Page images
PDF
EPUB

successions. Elle ne toucha pas au droit international et notre pratique continua à suivre la distinction des deux successions, non sans la modifier un peu par faveur pour l'idée de nationalité. Beaucoup de bons esprits pensent, en effet, que l'art. 3, § 2, implique le maintien de la tradition sur ce point et à une époque peu éloignée de la rédaction du code civil ce point de doctrine était incontesté1. Une opposition très vive à ces idées ne tardait pas cependant à se manifester. Sans attendre le grand effort de l'école italienne, Waechter se décidait en faveur de la personnalité de la succession qu'il jugeait plus conforme au sens et à l'esprit de la loi civile. Un peu après, Savigny se prononçait pour l'autorité exclusive de la loi du domicile, justifiant sa décision par les liens qui unissent le droit de la succession au droit de la famille, et par cette idée que, l'ordre héréditaire légal étant établi par interprétation de la volonté du défunt, il est tout à fait illogique de créer simultanément deux successions et deux ordres séparés d'héritiers 2.

1 Ce point est maintenant discuté et certains auteurs enseignent que, notre législation étant muette à cet égard, l'interprète demeure libre d'adopter la solution qui lui paraît la plus conforme aux principes. Je leur concéderais volontiers que l'art. 3, 2, code civil, n'est pas si formel qu'il comporte à titre de conséquence forcée la réalité des successions immobilières. Mais à côté de l'art. 3 se trouvent d'autres éléments de décision, une tradition unanime (chose rare), et des déclarations formelles faites au cours des travaux préparatoires de la loi du 14 juillet 1819 (v. Mansord, Droit d'aubaine, p. 11). Il semble bien que l'intention des rédacteurs du code n'a pas été douteuse. Il est intéressant aussi d'observer que dans les conventions diplomatiques ayant trait à ce sujet, la distinction ancienne a été scrupuleusement maintenue. Pour la jurisprudence, v. Vincent et Pénaud, Dict., v° Successions, no 6 et suiv. On peut citer dans le sens de la personnalité de la succession, sans distinction des meubles et des immeubles, un jugement du Trib. du Havre du 22 août 1872, S., 72-2-313.

* Waechter, Archiv, II, pp. 188 et suiv.; Savigny, Système, t. VIII, pp.290 et suiv. Il résulte des recherches de Waechter que la doctrine de l'universalité de la succession et de la compétence de la loi domiciliaire du de cujus comptait, dès le xvIIe siècle, de nombreux partisans en Allemagne. L'influence de Savigny a été grande en faveur de la personnalité de la succession. Ses raisons, cependant, n'étaient pas concluantes. L'une con

Du jour où la théorie traditionnelle a été sérieusement combattue on peut dire qu'elle a été virtuellement condamnée par les inconséquences qu'elle entraînait. Depuis le droit nouveau, la doctrine ancienne était incapable de s'appliquer jusqu'au bout. Tant qu'il ne s'agissait que de déterminer les divers ordres d'héritiers et les parts attribuées à chacun d'eux, on pouvait encore, au mépris de la vraisemblance, admettre la concurrence de plusieurs successions. Sitôt que l'on passait aux dettes, cette possibilité cessait. C'est que les dettes immobilières, si nombreuses autrefois, sont devenues de vraies curiosités d'école et l'on se trouverait avec la doctrine ancienne dans la nécessité d'imposer le fardeau entier des dettes au seul héritier des meubles. Ce serait entièrement inacceptable. Il a fallu par suite, au point de vue du passif, substituer à une répartition d'après la nature des dettes une répartition d'après la valeur des biens recueillis par chaque héritier, répartition inconnue au droit ancien et que ne supporte aucun texte du droit nouveau.

L'école de Mancini est venue fournir un appoint considérable aux adversaires de la doctrine ancienne, et par l'influence qu'elle a exercée sur les codifications les plus récentes, a grandement aidé à sa défaite1. Nous parlons

siste à argumenter de la volonté présumée du défunt : elle a l'inconvénient de supposer purement facultatif, dans les relations internationales, un régime légal qui, en l'absence de testament, est obligatoire dans le droit intérieur. L'autre, spéciale sur les rapports existant entre l'organisation des successions et le droit de la famille. Ces rapports sont indéniables, mais suffisent-ils à justifier la communauté du droit entre ces deux institutions sociales? On peut en douter. En outre, ils n'existent que dans la succession légitime et non dans la succession testamentaire. On peut observer enfin que dans notre ancien droit les intérêts de la famille avaient fait créer un système d'indisponibilité appartenant au statut réel.

1 Les codes italien (art. 8) et espagnol (art. 10, 2) se prononcent pour la compétence de la loi nationale. Il en est de même du nouveau code allemand (art. 24-26, de la Loi d'introd.), mais le principe de l'application de la loi nationale y reçoit exception par l'effet du renvoi (art. 29) et aussi relativement aux obligations des héritiers envers les créanciers du défunt

de cette défaite comme d'une chose acquise, quoique notre jurisprudence n'ait pas varié. C'est que les propositions adoptées à la conférence de La Haye nous paraissent devoir entraîner, à brève échéance, le triomphe du principe de l'unité et de la personnalité de la succession. Ainsi se trouvera réalisée en pratique la réforme que la doctrine ne cessait de réclamer depuis longtemps1.

175) Notre rôle est ici d'examiner cette question au point de vue doctrinal. Les lois sur la succession appartiennent-elles au statut personnel ou au statut réel? Sontce des lois de garantie sociale ou de protection individuelle? Ce qui peut légitimer le doute sur ce point, c'est que le point de vue social apparaît très net dans les lois de cet ordre. On dit souvent qu'elles ont un caractère politique et ce n'est point une erreur. Il importe à la cité de posséder de bonnes lois de succession, et la constitution politique de chaque pays exercera son influence sur les lois de cet ordre. Mais doivent-elles pour cela être territoriales? Cela n'a rien de nécessaire. Ce qui le prouve

(art. 24) et en cas de rétorsion (art. 25). L'Institut de droit international a accepté la compétence de la loi nationale du défunt dans sa session d'Oxford de 1880. (Annuaire, 1881-1882, pp. 41 et suiv.).

1 On sait que la territorialité des lois successorales était un axiome incontesté de la théorie statutaire. On en avait fait un brocard: Quot sunt bona diversis territoriis obnoxia, tot patrimonia intelliguntur. Il suffit de rappeler ce principe familier à tous. J'y ajouterai seulement un détail peu connu que je trouve dans Mansord (Droit d'aubaine des étrangers en Savoie, pp. 156 et suiv.). D'une déclaration de Louis XV du 7 décembre 1715 il résulte que les étrangers sont libres d'acquérir des rentes sur l'Hôtel de Ville de Paris et d'en disposer par actes entre vifs ou pour cause de mort (édit de décembre 1674) et que la dévolution desdites rentes sera régie par les lois du pays des dits étrangers, qu'ils en aient disposé ou non. Si cette déclaration n'était pas empreinte d'un esprit de faveur manifeste, elle constituerait un document de la plus haute importance, car elle montrerait la territorialité des lois successorales liée à l'application du droit d'aubaine, et permettrait de dire qu'elle aurait dù disparaître avec ce dernier.

La jurisprudence française suivie par la majorité des interprètes demeure fidèle à la distinction des deux successions, mobilière et immobi

c'est que les lois sur la constitution de la famille, qui présentent un intérêt politique plus grand encore, appartiennent au domaine du statut personnel. L'intérêt politique n'est pas, en effet, ici un criterium infaillible. Il est fort possible que des lois qui, dans leur application aux citoyens, présentent un intérêt politique de premier ordre n'en présentent, au contraire, aucun dans leur application aux étrangers. C'est le cas des lois sur la famille, c'est aussi celui des lois sur les successions. Qu'importe à la France, par exemple, que la loi du partage égal, qui est chez nous une loi politique, s'applique à des Allemands ou à des Anglais possédant des biens sur notre territoire? L'application qui leur sera faite de leur propre statut de succession n'intéresse et ne menace en aucune façon la nation française.

Si l'on considère la fonction sociale des lois de succession, on ne peut refuser de voir en elles des lois de protection individuelle. Observons d'abord, à cet égard, que le droit reconnu à l'individu de régler la destination de ses biens pour le temps où il ne sera plus est le pouvoir le plus étendu qui puisse lui être attribué, pour son activité le stimulant le plus actif, pour sa propriété la garantie la plus énergique. Ce droit l'individu l'exerce par un acte de dernière volonté, ou bien il laisse la loi l'exercer à sa place. Seule cette dernière hypothèse nous concerne ici. Précisément parce que la succession légale cède à la succession testamentaire, on dit que le législateur, en l'organisant, s'inspire des intentions probables du défunt. En ce faisant il révèle suffisamment son but. C'est bien venir en aide à la personne, la protéger contre les coups inat

lière, celle-ci régie par la loi de la situation, celle-là par la loi du domicile autorisé du défunt, et à défaut de domicile autorisé, par sa loi nationale (Paris, 2 avril 1896, Cl. 97, p. 165). Il est à peine besoin d'observer que sur ce dernier point notre jurisprudence ne traduit l'ancien droit que pour le trahir. Tout d'abord, la pratique, plus soucieuse de la tradition, soumettait la succession mobilière à la loi du domicile réel du défunt (Paris, 25 mai 1852, S., 52-2-289).

tendus du sort, que de régler sa succession ainsi qu'elle l'aurait fait elle-mème si elle avait testé. Si la succession était une loi de garantie sociale, le testament n'existerait pas et le législateur, en organisant la succession, s'inspirerait de motifs tout autres que les intentions du défunt.

Mais cette analyse n'est pas tout à fait exacte. Si l'ordre légal des successions n'était pas autre chose que l'interprétation de la volonté du défunt, il devrait perdre son autorité dans les cas où il apparaît, en fait, comme contraire à cette volonté. Or il n'en est pas ainsi à défaut d'un testament régulier, la succession légitime s'ouvre nécessairement. Cette circonstance montre bien quel est le but social des lois de cette sorte. Le législateur se substitue au de cujus et réglemente la dévolution de son patrimoine en suivant l'ordre naturel de ses affections et de ses devoirs. I le protège contre lui-même en ce sens qu'il refuse de tenir compte de toute volonté qui n'aurait pas été exprimée dans les formes légales et que, par une présomption légale absolue, il décide ce qu'il a dû vouloir.

176) Ceci est bien encore de la protection individuelle. Ce point de vue apparaît encore plus net dans la théorie de la réserve1. La loi, considérant que toute personne a le devoir de transmettre une part au moins de sa succession. à ses plus proches parents, méconnaît les actes de libéralité qui auraient pour effet d'entraver cette attribution. Ce n'est pas certainement en faveur du public que cette réserve a été établie, car il est fort indifférent au public que les biens d'un mourant passent à telle personne ou à telle

De la doctrine adoptée par la jurisprudence française il résulte que des héritiers étrangers ont, sur les immeubles situés en France, la part que la loi française réserve à leur degré de parenté, alors même que leur loi nationale ne leur accorderait aucune réserve (Trib. Seine, 14 juin 1901, Cl. 1901, p. 868). Scientifiquement, cette solution ne peut pas être défendue.

« PreviousContinue »