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Nous n'admettrons même pas (contrairement à une opinion très répandue), qu'il soit nécessaire que ces institutions juridiques existent dans le pays où on veut les exercer. Ainsi une étrangère à ce qualifiée pourrait exercer son hypothèque légale sur les immeubles de son mari situés dans un pays où les femmes mariées ne jouissent pas elles-mêmes de cet avantage, si du reste l'hypothèque est un droit organisé dans ce pays. La seule question délicate qui peut surgir est une question de publicité. Si, au lieu de la situation des biens, les hypothèques sont soumises au régime de la publicité, la femme étrangère ne pourra invoquer son hypothèque qu'autant qu'elle l'aura rendue publique. C'est la seule restriction qu'il soit légitime de lui imposer.

L'application indistincte et systématique de la loi territoriale aux biens immobiliers fait courir ailleurs le risque de tomber dans l'absurde. Ira-t-on (comme le ferait incontestablement la jurisprudence anglaise 1) imposer à des mineurs italiens, propriétaires d'immeubles en France, les lenteurs et les frais d'un partage judiciaire, alors que leur loi nationale pourvoit d'une autre façon à la protection de leurs intérêts? L'application de la loi territoriale est, en pareille matière, véritablement inintelligente; elle fera le plus souvent double emploi avec la loi nationale du mineur et lui étendra de force un système de protection que son législateur national, seul compétent dans ce domaine, n'a pas jugé bon d'adopter pour lui.

Ce que nous avons dit sur la propriété des choses corporelles s'applique tout aussi bien à ce que l'on appelle propriété intellectuelle, ainsi à la propriété littéraire ou artistique, à la propriété des brevets d'invention ou des marques de fabrique, etc. Bien qu'il y ait un abîme entre cette propriété prétendue et la propriété véritable, il demeure vrai que l'intervention du législateur dans l'orga

1 Dicey, Digest, règle 138, pp. 516 et suiv.; Westlake, International law, 2 165, p. 191.

nisation de cette propriété a également pour objet d'établir un certain ordre dans l'intérêt public. Il y a donc identité de nature au point de vue international. Cette observation n'est pas sans importance dans l'interprétation des lois et des traités réglementant cette sorte de propriété.

196) L'opinion commune des jurisconsultes classe parmi les lois d'ordre public les lois dites de crédit public. On doit entendre par là celles qui tendent à faire régner la confiance dans un pays, en veillant à la sûreté et à la loyauté des transactions qui s'y passent. Les lois de crédit public sont assez nombreuses. En font partie celles qui ont trait à la circulation de la monnaie métallique ou fiduciaire, aux obligations imposées aux commerçants, les lois sur le prêt à intérêt, les lois sur la publicité des actes juridiques 1. Nous ne citons que des exemples.

On a parfois douté du caractère des lois limitatives du taux de l'intérêt. Le doute cependant ne se conçoit guère en la matière. Un législateur n'a recours à la limitation du taux de l'intérêt que lorsqu'il juge qu'il y aurait un danger public à laisser entière, sur ce point, la liberté des parties. Cela seul suffit à trancher la question. En réalité, la difficulté n'est venue que du choix de la loi compétente et non pas d'une incertitude touchant le caractère de semblables lois.

Les lois sur la publicité des actes juridiques forment une part considérable des lois de crédit public. Ces lois écrites pour la sécurité de tiers quelconques sont même un bon exemple de règles édictées, non pas au profit de ceux qu'elles intéressent directement dans chaque cas et

1 Également les règles posées sur la négociabilité des actions des sociétés de commerce ou d'industrie (Com. Seine, 28 mai 1896, Cl. 96, p. 874). Sur la faculté d'employer pour les paiements la monnaie du lieu où l'on paye. V. Milan, 1er mai 1894, Cl. 98, p. 416, arrêt dont la doctrine me paraît empreinte d'exagération. Par contre, la jurisprudence (Tr. Seine, 6 février 1897, Cl. 99, p. 771) ne range pas l'art. 1477 (C. c., sur le divertissement des effets de la communauté) parmi les lois d'ordre public.

pour qui elles constituent une charge de plus, mais dans l'intérêt de la communauté tout entière. Nous verrons bientôt qu'elles prêtent à une étude fort délicate, lorsqu'il s'agit de déterminer la loi compétente. Pour le moment bornons-nous à remarquer que toutes les lois de publicité sont des lois d'ordre public, des lois territoriales; qu'elles concernent les immeubles, les créances, les navires, les personnes, cela importe peu.

Le crédit public revendique aussi les modes de transmission des droits qui produisent leurs effets par rapport aux tiers. La règle que le consentement suffit à transférer la propriété n'est pas une loi de crédit public, la règle << en fait de meubles possession vaut titre » possède au contraire ce caractère. C'est pour cette raison que toutes les traditions de meubles corporels effectuées de bonne foi en France en transmettent la propriété, quel que soit le statut des personnes entre lesquelles cette tradition a lieu. Cette application certaine d'un principe certain va permettre de résoudre une question fort douteuse à laquelle la matière des titres au porteur a donné lieu. On sait que, par exception à la règle précitée, la loi du 15 juin 1872 permet de revendiquer, pendant un certain temps, les titres perdus ou volés. Pendant ce délai donc, les transmissions qui peuvent avoir lieu ne sont pas opposables au propriétaire dépouillé. Mais de quels titres et de quelles transmissions s'agit-il? Il règne sur ce point en doctrine une certaine confusion, en jurisprudence une véritable anarchie. La réponse à ces questions n'est pas douteuse cependant si l'on se reporte aux principes. D'abord l'origine du titre est indifférente, car une loi d'ordre public, comme l'est incontestablement celle-ci, s'applique sur le territoire soumis à son empire à tous les cas rentrant dans les conditions de fait qu'elle prévoit. Puis cette loi ne concerne que les transmissions opérées en territoire français. Précisément parce qu'elle est territoriale, son effet s'arrête aux limites du territoire. Si donc la tradition a eu lieu dans un pays où règne un principe différent, elle est efficace et investit

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de la propriété du titre l'acquéreur de bonne foi1. Bornons-nous pour le moment à cette simple constatation, car cette question est la seule qui intéresse les conflits. Plus tard, en traitant de l'effet international des droits acquis, nous reviendrons à cette matière des titres au porteur perdus et volés. Nous pourrons alors dégager les conséquences pratiques des principes que nous venons d'énoncer 2.

197) Il n'est pas inutile de faire une catégorie séparée des lois sur l'exécution forcée, encore qu'elles touchent

1 En ce sens, Wahl, Traité des titres au porteur, t. II, pp. 340 et suiv.; Garrassus, Revendication des titres perdus ou volės, pp. 207 et suiv. Cette solution a cette double conséquence d'appliquer les dispositions de la loi du 15 juin 1872 aux titres au porteur français ou étrangers que l'on tente de négocier en France après une perte ou un vol (ce qui est généralement admis) et, inversement, de ne pas les appliquer à des titres négociés à l'étranger, sur un territoire régi par une législation différente de la nôtre. Cette seconde conséquence n'a pas été acceptée par notre jurisprudence qui n'hésite pas à étendre la loi de 1872 aux valeurs françaises négociées à l'étranger (v., par exemple, Trib. Seine, 8 août 1885, Cl. 85, p. 681). La jurisprudence.se fonde principalement sur la généralité des termes de l'art. 12 de la loi. On sait combien cette argumentation est peu probante, lorsqu'il s'agit de textes dont les auteurs n'ont à aucun moment envisagé la portée internationale. Mais il y a plus. La loi de 1872 étant muette sur la question, la raison voudrait que l'on recourût aux principes pour la résoudre. Or c'est un principe universellement accepté de nos jours, que la transmission de propriété d'un objet mobilier est régie par la loi du lieu où cette transmission s'accomplit. Objectera-t-on que le titre au porteur n'est ici que le signe d'une valeur ? Qu'importe si le signe s'incorpore si bien avec la valeur que celle-ci partage, la fortune de celui-là, toutes les fois où la loi n'en a pas disposé autrement. On trouve quelques décisions de jurisprudence appliquant cette doctrine aux valeurs étrangères négociées à l'étranger (v., par exemple, Trib. Seine, 15 juillet 1885, Cl. 85, p. 450), mais elles sont beaucoup plus rares, et cette inégalité nous démontre que la jurisprudence a cédé à une préférence irraisonnée pour les valeurs françaises.

2 Nous considérons également comme dispositions d'ordre public les mesures prises en vue d'assurer le paiement des arrérages et la reconstitution du titre au profit du propriétaire dépossédé. Ce sont, en effet, des lois de crédit public. Mais ici la loi compétente est celle de l'établissement débiteur (siège social ou succursale). Il est bien entendu, au reste, que ces mesures ne produiront effet au profit du propriétaire qu'autant qu'il aura conservé sa qualité.

de très près aux lois de crédit public. Ces lois règlent la manière dont s'opérera l'intervention de l'État, lorsque, agissant en sa qualité de garant des droits privés individuels, il interposera son autorité pour assurer aux droits leur effet. Il y a exécution forcée seulement quand le titulaire d'un droit fait appel à la puissance publique pour obtenir la satisfaction qui lui est due et, par conséquent, tout ce qui concerne l'étendue des obligations, leur division entre les différents débiteurs, les charges dont sont tenus les débiteurs accessoires, etc., ne fait pas partie de cette classe. Elle comprend, au contraire, ce qui touche aux saisies, à la vente des biens placés sous la main de la justice, à la distribution des deniers en provenant.

Ces lois règlent l'une des attributions de la puissance publique, elles forment une part considérable des lois de crédit public, il n'est pas douteux qu'elles soient d'ordre public et territoriales. La chose n'a jamais fait l'ombre d'un doute tant qu'il s'est agi d'apprécier les effets de la déconfiture; pour la faillite elle suscite, comme on sait, de grandes difficultés. Par son universalité, la faillite a une tendance naturelle à l'unité. Elle ne remplit véritablement son but qu'autant qu'elle aboutit à mettre le patrimoine entier du failli sous la main des syndics et à faire payer au marc le franc la totalité de ses créanciers 1. Cette unité va de soi au point de vue national. Est-elle également possible dans les relations internationales? Nous ne le pensons pas. La faillite est tout entière une procédure organisée pour aboutir à la détermination du passif du failli et à la réalisation de son patrimoine au profit de ses créanciers. C'est une procédure d'exécution, elle est par

1 C'est au moins ce que prétendent les partisans de l'unité de la faillite. En réalité les choses ne vont pas aussi simplement que cela, et, comme il est certain que l'on ne peut pas faire abstraction de la loi territoriale, l'unité, en la supposant réalisée, serait fort loin de tenir tout ce que l'on promet en son nom (v. sur ce point les excellentes observations de Thaller, Les faillites en droit comparé, t. II, pp. 337 et suiv.).

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