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tion à nation très régulièrement le statut personnel du sujet d'un État à législations civiles multiples. Mais sa compétence, même dans ce cas, n'a rien de nécessaire 1, rien qui provienne d'une qualité inhérente au domicile: elle dérive directement de la volonté de l'État national. Il est possible, en effet, que cet État aime mieux se référer à un autre principe de distinction, l'origine par exemple, dont l'influence sur le droit se révèle surtout en matière d'annexion, ou encore la race, dont le signe extérieur sera communément la confession religieuse à laquelle la personne appartient. Telle est la règle, comme on sait, dans les États du sultan et dans les provinces encore rattachées à son trône par un lien de vassalité, l'Égypte par exemple. On sait que les sujets du sultan se distinguent en musulmans d'une part et en chrétiens de diverses confessions, les premiers soumis pour tout ce qui concerne le statut personnel au Coran (c'est-à-dire à ses diverses interprétations), les seconds ne subissant nullement l'influence de cette loi. Ces derniers sont restés, depuis la conquête, régis par leur droit particulier, qui est le droit byzantin, et leur autonomie est si grande, qu'elle s'étend à la fois et à la loi qui est la leur et aux tribunaux chargés de la leur appliquer. La compétence juridictionnelle comme la compétence législative est, dans ces

1 Cette compétence est cependant fort naturelle, et dans tous les pays soumis à la fois à plusieurs législations civiles on peut dire que dans une certaine mesure au moins elle s'impose. Le domicile a sur l'origine cette supériorité qu'il représente un lien de droit, alors que celle-ci constitue un pur fait qui n'est pas nécessairement accompagé de conséquences juridiques (cf. de Bar, Theorie und Praxis, t. I, p. 274). La législation positive est assez diverse sur ce point. En Suisse le criterium de l'origine a été adopté dans les concordats de 1818, 1821, 1822; depuis la constitution de 1876 c'est le domicile qui s'applique à quelques exceptions près. En Espagne, dans les provinces à fueros, on se réfère à l'origine il en est de même dans les rapports entre les pays unis par le traité de Montevideo (Lainė, Étude concernant la loi fédérale suisse du 25 juin 1891 sur les rapports des citoyens établis ou en séjour, Bulletin de la Société de législation comparée, 1893-94, pp. 128 et suiv.).

pays, question de religion'. Cette distribution de compétences a son effet à l'étranger comme à l'intérieur, et les tribunaux de nos pays n'hésitent pas à en tenir compte, lorsqu'ils ont à déterminer le statut personnel d'un sujet du sultan 2.

150) Ces variantes ne sont toujours que l'expression d'une même règle: la loi nationale est le statut personnel de l'individu. Un observateur trop prompt y verrait peutètre une adhésion partielle à cette théorie du renvoi que nous avons combattue et rejetée. Certaines explications ne seront pas inutiles à cet égard. C'est au législateur national de l'individu qu'il appartient de déterminer son statut personnel. Jusque-là nous marchons d'accord avec les partisans du renvoi, mais immédiatement nous nous

1 « Les patriarches concentrent dans leurs mains un tel ensemble de droits civils et religieux qu'en dehors du gouvernement politique exercé uniquement par le gouvernement musulman, il est permis de considérer les chrétiens comme étant administrés, jugés et régis par un pouvoir chrétien plutôt que musulman. » (Circul. d'Ali Pacha du 13 mai 1855.) Cf. Privat, Des Patriarcats catholiques d'Orient dans Cl. 1895, pp. 994 et suiv.; Cour d'appel d'Alexandrie, 26 avril 1894; Cl. id., p. 657; Trib. de la Seine, 19 juillet 1901; Cl. 1901, pp. 993 et suiv.

2 En Égypte, pays dont la population se compose des éléments les plus divers, les sujets des différentes communautés religieuses vivent sous la juridiction de leurs patriarcats en ce qui concerne le statut personnel. Les musulmans relèvent du cadi, les coptes orthodoxes du patriarcat copte orthodoxe, les coptes catholiques du patriarcat copte catholique, les grecs unis du patriarcat grec catholique, les grecs orthodoxes du patriarcat grec orthodoxe, les arméniens du patriarcat arménien, les maronites du curé maronite, etc. Lorsqu'il n'y a pas un patriarche du rite, les pouvoirs juridictionnels sont conférés à une autorité ecclésiastique inférieure, évêque ou curé. Pour les indigènes latins la situation est mal définie, la plupart d'entre eux étant protégés étrangers. Il s'est formé, depuis quelques années, une communauté protestante indigène : elle s'est fait reconnaître et ses membres sont soustraits aux autorités musulmanes pour ce qui concerne leur statut personnel. Rappelons que les étrangers sont, à ce même point de vue, soumis à la juridiction de leurs consuls, et, en cas de conflit entre étrangers de nationalité différente ou entre étrangers et indigènes, à celle des tribunaux mixtes (Communication de M. G. Blanchard, professeur de droit à l'École française du Caire).

séparons d'eux en ajoutant que le choix du législateur national n'existe qu'entre les lois en vigueur sur son territoire et qui sont toutes, pour la personne dont il s'agit, des lois nationales. Un exemple rendra très sensible notre séparation. Reprenons le cas tout à fait classique de l'Anglais domicilié en France, auteur d'un acte juridique au sujet duquel on discute sa capacité. Les partisans du renvoi n'hésitent pas à lui appliquer la loi française. Nous n'y consentirons jamais. La loi française n'est pas pour cet Anglais une loi nationale et cette raison seule suffit à ce qu'elle ne puisse lui servir de statut personnel. Sans doute notre juge hésitant entre la loi anglaise, la loi écossaise, la loi irlandaise et peut-être encore les lois régissant les colonies britanniques, s'inspirera des principes qui guideraient, en pareil cas, le juge anglais. Si l'on est dans une hypothèse où la capacité, d'après la common law, est du ressort de la loi du domicile, il s'attachera à la notion du domicile, mais seulement en tant que ce domicile conduit à donner autorité à une loi britannique. C'est en cela qu'il sauvegardera sa propre indépendance et, comme nous le disions plus haut, donnera effet à sa propre définition de la loi internationale. A ses yeux, le domicile de l'Anglais en France sera inexistant au point de vue de la détermination de son statut personnel, la question reviendra donc pour lui à rechercher quel est le domicile dont la jurisprudence anglaise tient compte, lorsque le domicile actuel n'est pas assez caractérisé pour être pris en considération.

Telle est la fonction possible de la loi du domicile en matière de détermination du statut personnel'. Nous au

1 Ne serait-il pas possible de faire une place plus large au domicile dans la détermination du statut personnel sans sacrifier pour cela les prétentions de la nationalité ? Suivant l'avis de mon excellent collègue, M. Chausse, on pourrait y parvenir par la formation d'unions restreintes entre peuples à systèmes juridiques semblables, unions dans le sein desquelles on ferait triompher le principe du domicile ou celui de la nationalité suivant l'esprit des diverses législations des pays composant cha

rons à nous demander plus loin si sur certains points particuliers il ne serait pas légitime d'étendre un peu cette fonction, et nous verrons aussi que dans le domaine des rapports soumis à la libre volonté des intéressés l'influence de la loi du domicile grandit singulièrement. Mais ces matières ne sont pas en ce moment les nôtres et, sur le terrain où nous sommes placé, la loi du domicile doit être restreinte à la compétence exceptionnelle et fort restreinte qui vient d'être délimitée. On peut le regretter, souhaiter à cette compétence des limites moins rigides, une part d'action plus grande lorsque l'on admet que la science peut régler à son gré le régime des rapports internationaux d'ordre privé. Mais lorsque l'on soumet la science à la loi du respect des droits reconnus aux souverainetés en concours, on s'aperçoit vite que ces faveurs, faites dans un esprit d'équité à la loi domiciliaire, sont autant d'atteintes. portées à l'indépendance que possèdent les États dans la communauté internationale. La détermination du statut personnel peut être, ainsi qu'on vient de le voir, fort délicate les questions auxquelles son application donne lieu ne sont ni moins intéressantes ni moins difficiles.

que union (v. les Observations de M. Chausse au Congrès international de droit comparé de Paris, 1900). Le principe d'unions restreintes n'a en lui-même rien que de raisonnable. Le droit international privé n'est pas une science universelle. Il n'est possible qu'entre pays de civilisation à peu près égale et, bien que la généralité de son empire soit chose désirable, la formation de groupes devrait être recommandée si l'on en pouvait attendre un grand avantage dans les relations juridiques internationales. Mais ceci ne me paraît point démontré. Entre États attachés au domicile la formation d'une union ne changerait rien à l'état de choses actuel; dans les rapports de ces États à ceux qui préfèrent la nationalité, elle laisserait subsister des conflits insolubles. En outre et surtout, on ne voit pas quel titre la loi du domicile possède à être observée en dehors de l'État où ce domicile est situé. L'État du domicile est pour l'étranger un hôte et non pas un protecteur naturel; il n'a pas, comme l'État national, une compétence forcée qui s'impose à l'attention et au respect des nations étrangères. Par la formation d'une Union, on imposera ce respect de la loi du domicile. Cela est possible, mais notre collègue est trop bon jurisconsulte pour ne pas reconnaître que les meilleures lois positives sont celles qui ne contrarient pas l'ordre naturel des choses.

151) En général. l'application de notre principe revient à soumettre à la loi nationale d'une personne les règles posées pour la protection de cette personne. Lorsqu'une règle juridique de cette nature ne concerne qu'une seule personne, l'application de notre principe ne saurait faire de difficulté. On mesure la condition juridique de cette personne sur les dispositions de sa loi nationale et tout est dit. par là. La matière des testaments nous offrira en particulier nombre de cas de cette extrême simplicité. Mais le plus souvent un acte juridique établit dès son origine des rapports entre plusieurs personnes, et alors il naît fréquemment des questions d'ordre secondaire qui, si elles ne touchent pas au principe lui-même, peuvent du moins rendre assez malaisée son application pratique. Disons encore que ces questions ne se présentent pas toujours. Il est possible que précisément sous le rapport que gouverne le statut personnel, les intérêts des parties soient nettement séparés sinon entièrement indépendants, de telle sorte que l'on peut faire application à chacune d'elles de sa loi nationale sans préjudicier en aucune façon au droit des autres. Dix personnes représentant dix nationalités différentes font un contrat. Rien ne s'oppose à ce que l'on décide de la capacité de chacune d'après sa loi nationale.

De même si les intéressés appartiennent à la mème nationalité, on n'éprouve aucune difficulté à appliquer à leur protection la loi nationale qui leur est commune. Dans les matières où l'identité de nationalité est la règle générale (mariage, filiation) cette circonstance n'est pas sans aider puissamment à la solution des questions d'application qui se présentent.

152) Mais il n'en est pas toujours ainsi. Parfois une règle tendant manifestement à la protection de la personne concerne également deux ou plusieurs sujets qui ne sont point de même nationalité et n'ont pas le même statut personnel. Comment alors régler la préférence entre les lois en conflit? Il sera légitime tout d'abord de faire appel

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