Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

nationale, forme individuelle du statut personnel, est sujette à varier. Quelle pourra être l'influence de telles variations sur les rapports juridiques soumis à l'autorité de cette loi? Le principe est ici certain. Lorsqu'une personne change de nationalité, elle acquiert un nouveau statut personnel et les droits qui la concernent sont soumis à un régime nouveau, en tant qu'ils appartiennent au ressort de son statut personnel. Mais ce principe, fort simple tant qu'il ne s'agit que de l'appliquer à des rapports de droit nouveaux, postérieurs au changement de nationalité, donne naissance à des questions fort délicates, lorsqu'on entreprend de mesurer son influence sur les droits déjà existants lors du changement de nationalité.

Cette question en comprend elle-même plusieurs. Signalons d'abord un point certain. Le changement de statut personnel n'a pas d'effet sur les actes juridiques antérieurement conclus, à moins qu'il ne s'opère avec effet rétroactif. Conformes au statut personnel antérieur ces actes conservent leur validité, conclus au mépris de cette loi ils restent nuls, même si la loi vient à changer et ne maintient plus ses exigences anciennes. C'est là un point qui concerne la théorie des droits acquis. Il suffit de l'avoir mentionné ici.

Mais la détermination du moment précis, où le statut personnel est appelé à exercer son influence protectrice, peut donner lieu elle-même à difficulté. On nous concédera facilement qu'une loi ne peut pas, à titre de statut personnel, régir les actes d'une personne qui n'est point encore soumise à son autorité. La chose paraît aller de soi:

Il n'en serait autrement que si l'on se trouvait en présence d'une naturalisation frauduleuse. La faculté de changer de patrie peut passer pour un attribut essentiel à la liberté humaine, mais elle ne saurait être purement et simplement un moyen d'échapper momentanément à l'autorité gênante de la loi. On se rappelle la grande place que l'affaire de la princesse de Beauffremont a occupée dans la formation de la jurisprudence française sur ce point. V., notamment, Paris, 27 juillet 1876, S., 76-2-249; Cass., 18 mars 1878, S., 78-1-193.

il fallait la noter cependant, car un parti important de la doctrine prétend faire régir la capacité matrimoniale de la femme, au moins en partie, par la loi nationale du mari. La femme qui se marie n'est pas encore une femme mariée, elle n'a pas la nationalité de son mari, elle ne peut donc pas échapper à l'autorité de sa loi nationale intérieure1. Des difficultés sérieuses ne s'élèvent que pour les rapports de droit qui ont un effet déclaratif. La reconnaissance de l'enfant naturel, sa légitimation sont de ce nombre, aussi est-ce à leur propos que les questions viennent à surgir.

La difficulté en ces matières ne vient pas des principes. Les principes sont certains. Le statut personnel est posé par le législateur comme une barrière limitant la libre. activité de l'homme, au point précis où son exercice menacerait d'ètre préjudiciable à celui-là même qui en jouit. C'est au moment où cette liberté s'exerce, au moment où l'individu exprime ce consentement qui deviendra pour lui la source de droits et d'obligations, que le pouvoir tutélaire du législateur intervient, limitant la portée juridique de l'acte accompli à ce qui lui paraît juste et utile. La protection de la loi s'exercera, dans la mesure où le législateur le juge convenable, au moment où l'individu a besoin de cette protection, c'est-à-dire au moment où il agit. C'est de son statut personnel, tel qu'il existe à ce moment qu'il subira l'empire, car personne ne soutiendra qu'un individu

1 La doctrine dont il est question au texte se recommande de l'autorité grande de MM. de Bar et Brusa qui s'efforcèrent de la faire adopter par l'Institut de droit international à la session de Bruxelles de 1885. Cette thèse n'a pas prévalu, et aux sessions d'Heidelberg (1887) et de Lausanne (1888), l'Institut a reconnu la compétence de la loi nationale de chacun des conjoints, en ce qui le concerne. Le règlement de Lausanne (art. 6) permet aux autorités du pays, où le mariage est célébré, d'accorder les dispenses exigées par la loi nationale des futurs époux. C'est une solution d'expédient, sans nul doute, mais une solution assez malheureuse. Un État porte dans les limites de sa compétence une prohibition, et c'est à un autre État complètement désintéressé dans l'affaire que l'on accorde le droit de décider jusqu'à quel point cette prohibition sera maintenue!

puisse prétendre à être protégé plus ou moins que son législateur national le juge convenable. Les lois de ce genre n'ont en aucune façon leur fondement dans la volonté de l'intéressé, elles sont impératives et une loi n'est impérative que dans la mesure et de la façon déterminées par le législateur au moment où il commande. On exprime parfois ces idées, en disant que les lois sur la capacité sont rétroactives. C'est une bien mauvaise expression étant donné qu'il s'agit ici de sauvegarder l'empire d'une loi existante et nullement d'en faire remonter l'effet à une époque antérieure à celle de sa promulgation. Il vaut mieux dire que le statut personnel n'a rien de patrimonial et ne peut pas faire l'objet d'un droit acquis.

D'autre part il est tout aussi certain, qu'un acte accompli en conformité du statut personnel des intéressés (au moment où il est fait) devient d'une validité immuable et ne peut subir les conséquences des transformations que pourrait subir plus tard ce même statut personnel. L'idée de garantie, qui s'attache à l'existence même de la loi, exige impérieusement cette stabilité1.

158) La difficulté ne vient donc pas ici de l'incertitude des principes, mais seulement de leur adaptation aux espèces encore ne faut-il rien exagérer. Souvent la gravité de la controverse est née du défaut de fermeté de la doctrine. Prenons pour exemple la légitimation. On se demande si la loi qui lui est applicable est la loi existant à la naissance de l'enfant ou celle en vigueur lorsque les parents font l'acte, d'où doit résulter pour lui le bénéfice de la légitimité. Aucun doute ne devrait exister sur ce point. Le statut personnel dont il s'agit représente la mesure de protection que requièrent et l'intérêt de cet enfant et l'intérêt de ceux qui se disent ses parents. A quel mo

1 V. à ce sujet un arrêt de la Chambre des lords (15 décembre 1899, Cl. 1902, p. 866) décidant qu'un changement de nationalité ou de domicile des époux ne peut porter aucune atteinte à leurs conventions matrimoniales.

ment ces personnes ont-elles besoin de la protection de la loi? Évidemment au moment où elles font ce pas décisif qui aura pour résultat de faire entrer un enfant dans une famille à laquelle il était jusque-là resté étranger. C'est donc au statut personnel tel qu'il existe à ce moment-là qu'il appartient de trancher les questions qui surviendront. Et que l'on n'objecte pas l'intérêt des parents ou l'intérêt de l'enfant. L'intérêt des particuliers ne peut servir de base à l'application de la loi, que lorsqu'il concourt avec l'intérêt social, et le législateur est le seul juge de la mesure dans laquelle ce concours se produit et légitime l'établissement d'une loi de protection1.

Les mêmes raisons devraient conduire à la même solution s'il s'agissait d'une reconnaissance d'enfant naturel. Il est tout aussi certain qu'une fois un acte fait, les droits qui en découlent pour les parties ne sauraient recevoir. aucune atteinte du fait du changement de leur statut personnel. C'est l'effet de la garantie que procure l'application de la loi. Mais nous entrons ici dans le domaine de l'effet international des droits acquis. Il est inutile d'anticiper sur une théorie qui viendra en son lieu.

159) On parle quelquefois du statut personnel des personnes morales et l'on ne manque pas d'observer qu'il ne saurait être question, en ce qui les concerne, de compé

1 Au contraire, une action tendant à faire établir la filiation légitime ou naturelle d'un enfant devrait être jugée d'après le statut personnel des intéressés au moment de la naissance de l'enfant. En faveur de cette solution on allègue d'ordinaire qu'il ne doit pas être permis à l'enfant de rendre son action plus facile, au père de la rendre plus difficile en changeant de nationalité. Il y a une raison meilleure. Dans les hypothèses prévues au texte, le résultat juridique à obtenir dépend de la volonté des parties. Cette volonté doit être protégée au moment où, par sa manifestation extérieure, elle engendre un droit qui sera irrévocable et liera dorénavant celui qui l'aura constitué au profit d'autrui. Ici il s'agit de la preuve d'un certain fait, la naissance, en vue pour l'intéressé de s'assurer les avantages attachés à ce fait par la loi. Il faut appliquer la loi contemporaine de ce fait. En résumé, le caractère déclaratif ou constitutif du fait allégué décidera de la question.

tence de la loi nationale, puisque ces personnes n'ont pas de nationalité. Par l'expression de statut personnel on désigne ici l'ensemble des droits qui peuvent être exercés au nom de l'être moral par ses représentants. Dans l'opinion commune l'étendue de ces droits dépend de la loi en vigueur dans le lieu où l'association s'est fondée, a acquis la personnalité ou fixé en général son principal établissement. On dit souvent que par nécessité le statut personnel de l'être moral est déterminé par la loi de son domicile, et cette circonstance est de nature à confirmer dans leur opinion ceux qui plaident la cause de la compétence générale de la loi domiciliaire 1.

Il n'y a là rien autre qu'un singulier abus de langage. Le statut personnel des personnes morales n'est déterminé ni par leur loi nationale ni par la loi de leur domicile. Le statut personnel des personnes morales n'existe pas. Le statut personnel est, par sa nature, une loi qui a pour essence de protéger la personne contre les abus qu'elle pourrait faire de sa liberté et de son activité. La personne morale n'existe pas, elle n'a ni liberté, ni activité, elle n'a pas besoin d'un statut personnel quelconque. Lorsque la loi accorde la personnalité à une association, elle lui concède le droit d'avoir un patrimoine distinct du patrimoine de ses membres. Les biens de l'association ne sont pas les biens des associés, ses dettes ne se confondent. pas avec les leurs. Quant à lui donner une activité indépendante de celle de ses membres, la loi ne le fait pas parce que c'est impossible. Les Anglais disent de leur parlement qu'il ne peut pas faire un homme d'une femme : à plus forte raison aucun législateur ne peut-il faire une personne de rien du tout. La personne morale a, il est vrai, ses représentants, et il le faut bien, mais ceux-ci ne sont rien autre que les mandataires des associés, et jamais on n'a eu l'idée de qualifier de statut personnel l'ensemble des pouvoirs conférés au mandataire par son mandant.

1 V. par exemple: Gand, 23 juillet 1887, Cl. 88, p. 842.

« PreviousContinue »