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validité ou de l'invalidité du droit, mais non pas de l'effet qu'il peut produire sur un bien situé à l'étranger et que Paul Voet restreint son efficacité aux biens situés dans le ressort de la coutume du domicile 1.

Les ouvrages anciens sont remplis de controverses de détail sur la nature réelle ou personnelle de tel ou tel statut. Leurs auteurs se sont usés dans des escarmouches de tirailleurs, victimes d'un principe par trop étroit et de l'entêtement qu'ils mettaient à le soutenir.

162) La lutte n'a pas cessé sur ce terrain des lois de capacité, mais les conditions en ont changé. Aujourd'hui on ne doute plus que le statut personnel de capacité n'ait effet sur les immeubles comme sur les meubles. Personne en France ne s'aviserait de soutenir que l'art. 3, § 2, du code civil exige de la personne qui dispose d'un immeuble la capacité requise par la loi de la situation. On concédera volontiers la personnalité même aux lois de capacité qui concernent exclusivement les immeubles (comme les lois sur le régime dotal 2), mais la lutte entre la personnalité

1 Les réalistes de l'école de d'Argentré traitaient le statut personnel comme Argan le compte de son apothicaire. Ils l'admettaient pour le principe sauf à chicaner sur chaque article, afin de réduire à néant la concession faite d'abord. La distinction des incapacités générales et spéciales, qui fut pour eux un article de foi, repose sur un pur prétexte, l'allégation que les unes modifient la condition de la personne, les autres non. Quant à leur prétention d'exclure du statut personnel tout ce qui touche aux biens, elle ne tiendrait à rien moins qu'à ruiner entièrement la personnalité des lois de capacité. Les opinions particulières rappelées au texte ne sont pas les seules qui se soient produites (cf. Lainé, t. II, pp. 114 et suiv.): il semble que, parmi les jurisconsultes hollandais surtout, c'était à qui découvrirait les pires subtilités pour priver le statut personnel d'une plus grande partie de son effet. On doit convenir de ce fait que Dumoulin, quoique plus large, n'allait pas jusqu'à reconnaître un effet extraterritorial à tous les statuts concernant l'état et la capacité. Il ne décidait ainsi que pour ceux qui lui semblaient conformes à la vis juris communis. C'est sans doute moins significatif encore que les statuts favorables ou odieux de Bartole et de Balde.

2 La jurisprudence, cependant, n'est pas allée jusque-là : elle tient l'inaliénabilité dotale pour réelle, bien qu'en droit intérieur on soit d'accord pour y voir une incapacité bien plutôt qu'une indisponibilité.

et la réalité subsiste cependant. Les réalistes de nos jours n'invoquent plus le dogme de la territorialité immobilière, ils s'appuient avec trop de complaisance sur le respect dû à l'ordre public. C'est ainsi, on le sait, que notre jurisprudence interprète l'art. 3, § 3, elle admet que la capacité de l'étranger en France est régie par sa loi nationale, mais elle fait céder ce principe dans le cas où le Français a pu ignorer la nationalité de celui avec qui il contractait. Des restrictions de ce genre sont admises. dans les codifications les plus récentes (la loi italienne. exceptée 1). La législation tend visiblement au principe qui se contente d'une capacité reconnue ou par la loi nationale de l'intéressé ou par la loi du lieu où il con

tracte.

1 La tendance générale des législations sur ce point est de proclamer, en principe, la compétence du statut personnel, sauf à regarder l'acte fait comme valable, lorsque la personne qui en était l'auteur remplissait les conditions de capacité requises par la loi intérieure. La compétence de la lex loci actus est bien admise, mais en tant seulement qu'elle aboutit à donner application à la loi du juge saisi. Aussi faut-il attribuer cette exception aux principes moins à la considération de la lex loci actús, qu'à la préférence marquée de tout législateur pour son œuvre. Cette singulière forme de l'amour paternel est, sans contredit, un des plus gros obstacles qui existent à l'établissement d'un bon système de règles touchant la solution des conflits de lois. Elle n'a même pas cette excuse de servir les intérêts de la nation qui l'adopte, car ce que sa loi nationale gagnera chez lui, elle le perdra à l'étranger. Cette tendance n'est pas nouvelle. Le code prussien, 2 35, et le code autrichien, 235, entre la loi personnelle de l'étranger et la loi locale, en tant que lex loci actús, donnent la préférence à celle qui favorise davantage la validité du contrat. Il en est de même du code suisse des obligations art. 822, du code civil saxon 227 et 8, du code civil grec art. 4, et de quelques autres encore. A plus forte raison les législations qui, comme le code civil hollandais, paraissent (v. Asser dans la R. D. I., 1869, pp. 113 et suiv.) soumettre les étrangers au même droit que les nationaux (art. 9) laissent-elles au juge la faculté d'admettre un système semblable. Parmi les législations les plus récentes, les unes, comme les codes civils italien et portugais, admettent une égalité complète entre étrangers et nationaux (ital., art. 6; port., art. 27). Le code civil allemand est conforme à l'ancien code prussien. Pour les actes conclus par un étranger en Allemagne, il suffit de la capacité exigée par la loi allemande, si celle-ci est plus large que le droit national de l'étranger (art. 7). En outre, la loi allemande peut devenir applicable en cas de renvoi (art. 27).

Il est assez curieux de voir renaître à notre époque cette compétence de la lex loci actus en matière de capacité, qui fut autrefois prépondérante en Angleterre et qui y tient actuellement encore une certaine place. On en attribue l'origine à une méprise, à une confusion faite entre la lex loci contractus et la lex fori. Comment expliquer sa récente résurrection? Incontestablement par le souci du crédit public qui préfère les actes valables aux actes nuls, et ne peut que profiter de toutes les concessions faites sur la rigueur du droit dans l'intérêt de la validité des actes juridiques. Cette explication est-elle suffisante? Je ne le crois pas et, bien que cette atténuation aux principes ait gagné le suffrage de bons jurisconsultes, je la rejetterai. Elle a un tort capital à mes yeux, celui d'affaiblir et presque d'annihiler la force obligatoire de la loi. C'est un résultat parfois inévitable en droit international, mais qui doit être soigneusement écarté quand on le peut, car rien n'est plus dangereux que cela. Se contenter, pour la validité d'un acte juridique, de la capacité exigée par la loi du lieu où l'acte est fait, c'est permettre à tout incapable de faire tomber les liens enchaînant sa volonté, en contractant dans un pays quelconque où son incapacité n'existe pas. C'est donc lui permettre de se jouer de la condition exceptionnelle que son législateur national lui a imposée, parce qu'il la croyait nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts. C'est rendre cette sauvegarde inutile.

On allègue le danger qu'il y a à traiter avec un étranger dont on ignore et la loi personnelle et l'incapacité possible. Ce danger existe, mais on ne doit pas l'exagérer. Il n'existe que pour les actes d'une certaine importance et, à l'occasion de ces actes, il est d'usage de se renseigner sur la personne avec laquelle on contracte. Ce même danger existe, du reste, dans le commerce intérieur et pourtant en aucun pays on n'a considéré qu'il fût de nature à faire priver de leur effet légal les lois sur les incapacités. Il peut être difficile de savoir si l'étrangère avec laquelle on

contracte est mariée ou ne l'est pas, mais il n'est pas moins difficile de le savoir d'une compatriote et cependant celte considération n'a jamais empêché cette dernière d'invoquer son incapacité. Pourquoi en serait-il autrement dans le premier cas1? Ces retours à la lex loci actus sont moins inspirés par le juste souci du crédit public, que par la préférence irraisonnée que les juges et le législateur lui-même tendent à donner à leur propre loi sur les lois étrangères 2.

↑ Il paraîtrait plus raisonnable de revendiquer les droits de la souveraineté territoriale quant aux mesures de publicité qui doivent accompagner la création de certaines incapacités. En exigeant qu'elles aient été accomplies dans un pays pour que l'étranger puisse s'y prévaloir de son incapacité, on ne ferait qu'appliquer les principes, car ces lois sont indubitablement territoriales. Il est curieux d'observer que la jurisprudence ne maintient pas cette exigence.

2 La jurisprudence française prend comme point de départ cette idée, que l'art. 3, 3, du code civil n'ayant pas parlé de l'état et de la capacité de l'étranger en France, a par là même laissé au juge la liberté d'apporter à la personnalité des lois de cette sorte certaines atténuations que le texte de l'article ne permettrait pas, s'il s'agissait du Français à l'étranger. Voyons ce que sont ces atténuations, en laissant de côté le cas de fraude, exception universellement admise. Dans son arrêt du 17 juillet 1833 (S., 33-1-663) la Cour de cassation admet que tout acte fait en France, conformément aux lois françaises, doit y être tenu pour valable; elle dit, en outre, que le Français contractant ne doit pas souffrir de l'application de lois étrangères qu'il ne connaissait pas et qu'il ne pouvait pas connaître. L'année suivante, la Cour de Paris (17 juin 1834, S., 34-2-371), statuant dans le cas d'un mineur étranger, majeur suivant les lois françaises, reconnaît au mineur le droit d'invoquer dans sa patrie les lois de sa patrie, mais lui refuse, en France, le droit d'opposer à un Français des lois étrangères qu'il n'a pas dû connaître et qui, par conséquent, ne sont pas obligatoires pour lui. Dans un autre arrêt (15 octobre 1834, S., 34-2-657) la même Cour admet que l'on est autorisé à considérer comme Français soumis aux lois françaises l'étranger domicilié en France. Ces deux décisions ont été rendues en matière commerciale. Dans la célèbre affaire Lizardi (Cass., 16 janvier 1861, S., 61-1-305) la Cour avance que si, en principe, le statut personnel de l'étranger peut être reconnu en France, ce n'est qu'autant qu'il ne peut en résulter ni erreur ni surprise pour un contractant de bonne foi. Cet arrêt a fixé la jurisprudence qui, dès lors, a toujours subordonné aux circonstances de fait la validité ou la nullité de l'engagement pris en France par l'incapable étranger (v., par exemple, Paris, 8 février 1883, S., 83-2-169), tenant compte, le plus souvent, de l'importance plus ou moins grande de

Un seul cas doit être réservé, le cas de fraude qui fait l'objet d'une exception admise par le droit antérieur1.

163) Naturellement il ne saurait être question, de nos jours, des restrictions fantaisistes apportées par les statutaires à l'effet extraterritorial des lois de capacité. On admet pourtant que les incapacités sont, par exception, territoriales, lorsqu'elles ont une origine ou politique ou pénale. La première de ces exceptions est tout à fait justifiée, elle l'est dans notre système mieux que dans tout autre. Puisque les lois sur la capacité ne sont personnelles que parce qu'elles tendent à la protection de la personne, il est logique de refuser cet effet à celles qui s'inspirent non d'une idée de protection pour la personne, mais de considérations politiques propres au pays qui les a émises et qui ne jouent aucun rôle dans le commerce international. La territorialité des incapacités pénales tient à d'autres raisons. C'est une face de la territorialité des peines, principe traditionnel certain que nous n'avons pas

l'acte incriminé ainsi que de la bonne ou de la mauvaise foi des parties (v., par exemple, Trib. Seine, 2 juillet 1897, Cl. 98, p. 363; Paris, 16 novembre 1898, Cl. 99, p. 364, et surtout Cass., 29 juillet 1901, Cl. 1901, p. 971, arrêt remarquable aussi en ce qu'il a cassé la décision de la Cour d'appel, pour n'avoir pas pris en considération la loi étrangère, encore qu'aucun texte ne commandât son application). Au point de vue de la méthode, cette jurisprudence ne se défend pas. En admettant même que dans le silence de l'art. 3, 3, l'étranger ne doive pas être considéré comme ayant un droit absolu à l'application de son statut personnel, cette circonstance ne saurait autoriser les juges qu'à se référer ou aux traditions historiques ou à quelque principe universellement admis. Or leur système n'a aucune racine dans la doctrine des statuts et il compte parmi les solutions les plus contestées. C'est, en réalité, une solution nouvelle en France, et l'on reconnaît sans peine la théorie antijuridique de la préférence accordée à l'intérêt français, théorie mitigée et obscurcie par des considérations d'équité indéfiniment variables.

↑ Il y a fraude lorsque l'incapable a recouru à des manœuvres dolosives pour faire croire à sa capacité. Il ne suffirait pas, d'après notre jurisprudence, qu'il eût pris dans un acte la qualité de majeur (Tunis, 12 juin 1896, Cl. 98, p. 548).

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