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puisse naître il suffit de supposer que les divers éléments de fait, dont le concours est nécessaire pour la constitution d'un certain rapport de droit, ne soient pas tous soumis à l'empire d'une même législation. Il faut des personnes, il est possible que ces personnes n'aient ni la même nationalité ni le même domicile ; il faut une chose, mais cette chose, si c'est un bien immobilier, peut être située hors du pays auquel appartiennent les parties au rapport de droit; il faut un acte juridique, mais il est possible qu'il ait été passé à l'étranger; il faut un tribunal pour donner sa sanction au droit, mais ce tribunal obéit peut-être à une loi qui n'est ni celle des parties, ni celle du bien, ni celle du lieu où l'acte a été fait. Le résultat invariable de l'une quelconque de ces circonstances est qu'un seul et même rapport de droit tient à plusieurs pays par des liens assez certains et assez directs pour qu'il existe des raisons sérieuses de le soumettre à la législation de chacun de ces pays.

ment fourni en renseignements pratiques intéressants, donne une idée tout à fait inexacte du conflit (Das internationale Civil und Handelsrecht, t. I, p. 145). Pour lui les conflits seraient de deux sortes: 1° conflits positifs, lorsque deux ou plusieurs lois différentes veulent être appliquées au même rapport de droit; 2° conflits négatifs lorsque aucune loi ne veut être appliquée à un rapport de droit, par exemple si, en matière de tutelle, l'État du domicile se prononce pour l'application de la loi nationale et l'État dont les intéressés sont sujets pour l'application de la loi du domicile.

Les hypothèses citées par M. Meili ne souffrent aucune difficulté et ne font naître aucune question. Si les lois de deux États veulent être appliquées à un rapport de droit, les juges de chacun de ces États soumettront ce rapport à l'empire de leurs propres lois, et voilà tout. Si, d'autre part, le législateur de l'État du domicile proclame la compétence de la loi nationale, les juges du domicile devront appliquer sans hésitation aucune la loi nationale des parties. Dans un cas comme dans l'autre aucune difficulté ne surgira (sauf la question possible du renvoi). Un conflit ne naît pas du fait que certaines législations veulent ou ne veulent pas être appliquées dans certains cas, mais du fait qu'un droit a, pour les motifs indiqués au texte, ses attaches dans plusieurs pays, ce qui donne lieu de douter de la législation compétente. Entre lois diverses la volonté du législateur est, en théorie, impuissante soit à engendrer des conflits, soit à les résoudre en pratique, cette même volonté peut suffire à les empêcher de naître.

Y a-t-il nécessairement conflit? Non pas. Il est possible, nous le verrons, que l'on arrive à appliquer chacune des législations en présence, mais le plus souvent il n'en sera pas ainsi et il deviendra matériellement impossible de donner satisfaction à toutes les lois qui peuvent avoir des titres à être appliquées dans l'hypothèse; il faudra préférer l'une, négliger l'autre, il faudra choisir. La science du meilleur choix est précisément l'objet le plus important et le plus difficile du droit international privé1.

13) Il existe encore dans notre opinion une troisième catégorie de questions qu'une bonne méthode doit séparer des deux précédentes: elle comprend les difficultés qui naissent toutes les fois où une personne prétend faire valoir dans un pays les droits qu'elle a antérieurement acquis dans un autre pays. Ce nouveau type diffère également des deux autres. Nous avons précédemment assigné comme objet à notre science la mesure de l'effet international des droits acquis. La reconnaissance de ce troisième. objet n'étant pas encore de doctrine courante, nous avons à montrer comment, par sa nature et par les circonstances dans lesquelles il se présente, il apparaît entièrement différent des deux autres, si différent qu'il est impossible à une bonne méthode de les confondre.

1 D'après Jitta (Méthode, pp. 43 et suiv., 98, 196, 217, 233, 244 et suiv.), le droit international privé ne saurait être simplement la science du choix à faire entre plusieurs législations en cas de conflit, ou, suivant l'expression pittoresque de l'auteur, une guillotine à conflits, il doit tendre à donner à chaque rapport de droit le régime juridique qui lui convient dans la communauté universelle des peuples. Notre savant collègue est revenu souvent sur cette idée qui est la pierre angulaire de son ouvrage, pas assez souvent cependant pour nous donner une idée bien nette de sa pensée. Il paraît répudier fort résolument la doctrine universellement admise d'après laquelle tout conflit doit se terminer par la victoire de l'une ou l'autre des lois en présence. Il admet que la solution du conflit peut être cherchée dans une règle qui n'appartiendrait à aucune législation particulière, mais quelle serait cette règle, où irait-on la puiser et comment lui assurerait-on cette uniformité d'application sans laquelle il n'existe aucune certitude du droit et partant aucune garantie pour les intérêts particuliers. Tout cela l'auteur ne l'explique pas.

Définissons les questions que nous entendons ranger sous ce chef de questions concernant l'effet international des droits acquis et, tout d'abord, posons certains exemples.

Une personne a acquis dans un pays quelconque la qualité d'enfant légitime d'une autre personne. Le père et le fils sont de même nationalité; la naissance du fils a eu lieu dans le pays dont ils sont l'un et l'autre les sujets; d'après les lois de ce pays le second est incontestablement le fils légitime du premier. Dans ce pays, au moins, le fils a certainement la qualité d'enfant légitime. Pourra-t-il, dans le cours de son existence, invoquer également cette qualité d'enfant légitime en pays étranger, par exemple pour y recueillir une succession ou encore pour justifier, en cas de besoin, de son droit à une pension alimentaire? Dans quelle mesure et à quelles conditions pourra-t-il invoquer sa légitimité? Quels effets en découleront en sa faveur dans ce pays étranger? Quelles exceptions pourront ètre opposées aux prétentions qu'il élèvera en se basant sur son droit d'enfant légitime?

Une personne acquiert dans un pays la propriété de certains biens mobiliers, d'une galerie de tableaux, d'un troupeau ou encore de titres de crédit. Son acquisition a eu lieu dans des circonstances telles que, dans le pays où elle a été faite, cette personne est réputée incontestablement propriétaire desdits biens. Pourra-t-elle revendiquer cette qualité de propriétaire en pays étranger et, si oui, quels droits sera-t-elle admise à tirer de cette qualité ?

Je contracte dans mon pays avec un tiers national de ce pays et qui y est, ainsi que moi, domicilié. Je deviens ainsi le créancier de ce tiers au regard de notre loi commune. Si mon débiteur transporte ultérieurement son établissement en pays étranger, serai-je admis à poursuivre mon débiteur dans ce pays? Ma créance y sera-t-elle considérée comme valable, comme susceptible de donner lieu à une exécution forcée et, si cela est, dans quelle mesure

mes droits pourront-ils être altérés ou modifiés par l'effet de cette circonstance que je les invoque en pays étranger? On aperçoit déjà combien sont nombreuses et pratiquement importantes les questions qui se présentent sous cette forme. Il reste maintenant à faire voir qu'elles sont par leur nature internationales et qu'elles ne rentrent ni dans l'un ni dans l'autre des deux groupes précédemment définis.

Que les questions de cet ordre soient des questions internationales cela apparaît fort clairement. Elles impliquent essentiellement la naissance d'un droit dans un pays et le transport de ce droit dans un pays différent. Le droit en question est le produit d'une certaine loi, on demande à l'exécuter sous l'empire d'une loi différente. Dans quelle mesure cette prétention est-elle fondée, voilà un problème qui appellera fatalement la considération de l'empire de deux systèmes législatifs indépendants l'un de l'autre, de deux souverainetés diverses. C'est évidemment une question internationale. Aucun doute ne peut exister sur ce point. On reconnaîtra aisément que les questions de ce genre ne se confondent pas avec celles qui concernent la condition des étrangers1. Pour qu'un étranger soit admis à invoquer dans un pays le droit qu'il a acquis dans un autre pays, il faut sans doute qu'il soit apte à jouir dans le premier du droit dont il jouit dans le second. Ainsi, sous prétexte de droit acquis, un étranger ne pourrait évidemment pas prétendre à exercer une magistrature politique hors des

1 Contrà Kahn (loc. cit., p. 17, n. 1) qui soutient que notre troisième catégorie est inséparable de la première. Il résulterait de là qu'il suffit que les étrangers jouissent d'un droit dans un pays pour que les avantages soient attachés à ce droit lorsqu'ils l'ont acquis à l'étranger. La pratique proteste aussi bien que la théorie contre une semblable assimilation. Pendant longtemps les étrangers ont été reçus à acquérir en France le droit de propriété littéraire alors qu'ils ne pouvaient pas y faire valoir ce même droit supposé acquis à l'étranger. Inversement, sous l'empire de la jurisprudence postérieure à 1860, l'étranger divorcé dans sa patrie pouvait se remarier en France. Il n'aurait cependant pas pu y faire prononcer son divorce.

limites de sa patrie. Il le faut donc, mais cela ne suffit pas, il faut encore que la législation du pays où l'étranger invoque son droit reconnaisse ce droit comme régulièrement acquis, bien qu'il l'ait été sous l'empire d'une législation étrangère, par suite comme existant et comme propre à servir de cause à une exécution forcée. Un système de territorialité absolue serait compatible avec le principe de l'égalité du national et de l'étranger à l'intérieur de l'État. (il commanderait même ce principe); il ne se concilierait pas au contraire avec un effet quelconque attribué sur le territoire aux droits acquis à l'étranger. Au point de vue de l'analyse juridique, il n'existe évidemment aucune similitude entre la situation d'un étranger qui se prévaut dans un pays d'un droit dont la jouissance lui est concédée par la loi de ce pays et la condition de celui qui vient y réclamer à son profit les effets d'un droit acquis par lui hors de ce pays. L'un demande à acquérir un droit se conformant aux lois compétentes, l'autre prétend avoir déjà acquis ce même droit et invoque les effets que comporte la possession effective de ce droit.

On comprend, en outre, qu'il n'y a pas non plus similitude entre les deux cas, si l'on se place au point de vue de l'étendue du droit de l'étranger. S'il a été acquis dans le pays où l'on veut le ramener à exécution, ce sera le droit tel que l'organise la législation de ce pays que possédera l'étranger. En principe et réserve faite de l'influence du statut personnel dans la mesure où elle est admissible, ce droit sera gouverné, quant à ses effets, par la législation de ce même pays. S'il s'agit d'un droit acquis à l'étranger, les effets de ce droit seront en principe déterminés par la loi étrangère sous l'égide de laquelle ce droit est né, sauf, pour ces effets, la chance d'être diminués, par suite de la circonstance qu'ils sont réclamés dans un pays étranger.

Les questions relatives à l'effet international des droits acquis ne sont pas moins différentes de celles qui concernent les conflits, et c'est une habitude vicieuse que cellequi a poussé la doctrine à les confondre.

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