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à juger ici. Cette seconde exception ne paraît pas devoir être poussée aussi loin que la précédente. Elle n'est pas absolue. Certaines incapacités prononcées comme accessoires de condamnations criminelles visent bien moins le châtiment du coupable, que la protection de certaines personnes soumises par la loi à son autorité et qui auraient à souffrir de l'état de dégradation morale dans lequel il est tombé. Ce sont en quelque sorte des déclarations d'indignité à notre avis, elles devraient être soumises au droit commun des incapacités. Telle est la déchéance de la puissance paternelle instituée par la loi de 1889, telles seraient toutes les mesures prises par souci des intérêts de la famille du condamné 1.

En général donc et sauf ces quelques exceptions, le statut personnel comprend toutes les incapacités: mais son domaine s'étend beaucoup plus loin encore, non par une simple analogie, mais parce que l'idée de protection individuelle couvre un terrain beaucoup plus vaste que celui de la simple capacité.

164) Les lois d'incapacité, réserve faite des quelques exceptions que nous venons de mentionner, sont toutes des lois de protection, mais la réciproque n'est pas vraie, toutes les lois de protection ne créent pas des incapacités. Celles-ci sont des mesures de protection qui se réalisent par l'interdiction portée contre une personne de faire un

La jurisprudence (Aix, 13 novembre 1897, Cl. 98, p. 558; Paris, 25 avril 1899, Cl. 99, p. 823; v. cep. Trib. Seine, 20 juin 1896, Cl. 96, p. 1055) n'hésite pas à appliquer la loi du 24 juillet 1889 aux étrangers résidant en France, lui donnant ainsi un effet territorial. Ces arrêts doivent être approuvés, au moins s'il s'agissait d'enfants ne trouvant pas dans leur statut personnel la protection qui leur était nécessaire. Mais il n'en demeure pas moins vrai qu'elle est, par nature, applicable aux Français à l'étranger. Nous nous trouvons ainsi en présence d'une loi à la fois extraterritoriale et territoriale. C'est un cas tout à fait exceptionnel et comme cette exception a pour objet de donner une protection plus complète aux enfants qui en ont le plus urgent besoin, elle doit être admise. Cf. notre étude sur la Déchéance de la puissance paternelle, Cl. 1892, pp. 5 et suiv.

acte juridique soit avec une personne quelconque, soit avec une personne déterminée. Or ce moyen n'est pas le seul qu'emploie le législateur pour garantir l'individu des conséquences préjudiciables que peut entraîner sa faiblesse ou le danger particulier à sa situation. La nullité édictée dans l'intérêt de la personne peut tenir non pas à la condition de la personne ou à la gravité seule de l'acte accompli, par exemple à l'époque où l'acte a été fait (comme dans les traités passés par le pupille devenu majeur avec son ancien tuteur) ou à toute autre circonstance de nature à faire douter de la légitimité du consentement exprimé.

Mais il faut aller plus loin. La protection de l'individu ne se réalise pas seulement par l'annulation des actes faits contrairement aux prescriptions de la loi. D'autres moyens sont employés par le législateur qui, sans être aussi radicaux, concourent efficacement à cet objet. Souvent il arrive que la loi, sans prohiber un acte, le soumette à des conditions plus ou moins rigoureuses, à certaines formes, par exemple, ou à l'approbation de certaines personnes, ou encore qu'elle permette à l'auteur de cet acte de le révoquer, s'il juge bon de ne pas le maintenir, tout cela parce que les intérêts de la personne que l'acte intéresse paraîtraient exposés, si l'on se bornait à faire application à cet acte du droit commun.

165) Quel que soit le moyen employé, lorsque le but de la loi est le même, son effet doit aussi être le même au point de vue international. Toujours il demeure vrai de dire que les lois de cette sorte ont besoin de cette continuité qui est la première qualité de toute mesure prise pour la protection de la personne, donc qu'elles sont extraterritoriales. En raisonnant ainsi nous nous séparons à la fois de la doctrine des statuts et de l'école italienne moderne; de la doctrine des statuts, parce que bien loin d'opposer les lois qui concernent la personne aux lois qui concernent les biens, nous pensons que ces dernières doivent être jugées

d'après les relations qu'elles présentent avec la personne elle-même ; de l'école italienne, parce que si nous décidons que ces lois sont personnelles, ce n'est point du tout en vertu d'une règle générale applicable, sauf exceptions, à des lois quelconques, mais parce qu'il faut que ce caractère leur soit reconnu pour assurer leur effet.

166) Cette extension rationnelle du domaine de la personnalité est sans doute l'un des traits caractéristiques de notre doctrine, un de ceux aussi qui doivent la recommander, car elle évite, grâce à son principe, des inconséquences que la doctrine commune est obligée de supporter. En voici un exemple. L'institution de la tutelle est un corollaire de l'incapacité générale du mineur ou de l'interdit. Le tuteur chargé de la gestion du patrimoine de l'incapable agit pour lui et le représente dans tous les actes de la vie civile qui doivent être accomplis pour le compte du pupille. Mais les pouvoirs du tuteur ne sont pas eux-mêmes illimités. Dans notre système français, il ne peut pas faire seul les actes les plus importants, il lui faut parfois l'autorisation du conseil de famille, parfois, en outre, l'homologation du tribunal, ou bien encore on l'oblige à suivre certaines formes déterminées.

Il est évident que toutes ces dispositions poursuivent un objet analogue. Si le mineur n'était pas lui-même incapable, si l'on n'avait pas été obligé de désigner un tiers pour s'occuper à sa place de la gestion de son patrimoine, aucune de ces dispositions ne se comprendrait. Il y a donc entre elles une unité très apparente, la similitude du but à atteindre, et l'on concevrait avec peine que des règles aussi voisines les unes des autres fussent soumises à un régime international différent.

C'est ce qui arrive cependant dans notre pratique française. En général nos tribunaux admettent sans difficulté que la loi de la tutelle, qui est la loi personnelle du mineur, définit les pouvoirs du tuteur et, par suite, les conditions qu'il devra remplir pour que les actes par lui faits soient

valables. En cela ils se montrent peu conséquents avec eux-mêmes et cèdent inconsciemment aux raisons qui sont à la base de notre doctrine. Il ne s'agit, en effet, pas ici des actes d'un incapable, mais des actes d'une personne parfaitement capable, le tuteur. Si l'on étend aux uns la règle internationale posée pour les autres, c'est que tous poursuivent un même but, assurer au mineur ou à l'interdit la protection dont il a besoin.

Mais précisément, parce qu'elle s'appuie sur une simple analogie et non pas sur une idée générale bien certaine et bien nette, notre jurisprudence, au risque de commettre une seconde inconséquence, hésite beaucoup à appliquer la loi personnelle du mineur aux formes des actes concernant le mineur. Ce point est un des derniers refuges de la territorialité ancienne. La jurisprudence anglaise, plus fidèle aux traditions, n'hésite pas, quand il s'agit d'immeubles, de prescrire à des incapables étrangers l'observation des formes établies par les lois de la situation 1. Sur le continent on parlera plus volontiers dans ce cas de la règle locus regit actum dont l'application aboutit le plus souvent au même résultat, les actes concernant les immeubles étant faits d'ordinaire aux lieux où ces immeubles sont situés ?.

1 La jurisprudence anglaise n'admet même pas un tuteur à gérer la fortune immobilière de l'incapable s'il n'a pas été nommé en Angleterre ou si, au moins, sa nomination, faite à l'étranger, n'y a pas été confirmée. De Bar attribue ces particularités à l'influence que le droit féodal n'a pas cessé d'exercer sur la pratique anglaise (Theorie und Praxis, t. I, pp. 570 et suiv.).

2 V. en ce sens un article fort intéressant dans Cl. 1880, pp. 292 et suiv. L'auteur se place surtout au point de vue des difficultés de fait que présente la solution contraire. Ce système est celui des traités du 15 juin 1869 avec la Suisse et du 1er avril 1874 avec la Russie. En faisant intervenir dans une matière concernant la protection de la personne une règle inventée exclusivement en vue de faciliter aux étrangers la pratique du commerce international, on détourne (Weiss, Traité théorique et pratique, t. III, pp. 337 et suiv.) la règle de son domaine traditionnel d'application. Il n'appartient pas à la loi du lieu où l'aliénation d'un bien de mineur est faite de dire si elle se passera en justice ou si elle pourra être amiable. Il lui appartient de déterminer les formes qui devront être suivies dans le cas où, d'après la loi personnelle

Partant de ce principe on imposera aux incapables étrangers l'accomplissement de formalités coûteuses, celles d'une vente aux enchères, par exemple, ou encore d'un partage en justice, alors même que leur législateur national juge inutile de les y soumettre. On aura ainsi l'exemple de personnes plus amplement protégées à l'étranger qu'elles ne le sont dans leur pays, résultat que nul système rationnel de droit international privé ne saurait admettre '.

167) L'extension normale de la compétence du statut personnel à toutes les lois qui visent à la protection de la personne soumise à leur empire engendre une foule de conséquences intéressantes. Un examen rapide de ces conséquences sera de nature à nous fixer sur le domaine véritable du statut personnel. La doctrine courante limite cet empire au droit de la famille et à la capacité. Nous montrerons qu'il s'étend aussi aux contrats, aux dispositions à titre gratuit, aux successions. Laissons de côté pour le moment les contrats et aussi ce qui concerne la forme des actes, ces matières devant être traitées dans des chapitres séparés, et attachons-nous aux applications de notre doctrine que provoquent la matière des dispositions à titre gratuit et celle des successions.

168) Les actes de disposition à titre gratuit sont le grand domaine du statut personnel et il est d'autant plus utile

de l'incapable, cette aliénation ne pourra être que judiciaire. Dans sa compétence ordinaire, la règle locus regit actum ne décidera pas si des formes particulières seront suivies, mais seulement en quoi consisteront ces formes lorsque la loi de la tutelle en aura commandé l'observation (v., en ce sens, de Bar, Theorie und Praxis, t. I, pp. 573 et suiv.).

1 Conformément à ces principes, nous admettons sans hésitation que des biens situés en France et appartenant à des mineurs italiens pourront être valablement partagés entre eux sans recourir aux formes du partage judiciaire. (En ce sens, décision de la Direction générale du registre foncier (Espagne), 7 décembre 1894, Cl. 96, p. 675; également, Trib. de paix, Medenblik, 20 janvier 1893, Cl. 96, p. 683; Contrà Arlon, 1er mars 1894, Cl. 95, p. 171.)

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