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autre. Elle a été établie en faveur de certains héritiers comme une garantie contre les libéralités inconsidérées du défunt. Encore faut-il remarquer qu'ici la protection est donnée beaucoup plus au défunt qu'à ses héritiers. Si l'on avait pris exclusivement en considération les intérêts de ces derniers, on les aurait garantis aussi bien contre les actes à titre onéreux que contre les actes à titre gratuit de leur auteur. En limitant, par rapport à ces derniers seulement, la liberté du disposant, le législateur s'est rattaché à cette idée qui formait déjà à Rome le fondement de la querela inofficiosi, à savoir que certaines libéralités entraînent après elles une présomption de démence.

177) Il nous paraît donc très raisonnable de faire rentrer ces matières dans la compétence de la loi nationale du disposant1. La compétence de cette loi ne sera pas exclusive, mais elle s'étendra fort loin, en ce qui concerne la dévolution de l'hérédité principalement. Il arrive fréquemment, en effet, qu'une disposition légale s'adressant à l'héritier est conçue en réalité dans l'intérêt du de cujus. On ne doit pas hésiter, en pareil cas, à donner compétence à la loi nationale du défunt. Il en est ainsi en matière d'indignité. Cette peine civile a été établie dans l'intérêt du de cujus. La loi de l'héritier n'a, en ce qui la concerne, aucun titre à être observée. Il en sera souvent de même en matière d'incapacités. L'incapacité des enfants naturels, par exemple, n'a certainement pas été établie dans leur intérêt, mais dans celui de la famille légitime, c'est donc cette dernière qui devra être considérée dans les conflits.

1 Cette solution devient l'évidence même si l'on remonte aux principes premiers de notre méthode. Une personne venant à mourir, quel État a intérêt à appliquer à la succession de cette personne ses propres lois ? On ne peut pas ne pas répondre que c'est l'État dont cette personne est la sujette, car on aperçoit très facilement l'intérêt de cet État, au lieu qu'il est impossible de discerner l'intérèt que pourrait avoir tout autre État à intervenir dans le règlement de cette question. La question du droit de succession au point de vue international a été parfaitement traitée par Waechter (Archiv, t. II, pp. 188 et suiv.).

et, comme la famille n'a pas un statut personnel distinct de celui de ses membres, c'est la loi du de cujus qui sera appliquée. La loi de l'héritier ne doit être déclarée compétente, que s'il s'agit de l'exercice du droit de recueillir; les limitations mises à la liberté du droit de l'héritier sont alors très généralement conçues dans son propre intérêt et ressortent naturellement de sa propre loi. Telle est la situation faite à l'héritier mineur, interdit ou absent.

178) La matière des rapports dépendra aussi de la loi qui régit la dévolution héréditaire. Cela non seulement parce que cette matière fait en réalité partie du droit consacré à la dévolution, mais aussi parce que l'idée d'avancement d'hoirie et celle de rapport qui lui servent de complément ont été introduites dans le droit pour faciliter au de cujus l'accomplissement de ses devoirs de famille. Les rapports appartiennent donc, eux aussi, au domaine du statut personnel du défunt.

179) Si grande que soit la part à faire au statut personnel dans les successions, son autorité n'est cependant pas exclusive et unique. On rencontre, en cette matière, un certain nombre de lois de crédit public écrites au profit des tiers et auxquelles leur caractère de lois de garantie. sociale confère au point de vue international la qualité de lois territoriales. Ce sont en particulier toutes les lois déterminant les relations des héritiers avec les tiers ayant des droits sur les biens héréditaires. Cette considération influera beaucoup sur la portée internationale de lois sur le paiement des dettes, et nous apercevons ici un nouvel intérêt à la distinction de la poursuite et de la contribution. La question de contribution est une question de dévolution; elle rentre donc dans le domaine de la loi personnelle du défunt, la question de poursuite appartient, au contraire. aux questions de crédit public et rentre dans le domaine. des lois du pays sur le territoire duquel sont situés les biens soumis à l'action des intéressés.

Le bénéfice d'inventaire, la séparation des patrimoines, les retraits, l'effet déclaratif du partage sont aussi des institutions ayant pour but d'altérer dans l'intérêt du crédit public les règles ordinaires en matière de dévolution. Nous rangerons donc les règles qui les concernent dans la classe des lois territoriales. On pourra y comprendre aussi les lois sur la saisine, car le droit de la possession touche de très près à l'ordre public. En outre, en matière de partage, un certain domaine doit être laissé à la volonté des parties, cela par application des principes sur l'autonomie de

la volonté 1.

180) Nous devons, dans un ouvrage aussi général, nous borner à certaines grandes directions. Les applications faites jusqu'ici montrent bien quel immense domaine revient au statut personnel, lorsque l'on prend pour règle de déterminer la portée internationale d'une loi d'après le but social qu'elle poursuit. Encore tout n'a-t-il pas été dit. Nous avons laissé de côté ce grand chapitre des conventions qui, pour une portion importante, est soumis à l'autorité du statut personnel, et ce chapitre non moins grand

La méthode suivie dans cet ouvrage met à néant certaines questions fort embarrassantes, surtout pour ceux qui suivent encore les errements de la doctrine des statuts. En voici quelques-unes qui doivent être au moins l'objet d'une mention: la règle mobilia sequuntur personam existe-t-elle encore? a-t-elle été tacitement adoptée par les rédacteurs du code civil? quel est son sens et quelle est sa portée ? Les créances fontelles partie du statut personnel, et si oui, est-ce à la personne du créancier ou à celle du débiteur qu'il faut les rattacher ? Nous n'avons pas à entrer dans la discussion de ces célèbres questions. Notons seulement qu'elles sont très bien traitées dans les ouvrages souvent cités par nous de M. Lainé et de M. de Bar. Pour nous, elles n'existent pas. La nature internationale d'un rapport de droit dépendant, à notre avis, non point de l'objet sur lequel il porte, mais du but social des lois dont on prétend mesurer la portée, les meubles corporels ou incorporels sont soumis exactement au même régime que les immeubles ou les droits de famille. Suivant que les lois dont il s'agira auront été écrites pour la protection de la personne ou pour le maintien de l'ordre public, elles seront personnelles ou territoriales. Seulement, la fixation de la loi compétente pourra prêter à certaines difficultés, non de principe, mais d'application. Ces difficultés seront examinées en leur lieu.

des lois sur la forme des actes où elle a également son influence.

Même dans le domaine des droits d'origine purement légale, on rencontre en nombre considérable des institutions juridiques organisées dans l'intérêt individuel de la personne. L'hypothèque légale de la femme en est un bon exemple. C'est une garantie donnée à la femme contre son mari et dès lors il importe peu, à notre point de vue, qu'elle porte sur des immeubles et que ces immeubles aient une situation, elle est soumise à l'empire du statut personnel. Il faut en dire autant de l'usufruit légal des parents, quoiqu'ici le but social de l'institution paraisse moins net. Attaché à la puissance paternelle, il ne saurait être animé d'un autre esprit. A tort ou à raison, le législateur y a vu une mesure à prendre dans l'intérêt de l'enfant.

L'obligation alimentaire appartient à la même classe. Elle fournira fréquemment l'occasion de conflits d'ordre secondaire, lorsque les lois personnelles du créancier et du débiteur des aliments ont un texte contraire. En cette matière l'égalité est la loi, et il n'existe aucune raison de préférer l'une de ces personnes à l'autre. Il sera donc juste de ne donner suite à l'action qu'autant que l'une et l'autre lois en auront admis le principe.

181) Quelque étendu que soit le domaine du statut personnel, il faut remarquer qu'il ne jouit, dans les relations. internationales, d'aucune prééminence sur le statut réel. L'un n'est pas, dans notre système, la règle, l'autre étant l'exception. Tous deux voient, en effet, leur compétence déterminée par une mème idée fondamentale, cette idée que le but social d'une loi doit fournir la mesure de sa portée internationale d'application 1. Qu'il y ait en fait plus de lois à but personnel que de lois à but social, cela

1 Nous ne nous poserons donc pas, comme le faisait Bouhier, la question de savoir si, dans le doute, un statut doit être présumé personnel ou réel. Il n'y a pas ici place à une présomption et le doute ne peut être levé, lorsqu'il se présente, que par une considération plus attentive de l'objet du statut.

est possible, mais cela n'est pour nous qu'un accident sans effet sur la doctrine. Chacun des deux statuts constitue la règle dans son domaine.

En législation il n'en est peut-être pas de même, et si l'on se pose la question de savoir lesquelles conviennent le mieux à un État des lois qui poursuivent l'avantage des individus et de celles qui visent directement l'utilité du corps social, on pourra penser que les lois civiles doivent, en règle générale, poursuivre l'avantage de l'individu, les lois sociales demeurant l'exception. A l'appui de cette thèse, on fera remarquer que la loi faite dans l'intérêt immédiat de tous impose à la personne qui en subit l'effet un sacrifice d'autant plus onéreux qu'il n'est compensé par aucun avantage qui lui soit propre. Si l'on pouvait user ici, dans un sens très éloigné de leur sens habituel des mots de créancier et de débiteur, on dirait de cette personne que, comme créancière de l'application de la loi, il ne lui revient pas une part plus grande qu'à tout autre membre de la communauté; comme débitrice de cette application, au contraire, elle en supporte intégralement le poids. Or toute la loi est une limitation à la liberté de l'homme qui en supporte l'effet. Il y a évidemment une distance énorme entre une diminution de liberté imposée dans l'intérêt de la personne qui la supporte et une diminution de liberté imposée dans l'intérêt d'autrui, dans l'intérêt de tous. Ces limitations, si elles se multiplient par trop, engendrent un véritable esclavage.

Il sera donc d'un bon législateur de donner la préférence aux lois d'intérêt individuel et de limiter les lois de garantie sociale aux cas où elles sont rigoureusement nécessaires. Mais, encore une fois, cela ne concerne que l'organisation intérieure et non pas l'organisation internationale. A ce dernier point de vue les deux principes d'extraterritorialité et de territorialité, de personnalité et de réalité sont rigoureusement égaux l'un à l'autre : ils forment deux règles parallèles et non pas une règle et une exception.

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