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Les pouvoirs des représentants de la personne morale dépendent à la fois et de l'objet de la société, c'est-à-dire du contrat d'association, et de la loi qui limite les droits qu'il est permis à des associés de déléguer à leur mandataire commun. Mais ce qui prouve bien que cette loi n'a rien ici d'un statut personnel c'est que, dans chaque pays, elle n'est faite que dans l'intérêt de l'ordre public. Elle s'applique cependant dans tous les pays où les représentants de la personne déploieront leur activité, et la raison en est simple. Les pouvoirs de ces représentants ont leur source dans le mandat qu'ils ont reçu et l'étendue de ce mandat dépend elle-même de la loi sous l'empire de laquelle il a été donné. Ils agissent non pas en vertu de la prétendue capacité d'une personne inexistante, mais en vertu d'un droit régulièrement acquis, lequel mérite d'être respecté partout, mais dans les limites seulement où il a été acquis1.

Dans l'hypothèse, l'application de la loi étrangère est due non pas à sa personnalité, mais à l'effet international de sa territorialité. On voit donc qu'à bien examiner les choses, on est fort loin ici de l'état de fait qui a motivé la création du statut personnel.

1 Cette façon d'envisager les choses ne détruit pas l'intérêt de la célèbre question de la nationalité des sociétés. Bien qu'il soit peu exact de parler de nationalité ou de domicile en cette matière, ces notions ayant été créées pour les individus et non pas pour les personnes morales, il faut savoir où une société a été fondée, quel a été son siège initial, car l'étendue des droits de la personne morale dépend, en premier lieu, des lois en vigueur dans ce pays. La difficulté de la question est célèbre (cf. Despagnet, Précis, pp. 116 et suiv.; Thaller, Droit commercial, p. 425). Quel que soit le parti que l'on adopte sur ce point, nous remarquerons que la prétendue nationalité (ou le prétendu domicile) de la personne morale est immuable. Elle aura beau déplacer ses établissements, il sera toujours vrai qu'elle a été fondée dans un certain pays dont la législation mesure (dans la limite où ils ne sont pas abandonnés à la volonté des parties) les droits dont elle jouit. S'il fallait absolument parler ici de statut personnel, nous dirions qu'une société ne peut avoir qu'un statut personnel d'origine.

CHAPITRE XII

Du domaine du statut personnel.

160. Criterium de la loi de protection individuelle.

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161. Lois d'état et de capacité. 162. Aspect moderne de la controverse sur la personnalité et la réalité des statuts; la lex loci actus. 163. Exceptions à l'extraterritorialité des lois de capacité. 164. Les lois de protection ne créent pas toujours des incapacités. -165. Elles sont toujours extraterritoriales. — 166. Avantage de cette extension du domaine de la personnalité. Exemple de la tutelle. 167. Applications de notre doctrine. 168. Donations et testaments. 169. Compétence attribuée à la loi personnelle du disposant. 170. Conditions immorales et illicites. - 171. Substitutions fidéicommissaires. 172. Donations entre époux. — 173. Effets des dispositions à titre gratuit. - 174. Des successions. Évolution des idées. 175. Les lois successorales, lois de protection individuelle. 176. De la réserve. 177. Indignité. Incapacités en matière successorale. — 178. Des rapports. - 179. Dérogations à la personnalité des lois successorales; lois de crédit public, etc. 180. Autres matières ou institutions soumises au statut personnel; conventions, hypothèque légale de la femme mariée, etc. 181. Égalité des deux statuts personnel et réel dans notre doctrine. Quid? en législation.

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160) Ce chapitre sera consacré à des applications de la doctrine précédemment exposée. Nous nous bornerons, du reste, à donner quelques directions générales car, pour réunir toutes les applications dont la compétence du statut personnel est susceptible, un simple chapitre ne suffirait pas, il faudrait un livre. Au moins essaierons-nous de grou

per dans ces quelques pages les conséquences les plus caractéristiques de nos principes. Nous avons déjà montré fort brièvement ce que sont ces lois de protection individuelle qui constituent le domaine propre au statut personnel. Revenons à cette matière pour l'examiner de plus près.

La caractéristique commune à ces lois est qu'elles réalisent leur effet utile en la personne qui subit leur application. Le bien social, objet nécessaire de toute loi, se réalise par l'intermédiaire de l'avantage particulier de la personne qui subit directement l'effet de la loi . En tant que ces lois imposent à la liberté une limitation, à la conduite. une direction, au silence lui-même une interprétation déterminée, il faut que l'on puisse dire que le législateur ne demande à l'homme qu'un sacrifice intéressé et dont il recueillera lui-même le fruit, pour que la loi doive être

1 Le principe de notre doctrine la sépare très nettement ici, soit de la jurisprudence française, qui limite le domaine du statut personnel aux lois concernant l'état et la capacité de la personne, soit surtout de la pratique anglaise qui est restée, comme on sait, la gardienne. la plus fidèle des traditions statutaires. La jurisprudence anglaise présente en cette matière deux caractères bien particuliers, relatifs l'un à la détermination du statut personnel, l'autre à l'étendue de son empire. Sur ce dernier point on remarquera ceci : 1° les puissances paternelle et maritale réputées, chez nous, comprises dans le statut personnel, sont, en Angleterre, soumises à la loi territoriale (Dicey, Digeste, Règles 127 et 128. A bien examiner ces deux règles, la différence paraîtra ici plus apparente que réelle); 2o les droits des parents sur les biens meubles de l'enfant sont, bien qu'un doute existe sur ce point, probablement réglés par la loi territoriale (R. 129). La même compétence est certaine s'il s'agit d'immeubles (R. 138); 3° le gardien d'un mineur, tuteur ou curateur n'a, en Angleterre, que l'autorité qu'il plaît à la Cour de lui reconnaître (R. 130); il ne peut disposer ni des immeubles (R. 138), ni peut-être même des meubles (R. 132) appartenant à son pupille en Angleterre (cf. pour les aliénés les R. 135 et 136); 4° la capacité en matière immobilière dépend de la loi de la situation (R. 138 et Commentaire, p. 517); 5° bien que la capacité en matière mobilière soit, en général, de la compétence de la loi du domicile, les actes faits pas une personne capable, d'après la loi de la situation, sont tenus pour valables (R. 141). On ne peut méconnaître le défaut d'une telle variété. Elle engendre l'incertitude du droit et lui fait perdre une notable partie de sa force dans les relations internationales. (Cf. Westlake, International law, ch. II et II.)

comptée parmi celles que nous appelons lois de protection individuelle. Que si, au contraire, le sacrifice imposé à l'un profite à tous les autres, s'il n'est pour celui qui le supporte qu'une charge sans compensation particulière, la loi est de garantie sociale et appartient au domaine du statut réel. Appliquons ces idées aux divers rapports soumis à la juridiction du statut personnel.

161) Lois d'état et de capacité. - Les premières lois à nommer dans cet ordre d'idées sont celles qui concernent l'état et la capacité des personnes, car c'est à leur sujet que l'empire du statut personnel s'est imposé tout d'abord et n'a jamais cessé de rallier l'unanimité des suffrages. Les lois d'état sont de toutes celles dont le caractère extraterritorial est le moins discuté. Pour les statutaires, elles avaient cette qualité de concerner la personne. aussi directement, aussi exclusivement que possible; pour nous elles présentent très nettement le caractère de lois d'intérêt individuel. Les lois d'état sont des lois de classement qui président à la distribution des individus dans la société. Si elles intéressent la société, ce qui est incontestable, elles intéressent bien davantage les individus auxquels elles s'adressent, étant pour eux le principe de leurs droits et de leurs devoirs. Un classement social est la première protection due par le législateur à l'individu. En cette matière la compétence du statut personnel n'est pas contestée et si l'on peut reprocher quelque chose à la loi, c'est plutôt d'exagérer la portée de ce principe et de le pousser à des conséquences qu'il ne comporte nullement. C'est ainsi que notre jurisprudence refuse de reconnaître la compétence des tribunaux français dans les questions d'état concernant les étrangers, ne consentant à se départir de sa rigueur que lorsqu'elle doit aboutir à un véritable déni de justice. Nos magistrats ont pensé que la compétence exclusive de la loi nationale doit entraîner la compétence exclusive des juridictions nationales. Il n'y a cependant pas de relation nécessaire entre ces deux

termes, et fréquemment le refus de statuer met en fait les intéressés dans l'impossibilité de poursuivre leur droit 1.

Les lois de capacité ont, à notre point de vue, une histoire plus longue et plus illustre que les lois d'état. Elles fournissaient autrefois leur principal champ de bataille aux luttes entre la personnalité et la réalité. Ce champ clos n'est pas encore abandonné aujourd'hui. Et cependant le principe est certain.

Il est clair que les lois de capacité ne peuvent produire leur effet que si on les déclare extraterritoriales. Aussi nos vieux auteurs ne niaient-ils pas leur caractère personnel, ils s'efforçaient seulement d'en réduire autant que possible l'importance. Ils disputaient à cet effet sur l'acception du mot personnel et beaucoup, à la suite de d'Argentré, ne voulaient l'appliquer qu'aux lois concernant la capacité générale de la personne. Puis il ne fallait pas que la personnalité des lois de capacité portât atteinte au dogme trois fois saint de la réalité des lois immobilières et ils exigeaient de leur statut personnel qu'il fût pur de toute matière réelle. De là les statuts mixtes de d'Argentré, de là les divers procédés inventés, particulièrement par l'école hollandaise, pour affaiblir la portée d'une règle que l'on ne pouvait pas ne pas reconnaître, mais dans laquelle on s'obstinait à voir l'ennemie des principes les plus certains du droit. C'est ainsi que Bourgoigne admet que le statut personnel décide de la

Il existe sur ce point, en France, une jurisprudence ancienne et constante. La compétence de la loi nationale a eu ici cet autre effet, de faire déclarer exécutoires sans revision les jugements étrangers rendus en matière d'état des personnes. Il semble que les tribunaux aient voulu marquer plus profondément, au moyen de ces avantages accessoires, la compétence exclusive de la loi nationale en ces matières. En ce qui concerne l'exécution des jugements, ils n'ont fait, à notre avis, qu'appliquer les vrais principes, mais sur la question de compétence ils ont méconnu les nécessités de l'administration de la justice. Il importe surtout au plaideur de saisir facilement le tribunal de sa demande, il lui importe peu d'être jugé en pareille matière par des nationaux ou par des étrangers. La solution de la jurisprudence serait plus intelligible, si le statut personnel dépendait du domicile, car le plaideur jouirait alors du bénéfice des lois ordinaires de la compétence.

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