l'effet international des droits acquis.

Ce remède est le seul que le droit fournisse à l'imperfection du droit, mais rien n'empêche qu'il s'établisse sur ce point des usages internationaux, établissant une certaine communauté entre les faillites ouvertes dans les di

Les partisans de l'unité de la faillite sont allés jusqu'à prétendre que le droit de la faillite concerne surtout le statut personnel du failli (Weiss, Traité élémentaire, p.859). Opérer ainsi un rapprochement entre l'état de failli et celui d'absent ou de mineur implique une confusion grave entre des incapacités qui ont pour but de protéger la personne incapable et un dessaisissement qui vise surtout à l'empêcher de nuire à ses créanciers. La thèse de la personnalité de la faillite repoussée par l'Institut de droit international ne compte que fort peu de partisans. Notre savant collègue Thaller (id., pp. 353 et suiv.) met parfaitement en lumière le caractère des jugements déclaratifs et démontre qu'en vertu de leur nature même ils ne sont pas susceptibles d'exécution à l'étranger. Sur un seul point je me séparerai de sa doctrine. Si les jugements de faillite ont des effets purement territoriaux, ce n'est pas parce qu'ils concernent les biens (la raison serait, à mon avis, insuffisante), mais parce qu'ils ouvrent une procédure d'exécution. Dès lors s'évanouit tout prétexte à distinction entre les meubles et les immeubles.

vers pays. Ce point est un de ceux sur lesquels le droit positif peut exercer une heureuse influence, en créant une communauté plus parfaite que celle qui résulte des principes.

197 bis) Nous rangerons dans la mème catégorie, conformément à l'opinion commune, les lois fiscales. Nous avons expliqué plus haut en quoi consiste la territorialité des lois fiscales. Elle ne signifie pas du tout, comme on le croit généralement, que les étrangers payent nécessairement tous les impôts que payent les nationaux. Elle veut dire que, le principe une fois établi en vertu duquel les étrangers sont soumis à un impôt, toutes les règles concernant la fixation et le paiement de cet impôt s'appliquent à tous sans distinction de nationalité. Il y a là à la fois une mesure d'ordre et un principe d'égalité fort intelligibles.

198) Les catégories précédentes sont loin d'épuiser le domaine fort considérable des lois d'ordre public. Pour ne point subdiviser à l'excès, je rangerai dans une dernière classe des lois fort dissemblables ayant cependant une parenté étroite, car elles poursuivent un but commun. Je forgerai pour elles l'expression de lois d'ordre, parce que sans poser des principes nouveaux de droit matériel, elles se bornent à établir un certain ordre, une ordonnance jugée indispensable à la vie paisible des citoyens dans l'État et à l'accomplissement régulier des fonctions du souverain. Au premier rang figurent dans cette classe les règlements de police, assez insignifiants par eux-mêmes en général, mais qui concourent à maintenir un ordre permanent dans le sein de l'État; puis les lois de procédure, dont l'observation générale est nécessaire au fonctionnement de la justice. On se rappellera que Bartole désignait déjà les litis ordinatoria comme applicables aux forains. On peut citer encore les règlements administratifs relatifs aux services que gère l'État pour le compte des citoyens (voirie,

postes, télégraphes). Personne n'a jamais douté que ces lois ne fussent territoriales.

Il est permis de voir dans les lois de cette sorte l'exemple le plus pur des lois d'ordre public. Chacune de ces lois ne représente aucun grand principe de justice ou d'humanité prise en particulier elle paraît d'une importance fort médiocre, et il faut les envisager dans leur ensemble pour apercevoir qu'elles constituent l'un des rouages nécessaires de la vie d'une nation. Mais ce qui ne saurait échapper à l'observation, c'est que ces lois tendent purement et simplement à un certain ordre dont la nécessité ne fait pas doute. Que représente, par exemple, une ordonnance de police ou une règle de procédure? Rien d'immuable en soi, à coup sûr, ni d'indiscutable, mais si le contenu de pareils commandements peut varier presque à l'infini, on sent du moins qu'il faut que de tels commandements existent, qu'on ne saurait s'en passer dans aucune société organisée. Ce sont donc des lois qui ne sont faites que pour faire régner l'ordre dans l'intérêt public. Ce sont donc, au plus haut degré, des lois d'ordre public. Comme on voit bien par là que le caractère des lois d'ordre public est indépendant de leur portée politique ou morale et qu'il faut, pour les discerner, se référer seulement aux rapports qu'elles présentent avec un ordre établi ou à établir.

Que le besoin d'un ordre semblable résulte de la grande importance sociale des principes que le législateur s'est résolu à consacrer ou qu'il soit la conséquence d'un élément purement matériel, l'impossibilité pratique de faire fonctionner sur un même territoire deux séries de règles tendant à un même objet, cela importe peu au droit international. Dans tous les cas l'intérêt de l'État exige une loi générale, qui engendre un ordre applicable à tous. C'est là le véritable et seul fondement de la territorialité des lois de cette espèce.

199) Ayant essayé d'établir ainsi une classification des

lois d'ordre public, faisons retour aux caractères qui les distinguent. Nous avons indiqué jusqu'ici leurs caractères extérieurs. Il est temps maintenant d'entrer un peu plus avant dans la matière et de déterminer les ressorts intérieurs qui limitent et définissent l'action de ces lois. Trois observations doivent être faites à ce point de vue :

1o Les lois d'ordre public ont le caractère de lois d'exception ou au moins elles doivent l'avoir dans un État bien ordonné. Ce point a été examiné au précédent chapitre 1 et nous savons déjà ce que l'on doit entendre par ce caractère exceptionnel de lois d'ordre public.

200) 2° Il n'existe pas de lois d'ordre public international que l'on doive opposer à l'ordre public national. Lorsque nous qualifions de lois d'ordre public international les lois dont nous parlons (et il existe à cet égard un usage bien établi) nous faisons allusion à la propriété qu'elles possèdent d'obliger les étrangers aussi bien que les nationaux, mais si nous considérons leur nature nous sommes obligé de convenir que chaque État n'est chez lui le gardien que de son propre ordre public, que c'est donc bien l'ordre public national qui impose ses exigences aux étrangers.

Nous reviendrons incessamment sur ce point. Si évidente que soit cette idée, l'usage n'a pas moins prévalu en pratique de désigner sous le nom d'ordre public national les lois qui sont obligatoires dans chaque pays pour les nationaux seulement, et de réserver la qualification de lois d'ordre public international à celles qui étendent également leur autorité aux étrangers. Il n'y a là qu'une question de terminologie; encore cette terminologie est-elle vicieuse et, dans une certaine mesure, malfaisante. Son point de départ consiste à considérer comme touchant à l'ordre public toutes les lois dont le but social exige qu'elles

1 V. ci-dessus, p. 366. Cf. Fedozzi, Quelques considérations, etc., dans Clunet, 1897, pp. 71 et suiv.

soient pourvues d'un caractère obligatoire. C'est là le langage du code civil (art. 6), mais il est mauvais, car il aboutit à priver de toute précision le mot loi d'ordre public et à répandre cette opinion, que toutes les lois obligatoires sont territoriales, à quelques exceptions près. Il n'est pas exact de prétendre que toutes les lois impératives ou prohibitives sont des lois d'ordre public. Beaucoup de ces lois n'ont point du tout pour objet d'établir un ordre, c'est-àdire un arrangement régulier systématique et général : bien au contraire, les lois que l'on appelle d'ordre public national (les lois sur les incapacités, par exemple) visent à faire infraction à l'ordre général établi dans l'État, en assurant à certaines personnes une situation privilégiée. Employer ici le mot d'ordre, c'est l'employer à contresens et cette méthode présente le grave inconvénient de priver cette idée d'ordre de toute influence utile, lorsqu'on entreprend la tâche laborieuse qui consiste à déterminer quelles sont les lois d'ordre public.

Il faut donc retenir cette idée qu'il n'existe qu'une seule catégorie de lois qui méritent le nom de lois d'ordre public. Ce sont celles dont le but social est de réaliser un ordre nécessaire, un arrangement fixe et invariable, arrangement auquel doivent se soumettre étrangers et nationaux. On les appelle lois d'ordre public international : cette dénomination a eu le tort de faire croire qu'il peut y avoir un ordre public international distinct de l'ordre public national. Insistons davantage sur ce point.

De ce que chaque État est exclusivement responsable du maintien de l'ordre public sur son territoire, il résulte qu'il est radicalement incompétent en ce qui concerne le maintien de l'ordre public sur le territoire d'un autre État. Il ne doit donc se mêler ni d'y faire prévaloir ses propres lois, ni de corriger ce qui a pu y être fait de contraire à sa propre notion de l'ordre public, si toutefois l'ordre public de son propre pays n'est pas intéressé dans l'affaire. C'est là une conséquence de l'indépendance qui appartient à chaque État dans l'accomplissement de ses fonctions de

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