Page images
PDF
EPUB

On objecte parfois aux partisans de la nationalité qu'il n'est pas facile dans tous les cas de déterminer de quel État une personne est sujette. Ils peuvent repousser ce reproche, en montrant la place que tient chez les auteurs anglais la simple détermination du domicile. De ce côté, en effet, les difficultés ne sont pas moindres que de l'au

tre.

144) Je repousserai également ces deux systèmes, non à raison de leurs conclusions, mais à raison de leur méthode que je considère comme vicieuse et insoutenable. L'un et l'autre partent en effet de cette idée première d'un choix à faire entre la compétence de la loi nationale et celle de la loi domiciliaire. Leur choix les porte à des solutions différentes, mais ils sont d'accord sur ce point qu'il nous est loisible de choisir entre les deux solutions celle qui présente les plus grands avantages et les moindres inconvénients. Or, c'est ce point de départ que je conteste absolument. Il suppose que les deux solutions présentes sont l'une et l'autre légitimes et qu'il dépend de la doctrine de faire prévaloir la plus avantageuse. Tel n'est pas l'état de la question. Il ne s'agit pas ici d'une loi à créer arbitrairement comme le ferait un législateur universel, s'il existait. Il s'agit d'une loi à découvrir, ce qui est bien différent. Notre but n'est pas d'établir ce qui doit être, mais de révéler ce qui est, ce qui résulte, comme le dit Savigny, de la nature des choses ou, comme nous le disons, de la considération des rapports existant entre les États au sujet de leur droit privé. Qu'on le remarque, en effet. Il s'agit d'une loi qui a autorité sur la personne, qui s'impose à elle et qui ne doit dépendre ni de sa volonté (de Bar a fait cette remarque 1), ni de la fantaisie des interprètes, mais d'une définition juste de l'empire naturel de la loi.

Si l'on considère la question à ce point de vue, on voit

1 Theorie und Praxis, t. I, pp. 149 et 150.

s'évanouir la difficulté qui préoccupe les auteurs et la compétence de la loi nationale apparaître clairement comme la seule digne d'être reconnue. De quelles lois s'agit-il, en effet? De lois diverses dont le trait commun est de tendre à la protection de la personne. A quel État appartient-il de protéger une personne déterminée ? Incontestablement à l'État dont cette personne est la sujette. Un réseau de droits et de devoirs relie le national à la communauté dont il est membre. Au premier rang de ces obligations figure, de la part de l'État, le devoir de protéger son ressortissant et même, à bien considérer les choses, on pourra dire que l'État n'existe que pour cela. Il n'y a même pas de comparaison possible à ce point de vue entre l'État national et l'État où la personne a son domicile. Ce dernier admet l'étranger à résider sur ses terres, lui répond de la sécurité de sa personne et de ses biens, mais à ce point s'arrête par rapport à l'étranger l'obligation de cet État. Il n'a pas la mission de définir le degré de protection que requiert cet étranger et, à ce titre, de lui appliquer ses lois, parce que cette question de protection ne l'intéresse pas, tandis qu'elle intéresse l'État dont cet homme est le membre et qui subira, par contrecoup, les conséquences des fautes qu'il pourra com

mettre.

145) C'est à l'État national qu'il appartient de protéger son sujet, donc aussi ce sont les lois civiles de cet État qui s'appliqueront à la personne en tant qu'il s'agira de garantir ses intérêts individuels. Et c'est parce que cette compétence de la loi civile résulte directement de l'exercice d'une fonction dévolue à l'État, qu'elle doit être acceptée dans toute l'étendue de la communauté internationale et considérée par tous les juges de tous les pays comme constituant une loi du droit international privé.

Nous procédons, on le voit, quant à la détermination du statut personnel, comme nous l'avons fait dans la re

cherche du caractère territorial ou extraterritorial des lois diverses, nous occupant moins des caractères accidentels de telle ou telle loi, que de la fonction à laquelle elle correspond de la part du législateur qui l'édicte. Nous devons à cette méthode de mettre nos solutions à l'abri du principe du respect que les États doivent mutuellement à leur souveraineté, et c'est à ce rattachement qu'elles doivent de pouvoir prétendre à une autorité internationale certaine. La compétence de la loi nationale est ici une compétence de nécessité dont le refus entraînerait dans nos institutions une discordance inintelligible entre l'action diplomatique et l'action juridique.

Il arrive fréquemment qu'un national expatrié éprouve le besoin de se faire garantir de quelque injustice dont il souffre. Cela arrive surtout dans les temps troublés où l'autorité du droit n'est plus régulièrement observée et où les intérêts particuliers sont exposés à subir les conséquences de l'état d'anarchie et de violence où un pays se trouve plongé. A quel État s'adressent alors les étrangers habitant ce pays pour obtenir, avec la réparation des dommages qu'ils ont subis, la garantie de leurs personnes et de leurs patrimoines? A leur État national et exclusivement à lui. En vertu d'un principe qui forme la règle absolue de la pratique internationale, il appartient à chaque État de protéger ses nationaux dans les relations des nations entre elles 1.

Cela s'entend des cas extraordinaires de protection, car l'action diplomatique, toujours lente à mettre en mouvement, ne s'emploie que dans les cas où la protection normale et continue qui résulte de l'application du droit est absente ou insuffisante. Mais il est facile de voir qu'il y aurait plus

Exceptionnellement, lorsque deux nations sont en guerre, les sujets de l'une résidant sur le territoire de l'autre sont remis à la protection d'un ou plusieurs États tiers choisis par leur gouvernement. Il y a là un cas de délégation à autrui d'un devoir que le véritable obligé se trouve dans l'impossibilité d'accomplir lui-même.

qu'une inélégance, une véritable absurdité à admettre que l'État auquel revient le soin de protéger l'individu, dans les circonstances exceptionnelles où l'action diplomatique est nécessaire, n'est pas appelé à lui dispenser la protection qui résulte de l'application d'une loi civile écrite dans ce même but de protection.

La compétence diplomatique est ici le signe certain de la compétence civile. Une autre analogie peut être mentionnée aussi. Pendant longtemps les traités, les traités de commerce en particulier, ont contenu certaines dispositions (les premières dans l'ordre des articles) tendant à assurer aux particuliers et aux commerçants la jouissance de certains droits concernant leurs personnes ou leurs biens. Encore que cet usage se soit modifié depuis 1860, il a été conservé dans les traités passés avec les nations lointaines, sur le territoire desquelles on peut craindre que les intéressés ne rencontrent pas toute la sécurité désirable. A quels particuliers, à quels commerçants s'appliquent les stipulations de ce genre? Aux nationaux des H. P. C. et à eux seuls. Les traités sont formels sur ce point. Il résulte de là que les droits ainsi stipulés au profit d'étrangers le sont régulièrement par leur État national. C'est encore un point de compétence nationale. Et l'on voudrait que ces droits, lorsqu'ils ne sont pas soumis à l'empire de la loi de l'État qui les concède, obéissent à une autre loi que celle de l'État national de celui qui les exerce. Il y aurait là une contradiction véritable L'État dont l'étranger est le national aurait qualité pour réclamer contre les injustices dont celui-ci a été la victime et pour stipuler les différents droits dont il peut avoir besoin et, lorsqu'il s'agit de dispenser à ce national la protection qui résulte de l'application d'une loi soucieuse de ses intérêts, il céderait la place à un autre État, l'État du domicile, par exemple. Cela ne se comprendrait même pas.

En matière de lois de protection la seule loi compétente est donc la loi nationale, tout simplement parce qu'il appartient à chaque État de protéger ses sujets. Cette so

lution est celle de notre code civil 1. Son texte, à la vérité, pourrait prêter à discussion, car l'art. 3, § 3 nous parle du Français résidant à l'étranger et non pas de celui qui y serait domicilié, ce qui pourrait porter à croire que le Français domicilié à l'étranger a pour statut personnel la loi de son domicile. Fœlix (t. I, p. 58) est peu net sur ce point et Demangeat, son annotateur, donne à l'étranger domicilié chez nous avec autorisation du gouvernement (c. civ., art. 13) la loi française pour statut personnel. La pratique n'a pas hésité pourtant. Éclairée par les travaux préparatoires, elle soumet l'état et la capacité du Français à l'étranger exclusivement à la loi française et, inversement, elle accorde à ce même point de vue le bénéfice de leur loi nationale aux étrangers, à moins que par l'effet du renvoi elle ne les assujettisse à la loi de leur domicile.

Cependant il serait excessif de conclure de là que la jurisprudence française rattache toujours le statut personnel à la nationalité de la personne. En matière de succession mobilière c'est, au contraire, la loi du domicile qu'elle tient pour compétente. Tout d'abord nos tribunaux hésitèrent sur le domicile qu'il fallait prendre en considé

1 On connaît l'opposition existant à ce point de vue entre le droit européen et le droit anglo-américain. En Europe la compétence de la loi nationale l'emporte et ne cesse pas de progresser. On ne peut guère citer en Europe que le Danemark, la Norvège et l'Autriche (pour les étrangers seulement) qui rattachent encore le statut personnel au domicile. Il est à remarquer que les codifications les plus récentes donnent la préférence à la nationalité. Il en est ainsi du code allemand (Einführungsgesetz, art. 7, 1) et hors d'Europe des lois de l'État du Congo et du Japon (Meili, loc. cit., t. I, p. 160). Le même principe a été appliqué dans les conférences de La Haye, en matière de mariage, de divorce, de tutelle des mineurs, de capacité de disposer ou de recueillir par donation à cause de mort ou par testament. Ils avaient auparavant été adoptés par l'Institut de droit international (Règles d'Oxford de 1880, no VI). Au contraire, dans le groupe anglo-américain le statut personnel est demeuré attaché au domicile de la personne. C'est aussi la solution adoptée par les États sud-américains dans les traités de Montevideo de 1889 (PradierFodéré, R. D. I., 1889, p. 223). La divergence est profonde: elle constitue l'obstacle le plus grand qui existe à l'unification du droit international privé.

« PreviousContinue »