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d'insister sur cette vérité, qu'elle a été plus longtemps méconnue et qu'après des débats dont l'origine remonte au droit le plus ancien, la doctrine et la pratique n'ont pas su édifier ici une théorie nette, solide, correspondant aux idées générales qui inspirent cette partie importante de la législation civile 1.

Si l'on écarte les présents d'usage et certaines donations faites pour aider à l'établissement d'enfants ou de parents proches, on peut dire que toute donation est un acte suspect aux yeux du législateur qui a dû prendre d'infinies précautions pour empêcher la fraude d'user des mille moyens qu'elle sait mettre à son service, pour décider l'individu à se dépouiller, à dépouiller sa famille au profit de tiers aussi peu intéressants que peu scrupu leux. De là est venue la définition même de la donation et cette double condition d'actualité et d'irrévocabilité qui lui est essentielle, de là les multiples incapacités propres à cette matière, de là les règles de fond qui singularisent ce contrat au milieu de tous les autres; de là même a découlé cette exigence de formes solennelles, exigence si rigoureuse que la pratique a dù admettre qu'elle pouvait être éludée.

Dans la matière des testaments l'esprit est le même, et cela explique le grand nombre des règles communes à ces deux modes de disposer des biens à titre gratuit. Le nombre des précautions prises est pourtant moins grand. Déjà, parce qu'il est révocable, le testament est moins dangereux que la donation irrévocable. Puis le testament est unilatéral, il peut aisément être clandestin et se passer de toute immixtion de tierces personnes, puis il est l'expression d'une liberté plus sacrée, le droit appartenant à l'homme, qui sent que son heure est proche, de distribuer ses biens de la façon la plus convenable entre ceux qui se partagent son affection. Tous ces motifs justifient une la

1 Sur cette matière, bien injustement négligée par les auteurs, on consultera avec fruit la monographie de M. Théodore Missir : Des donations entre vifs en droit international privé, Paris, Rousseau, 1900.

titude plus grande dans la matière des testaments. Ce n'est pas à dire cependant que le législateur y ait abdiqué son rôle de tuteur des intérêts particuliers de ses sujets.

L'empire de la loi personnelle pour tout ce qui concerne la capacité de donner et de recevoir est trop évident pour qu'il soit nécessaire de le justifier. Une observation doit être faite cependant. Beaucoup de ces incapacités (celles que l'on appelle relatives) se présentent sous la forme double d'une incapacité de donner et de recevoir entre deux personnes déterminées, le mineur et son tuteur, le malade et son médecin, le père naturel et son enfant. Il est possible que les deux personnes intéressées aient des statuts personnels différents, voire même contradictoires. Lequel l'emportera? La controverse règne sur ce point, bien à tort à la vérité, car il n'est douteux pour personne que ces diverses incapacités ont été créées comme autant de garanties pour la liberté du donateur. C'est donc le seul statut du donateur qui est compétent dans ces hypothèses. La loi du donataire ne recevra son application que dans les cas d'incapacité créée dans l'intérêt du donataire. A cette classe appartient le cas du mineur qui ne peut recevoir par donation ou testament sans une autorisation du conseil de famille. On a voulu lui permettre d'échapper à des libéralités trop onéreuses ou peut-être compromettantes; c'est évidemment à son législateur national que revient la tâche de décider dans quelle mesure une semblable protection lui est nécessaire.

169) Passons aux règles de fond. Les donations entre vifs nous en offrent tout d'abord une qui est capitale et de laquelle découlent à peu près les traits caractéristiques du contrat de donation, la règle de l'actualité et de l'irrévocabilité. Il a été commis à son égard les méprises les plus étranges et les moins intelligibles. Parce qu'il ne s'agit pas ici précisément d'une règle de capacité, on a écarté sur ce point l'autorité du statut personnel et, quand il s'est agi de trouver la loi compétente, on a eu recours aux sys

tèmes les plus extraordinaires pour lui donner qualité. Certains auteurs s'attachent à cette circonstance, que la donation est un contrat et soumettent le principe d'irrévocabilité soit à la loi choisie par les intéressés, soit à la loi du lieu où l'acte est fait par interprétation de cette volonté. Il faut fermer les yeux avec une singulière énergie sur les intentions du législateur et sur le sens de son œuvre, pour soutenir en droit international une opinion qui remet à la libre volonté des intéressés un principe qui en droit intérieur domine absolument cette volonté.

La pratique et avec elle un second groupe de jurisconsultes incline à appliquer ici, comme sur tant d'autres points, le droit des successions. C'est encore une méprise grossière. Quel rapport y a-t-il entre un acte voulu et convenu par les intéressés, soumis dans leur propre intérêt à des conditions rigoureuses, et un régime légal établi pour avoir son effet lorsque le de cujus n'a exprimé aucune volonté, lorsqu'il s'agit par suite de régler la dévolution de son patrimoine conformément à ses affections et à ses inten

1 Baudry-Lacantinerie et M. Colin, Donations, I, p. 707. Il est impossible d'altérer le caractère d'une loi plus que ne le fait cette solution. On sait les précautions minutieuses prises par le législateur pour déjouer les fraudes qui tenteraient de porter atteinte au double principe de l'actualité et de l'irrévocabilité. Faire dépendre de la volonté des intéressés l'application de ce principe aux rapports internationaux c'est, en réalité, lui ôter toute sa force, c'est renoncer à maintenir le juste empire du droit sur ce point.

2 C'est l'idée la plus répandue en doctrine et en jurisprudence. Brocher (Droit international privé, t. II, pp. 1 et 33) va jusqu'à étendre aux incapacités en matière de donation les règles traditionnelles propres aux successions. Il base sa théorie sur la relation étroite qui unirait ces deux institutions juridiques et affirme qu'il y aurait anarchie si on les séparait. Cette raison nous touche peu. Entre un acte normal de disposition tel que la succession et un mode exceptionnel et suspect comme la donation il ne saurait exister, à notre avis, qu'une parenté des plus éloignées, n'autorisant en aucune façon le raisonnement par analogie. Dans le même sens, v. Rolin, Principes, t. II, pp. 351 et suiv. Contrà de Bar, Theorie und Praxis, t. II, pp. 110 et suiv., qui, suivant sa coutume, a très bien démêlé le but social du droit des donations et la règle de compétence internationale qui y correspond, et Missir, loc. cit., pp. 107 et suiv. La jurisprudence française est favorable à l'assimilation.

tions présumées. Le testament sera, dans cette opinion, le pont qui reliera ces deux institutions bien différentes, pont bien fragile et liaison bien insuffisante, puisque dans la théorie juridique les différences qui séparent ces deux actes sont plus nombreuses encore et plus profondes que leurs ressemblances. Une analogie éloignée, incertaine, discutable, ne saurait servir de base à une construction juridique de cette importance, surtout lorsqu'il suffit d'interroger le sens de cette grande règle de l'irrévocabilité pour voir que son but a été de protéger le donateur contre sa propre faiblesse, contre les séductions dont il sera fréquemment l'objet 1.

Nulle part l'idée de protection n'est plus apparente, nulle part la compétence de la loi personnelle du donateur plus certaine et plus solide. Il est logique que l'idée qui domine le principe domine aussi les conséquences. Dans le ressort du statut personnel du donateur nous ferons donc rentrer toutes les règles qui ne sont que l'application et le développement du principe, la prohibition des donations de biens à venir et les exceptions à cette prohibition admises par faveur pour le mariage, la proscription des conditions potestatives dans la donation, la limitation des dettes qui peuvent être imposées au donataire, enfin même la nécessité de l'état estimatif en matière de donations mobilières, car il est impossible d'y voir autre chose qu'une précaution prise pour empêcher que l'on ne tourne, dans une certaine hypothèse, la règle de l'irrévocabilité. C'est presque tout le droit des donations que revendique ainsi la loi personnelle du donateur, car aux exemples cités il faut en

1 Pour les partisans de la compétence de la loi nationale du de cujus en matière de succession, les donations même jointes aux successions sont régies par le statut personnel du donateur (v. Despagnet, Précis, pp. 707 et suiv.). Ce n'est qu'une rencontre fortuite. Aussi longtemps que dans les lois et dans les traités la distinction statutaire des deux successions prévaudra, il sera d'une utilité évidente de combattre cette prétendue analogie, car rien ne s'oppose à ce que, même sous l'empire de cette tradition, on reconnaisse au droit des donations son véritable ca

ractère.

core joindre les causes de révocation des donations. (inaccomplissement des conditions, ingratitude, survenance d'enfants), non pas qu'elles constituent, comme l'ont dit maladroitement les rédacteurs du code civil, des exceptions à la règle de l'irrévocabilité, mais parce qu'elles ont été conçues, elles aussi, dans l'intérêt du donateur.

On ne voit guère comme échappant à notre règle générale que les règles posées pour la sûreté des transactions, par exemple la transcription des donations portant sur des immeubles susceptibles d'hypothèques.

Le testament étant par essence un acte révocable, il n'était pas besoin d'accumuler, dans l'intérêt du testateur, les précautions. L'idée de protection n'est pas absente, cependant, de ce domaine. Elle a son expression dans les règles sur la capacité, sur la forme des actes de dernière volonté (où nous la verrons affaiblie par l'application de la maxime locus regit actum), enfin, dans certaines prohibitions, celle du testament conjonctif par exemple. Ici ce sont les statuts personnels respectifs des deux testateurs qui viennent en conflit. Si l'on suppose que l'un des deux admet cette forme de testament et que l'autre la repousse, le conflit existe. Il sera cependant assez facile à lever. Comme dans le testament conjonctif, chacune des deux institutions est la condition de l'autre, il suffira que l'une des deux ne soit pas valable pour que l'autre doive tomber également.

170) Ce serait ici le lieu de parler de la quotité disponible et de la réserve que nous considérons comme rentrant dans le même domaine du statut personnel, mais ces institutions se rattachent par des liens plus intimes au droit des successions et il vaut mieux en ajourner l'examen. Ce n'est pas que l'on ne rencontre en notre matière certaines règles d'ordre public, et je considérerais sans peine comme telle la prohibition des conditions immorales ou illicites dans les donations et les testaments,

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