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ainsi que la sanction toute particulière attachée par la loi à cette prohibition. Le caractère illicite ou immoral de la condition mise à la libéralité s'appréciera par rapport au pays où elle est faite : il est inadmissible, en effet, qu'un acte juridique soit reconnu valable dans un pays dont il méconnaît les lois d'ordre public. Il pourra, en outre, être apprécié par rapport à la législation d'un pays étranger, s'il arrive que l'exécution soit demandée dans ce pays. On développera le sens de cette réserve en étudiant la matière de l'effet international des droits acquis. Le statut personnel de l'auteur de la libéralité est ici sans importance; l'État national de ce dernier, s'il n'est pas en même temps l'État sur le territoire duquel la condition sera accomplie, est fort désintéressé dans la question et il est juste que sa loi cède à la loi du lieu d'exécu

tion.

171) En serait-il de même d'une libéralité entre vifs ou testamentaire contenant une substitution fidéicommissaire? Dans les pays comme la France où cette sorte de dispositions est interdite, la disposition qui les atteint doit-elle être considérée comme ayant le caractère territorial des lois d'ordre public? L'opinion est chez nous à peu près unanime dans le sens de l'affirmative et il arrive souvent que l'on cite l'art. 896 du code civil comme le prototype des règles d'ordre public en la matière. La question, cependant, nous paraît très discutable et nous serions porté à la résoudre, au contraire, par la négative. Au moins faut-il s'expliquer. En tant que l'inaliénabilité d'un bien frappé de substitution n'a rien qui la révèle au tiers, la prohibition sera jugée, avec raison, comme territoriale, non pas parce qu'elle est contraire à la loi, mais comme source de pièges pour les tiers de bonne foi. Mais. si le droit en vigueur est tel qu'il dénonce aux tiers l'existence de l'inaliénabilité, on ne voit pas pourquoi une subs

1 Surville et Arthuys, Cours élémentaire, 3° édition, p. 371.

titution approuvée par la loi personnelle des intéressés serait considérée chez nous comme nulle. On dit que la prohibition en question est d'ordre politique. Cela est vrai, mais il semble que c'est précisément une raison de ne pas appliquer une loi française à des étrangers qui n'ont rien à faire avec des principes politiques propres à la France. Il en serait autrement si la loi personnelle étrangère contrariait l'application aux Français de la loi politique française, mais il n'en est nullement ainsi. Le code civil a réalisé une certaine conception de la famille entraînant à titre de corollaire la prohibition des substitutions. Il n'a aucune raison d'étendre à une famille étrangère établie sur des bases différentes cette conception et on observera, en outre, que le respect de la coutume étrangère n'empêche nullement la loi française de produire son plein et entier effet.

La conséquence pratique de ces considérations serait de valider les substitutions faites par des étrangers conformément à leur statut personnel par donation entre vifs, la transcription de la donation permettant d'informer les tiers de la condition particulière au bien substitué, de les interdire au contraire dans les testaments dont l'effet, à l'égard des tiers, n'est subordonné à aucune condition de publicité.

172) Dans cette matière des donations un acte particulier absorbait l'attention presque entière de nos anciens jurisconsultes c'était la donation entre époux qui, permise par certaines coutumes, interdite par d'autres, donnait lieu à de nombreux conflits. Déjà Bartole et Balde n'étaient pas d'accord sur le caractère favorable ou odieux de ce statut. Leurs successeurs n'eurent pas moins de peine à lui trouver sa place dans leur célèbre classification. La grande attention donnée, dans leurs ouvrages, à la controverse que suscitait cette sorte de libéralité en est la preuve. Le statut relatif aux donations entre époux concerne-t-il plus directement la personne ou les biens?

D'Argentré en faisait un statut mixte, affirmant ainsi et son embarras et sa tendance réaliste. Coquille, y voyant de préférence une coutume tenant à l'honneur du mariage, se résolvait en faveur de la personnalité. C'est l'opinion que soutenait, au XVIIe siècle, Bouhier contre Froland, Boullenois et la totalité de l'école hollandaise1. L'ancien droit n'a pas su clore cette célèbre controverse; ne nous étonnons pas de la voir encore agitée de nos jours. L'idée d'appliquer ici le statut des successions n'était, du reste, nullement de nature à procurer une solution satisfaisante de la difficulté.

Il n'existe cependant aucune question aussi claire ni aussi facile à résoudre. Le sens de la prohibition des donations entre époux, ou plus généralement du régime particulier qui leur est fait, n'a rien d'obscur ni de difficile à démêler. Pourquoi une personne n'a-t-elle pas, en faveur de son conjoint, le même pouvoir de disposition à titre gratuit qu'elle possède à l'égard d'un tiers quelconque ? C'est parce que la captation, l'abus d'influence, la séduction sont infiniment plus à craindre entre époux menant une vie commune, unis par mille liens d'affection et d'intérêt, qu'entre toutes autres personnes. La gravité du danger a fixé la mesure de la garantie à lui opposer; c'est à raison de cette protection nécessaire, que deux conjoints qui peuvent avoir d'excellentes raisons de se gratifier et qui ont à le faire des facilités particulières au moment où ils contractent leur union, ne peuvent plus se donner ou ne le peuvent plus qu'avec de notables restrictions pendant le cours de leur vie commune. Tout cela est très logique, si l'on considère qu'il y a une pro

1 Cf. Missir, loc. cit., pp. 207 et suiv.

2 Cf. Paris, 27 mai 1892, S., 1896-2-73 et notre note; dans la même affaire (Zammaretti), Cass., 8 mai 1894, Cl.94, p. 562; Paris, 5 mars 1901, Cl. 1901, p. 775. Ces arrêts appliquent, pour des motifs un peu différents, à la donation entre époux la distinction faite en matière de succession. Dans le même sens, Trib. de Guelma, 1 avril 1897, Cl. 98, p. 935.

tection donnée à chaque époux contre l'autre, inintelligible si l'on prétend rattacher ce droit particulier à une prétendue idée de conservation des biens dans les familles. Mais, si la loi obéit ici à une idée de protection, il ne faut pas hésiter à reconnaître la compétence du statut personnel en la matière.

Il est permis de remarquer qu'ici la considération du but de la loi fournit le seul moyen satisfaisant de trancher une controverse séculaire 1.

173) Dans cette étude de la donation entre vifs et du testament nous nous sommes attaché jusqu'ici seulement à la question de validité des actes accomplis. Tel est, en effet, le domaine du statut personnel. Si l'on suppose maintenant une libéralité régulièrement faite, et que l'on se préoccupe de son effet, le point de vue change et le régime international à appliquer n'est plus le même. La donation, le testament sont des actes volontaires. S'il n'appartient pas à leur auteur de transgresser les principes posés par le législateur soit dans l'intérêt de l'ordre public, soit dans l'intérêt du donataire, il lui appartient par contre de mesurer les effets de la libéralité dont il a eu l'initiative. Les droits des donataires et légataires dépendront donc en premier lieu et surtout de la volonté du disposant. Ce n'est qu'en tant que les droits qui les touchent concernent aussi les

1 Alger (2 mai 1898, Cl. 99, p. 385) fait dépendre de l'autonomie des contractants l'admission ou la prohibition de la donation entre époux. C'est une opinion moins admissible encore que celle des réalistes qui se décident d'après la situation des biens donnés. Ces derniers, au moins, ne sacrifient pas le caractère obligataire de la loi en question. Notre Cour de cassation s'est rangée à ce parti dans son arrêt du 4 mars 1857 (S., 57-1-247). En ce sens aussi, Trib. Seine, 3 mars 1891 (Cl. 91, p. 58, affaire Zammaretti). Dans cette affaire, la Cour d'appel (Paris, 27 mai 1892, précité) déclara que la prohibition des donations entre époux prononcée par l'art. 1054, code civil italien, touchait à l'état et à la capacité des personnes (appréciation certainement erronée), et cependant par une singulière contradiction elle refusa de lui laisser produire ses effets sur les immeubles situés en France. La Cour de cassation a basé sa décision sur le droit des successions (Cass., 8 mai 1894, précité, cf. Cass., 14 juin 1899, S., 1900-1-235).

tiers, qu'ils pourront se voir obligés de se soumettre à des lois impératives. Il en serait ainsi du droit de poursuite des créanciers contre les légataires universels ou à titre universel, de la saisine des légataires, peut-être aussi de l'hypothèque que notre législation accorde à certains d'en

tre eux.

174) Passons au droit de succession. La détermination de la loi compétente en matière de succession a été, à notre époque, l'objet d'une des controverses les plus vives du droit international privé. Cette controverse n'est point un legs de notre ancien droit. Autrefois la succession appartenait indubitablement au statut réel. Les immeubles étaient soumis à la loi de leur situation, les meubles à la loi du domicile, et les dettes suivaient le sort des biens et se répartissaient d'après leur nature immobilière ou mobilière. Cette diversité extérieure n'était elle-même que le reflet d'un droit intérieur qui reconnaissait également à l'occasion d'un seul patrimoine l'existence de plusieurs successions. La révolution unifia le droit intérieur des

1 Cela est vrai au moins de l'école française, dans laquelle on ne trouve qu'un dissentiment notable, celui de Cujas, partisan de la loi du domicile. Mais on sait que l'école italienne discutait fort la nature du droit de succession. Contre Balde, qui en faisait un statut réel, s'élevaient Albéric de Rosciate et Salicet, qui le tenaient pour personnel. Enfin, personne n'ignore le célèbre criterium de Bartole: suivant que la personne était nommée en premier lieu ou les choses, ce grand jurisconsulte se décidait pour la personnalité ou la réalité. En admettant même qu'il y eût là autre chose qu'un procédé purement empirique de détermination, ce système aurait toujours le grave inconvénient de faire varier le caractère international des lois sur les successions d'après la volonté de chaque législateur. Nous avons déjà montré l'imperfection de ce mode de solution dont on ne saurait attendre l'établissement d'une communauté de droit quelconque. La même raison nous fait rejeter le système proposé par de Bar (Theorie und Praxis, t. II, pp. 295 et suiv.), d'après lequel la personnalité ou la réalité de la succession dépendraient du point de savoir si le législateur qui l'a organisée la considère comme un mode d'acquérir universel (avec charge des dettes) ou comme un mode d'acquisition à titre particulier. Il ne nous paraît pas que dans ces deux systèmes le but de la loi successorale soit différent et, par suite, nous ne pouvons pas y voir un bon principe de distinction.

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