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ration, et on trouve un certain nombre de décisions anciennes ayant (suivant la règle reçue chez les statutaires) appliqué à la succession mobilière de l'étranger la loi de son domicile réel (Riom, 7 avril 1835, S., 35-2-375; Bordeaux, 17 août 1853, S., 54-2-257 motifs). On trouve même certains arrêts soumettant à la loi étrangère la succession mobilière du Français mort domicilié à l'étranger (Cass., 27 avril 1868, S., 68-1-257). Mais depuis longtemps notre jurisprudence ne tient plus compte que du domicile autorisé, parce que l'art. 110 du code civil désigne le domicile légal comme lieu d'ouverture de la succession. L'analogie est assez lointaine. Cette solution aboutit le plus souvent à donner compétence à la loi nationale de l'étranger, mais parce que c'est la loi de son domicile légal. Le statut personnel se confond donc ici avec la loi du domicile car, d'autre part, les arrêts considèrent la succession mobilière comme appartenant au statut personnel (Paris, 2 janvier 1862, S., 62–2-337).

146) Est-ce à dire qu'aucune place ne reste dans ce système à la loi du domicile et ne peut-elle pas servir au moins de statut personnel subsidiaire à la nationalité? Nous le pensons, en effet, mais ce qu'il faut bien noter ici, c'est que nous sommes en présence d'une solution de nécessité. D'après les principes, la loi du domicile n'a aucune compétence. L'État du domicile n'a ni intérêt à ce que ce devoir de protection soit rempli, ni qualité pour le remplir. Cette loi n'a pas ici plus de compétence que la loi du lieu où l'acte a été fait ou encore que celle du juge devant le tribunal duquel le litige est porté. Cependant des cas se rencontrent dans lesquels la loi nationale est inapplicable; alors il pourra être raisonnable de donner à la loi du domicile une certaine autorité.

147) Je fais allusion d'abord à une série bien connue d'hypothèses qui embarrassent fort les jurisconsultes. Et, en effet, on peut être embarrassé à moins. Ce sont les cas

dans lesquels on n'arrive pas à déterminer la nationalité de quelqu'un. Une personne peut n'avoir pas de nationalité du tout 1, soit parce qu'elle a abdiqué sa nationalité d'origine sans en acquérir une nouvelle, soit parce qu'elle vit dans des conditions telles qu'il est impossible de la rattacher plutôt à un État qu'à un autre État. Le second de ces deux cas est seul vraiment difficile. Quant au premier, il semble bien qu'il n'échappe pas tout à fait à l'influence des principes. Nous vivons dans un monde organisé de telle façon que la distribution de sa population en États distincts y est une chose capitale. On peut admettre comme essentiel, que tout homme soit sujet d'un État et dès lors méconnaître, comme inopérante au regard de la communauté, toute abdication de nationalité qui n'est pas accompagnée de l'acquisition d'une nationalité nouvelle 2. On peut dire que l'individu qui se trouve dans cette situation continue à avoir pour statut personnel sa loi nationale d'origine.

Le cas des personnes dont la véritable nationalité ne peut pas être prouvée est plus difficile. Il paraît alors fort raisonnable de leur attribuer comme statut personnel la loi de leur domicile, si elles en ont un (c'est une réserve nécessaire, car il arrive souvent qu'il s'agit d'individus menant une vie vagabonde et auxquels il est impossible d'assigner même une résidence fixe). Nous n'entendons pas insinuer par là que la loi du domicile acquière, dans cette hypothèse, une légitimité qu'elle n'a pas d'habitude, Elle ne reste pas moins en principe incompétente, mais il est une règle supérieure encore à tous nos principes, c'est que personne ne peut vivre en dehors de la loi et que cha

La cour de cassation belge, dans un arrêt souvent critiqué (Ch. r., 24 juin 1880. Cl. 81, p. 90), a refusé la nationalité belge à un enfant naturel né en Belgique de parents inconnus. C'était dire que cet enfant n'avait aucune nationalité. Bien que le Code civil de 1804 fût muet sur cette hypothèse, il est difficile de prêter au législateur l'intention de priver de nationalité les personnes de cette catégorie. L'application du jus soli est ici une véritable nécessité.

Le fondement juridique de cette solution apparaîtra mieux lorsque nous aurons traité de l'effet international des droits acquis.

cun, par conséquent, doit avoir un statut personnel. La loi du domicile se recommande ici de sa fixité relative, et cette même qualité, qui nous laissait indifférent tout à l'heure lorsqu'il s'agissait de découvrir les principes, est décisive pour nous maintenant qu'il s'agit de combler par une solution de pur droit positif une lacune inévitable dans leur application. Cette même idée générale doit conduire à décider, qu'à défaut d'une loi domiciliaire, on appliquera la loi du lieu où l'acte a été fait, et si cette dernière même faisait défaut (hypothèse évidemment rare mais point irréalisable cependant) il faudrait recourir à la lex fori. Tout vaut mieux que l'absence de toute loi.

148) Il est possible aussi qu'une personne ait à la fois deux nationalités. Quel sera son statut personnel? Évidemment dans chacun des deux États, dont elle cumule sur sa tête les nationalités, son statut personnel sera la loi locale. Mais la question peut aussi se poser en dehors de ces deux États et alors elle devient fort difficile. Nous verrons en traitant des droits acquis que, dans certains cas au moins, la considération attentive des principes permet de donner une solution rationnelle à ces difficultés. Mais lorsque cette ressource dernière fera défaut, quelle loi donnera-t-on pour statut personnel à la personne investie d'une double nationalité? Certains pensent que le juge sera fondé à donner effet à la loi qui se rapproche davantage de la sienne propre1. Cette solution est entièrement inadmissible. Le juge placé en présence des lois étrangères n'a pas à en apprécier le mérite intrinsèque, pas plus qu'il n'a à critiquer sa propre loi. Il ne décide sur les lois étrangères qu'au point de vue tout spécial de l'étendue de leur autorité, de leur compétence. Or, à cet égard, on conviendra qu'il est tout à fait indifférent qu'une loi étrangère soit plus ou moins semblable à la loi locale. Sa compétence ne dépend pas de sa teneur, mais de l'autorité du législateur qui l'a promulguée. L'application de la loi du domicile au statut personnel

1 Cf. Weiss, Traité élémentaire, p. 331.

des individus ayant une double nationalité se recommande de bonnes raisons, lorsque la personne a son domicile dans l'un des deux États dont elle se trouve en même temps la sujette, et ce cas sera le plus fréquent. Cette loi est pour elle une loi nationale. Elle est par nature compétente et la considération du domicile vient ici non pas pour lui donner la qualification d'où dépend sa compétence, mais pour lui assurer la préférence sur la loi nationale concurrente. Préférence légitime du reste. On sait la part de plus en plus grande faite au domicile comme élément de détermination de la nationalité. Il est logique, dès lors, de considérer le droit de nationalité joint au fait du domicile comme plus caractérisé au point de vue international que celui qui en est séparé. L'application de la loi domiciliaire nous. paraît donc ici justifiée.

Elle le serait moins, si le domicile rattachait l'individu à nationalité double à un tiers pays dont il ne serait nullement le sujet. On pourrait peut-être hésiter ici entre la loi de l'origine et celle du domicile. N'insistons pas sur une hypothèse aussi peu vraisemblable et renvoyons la question à la prudence des magistrats.

149) La compétence de la loi du domicile en matière de statut personnel peut exister non seulement en cas d'absence d'une loi nationale déterminée, mais aussi en vertu d'une sorte de délégation de cette loi nationale. Il en sera ainsi dans les pays où l'unité de législation n'existe pas. Ces pays sont nombreux et la diversité des législations civiles y résulte de circonstances fort diverses. Elle y est parfois le signe de la survivance d'une certaine autonomie politique laissée aux parties constituantes d'un État qui dans la société des nations forme une personne unique. L'Autriche et la Hongrie, la Russie et la Finlande, les divers États de l'Union américaine sont dans ce cas. Ces diversités de législation civile sont alors fort tenaces: elles tiennent au cœur même du peuple, qui reporte sur d'insignifiantes modalités de sa condition civile l'affection qu'il

éprouve pour les restes de son ancienne liberté. La variété des lois civiles peut se rencontrer aussi (quoiqu'en fait elle s'y rencontre plus rarement) dans les États unitaires : c'est alors un legs du passé. On peut citer comme exemple l'Espagne et ses fueros. Enfin elle aura parfois sa cause dans cette raison péremptoire qu'il est impossible de faire vivre sous une même loi les populations qui se pressent sur un même territoire, soumises à l'empire d'un souverain identique. C'est l'histoire de l'Empire ottoman et des populations chrétiennes ses sujettes.

Dire que dans ces hypothèses le statut personnel du sujet est sa loi nationale, ce n'est rien dire du tout, car on demandera immédiatement de quelle loi nationale on entend parler, puisqu'il y en a plusieurs. La question qui se pose alors est d'une solution sûre et facile. Précisément parce qu'ils admettent sur leur territoire la coexistence de plusieurs législations civiles, les pays en question possèdent de toute nécessité dans leur législation, soit écrite, soit coutumière, une règle servant à départager ces droits rivaux. Leurs sujets ont un statut personnel dans leurs rapports réciproques: c'est ce même statut personnel qu'ils auront avec l'étranger. Et cette solution n'est pas un expédient, elle est parfaitement légitime et constitue l'adaptation exacte de notre principe à un cas un ́peu différent de l'ordinaire. C'est au législateur national qu'il appartient de donner à son sujet le statut personnel qui régira sa condition juridique. Que ce législateur concentre dans une seule formule également applicable à tous sa pensée juridique sur ce point ou que, respectueux des inégalités anciennes, il se borne à indiquer la loi de répartition suivant laquelle se combineront les coutumes existantes, cela importe peu. Il est toujours vrai que la personne est soumise à une règle imposée par son législateur national et qui est pour elle la loi nationale.

A ce titre la loi du domicile pourra prendre autorité en vertu de la compétence que lui aura donnée le législateur national. Elle sera alors dans les rapports de na

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