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toute solution donnée à un conflit prive la loi de l'un de ses deux effets naturels. Il est donc fort logique de se demander lequel des deux sacrifices possibles est le moindre, s'il vaut mieux, à ce point de vue, dispenser une personne de son application sur le territoire ou s'il est moins dangereux d'admettre qu'elle ne suit pas le sujet à l'étranger. Quel est le moindre mal, la question est toujours là. Les principes de notre méthode se trouvent ainsi exposés, nous nous réservons d'en montrer ultérieurement les principales applications.

140) Nous avons supposé jusqu'ici un conflit se produisant entre une loi que l'on prétend applicable à titre de loi territoriale et une autre loi que l'on invoque comme loi personnelle. C'est en effet entre la territorialité et l'extraterritorialité que le doute existe le plus souvent: c'est ce qui fait qu'il faut décider, avant tout, de la nature de la loi en question à ce point de vue. Mais ces conflits ne sont pas les seuls, s'ils sont les plus fréquents, et il peut arriver qu'une question mette en présence deux lois de même nature et entre lesquelles cependant l'hésitation peut être grande. Ces problèmes sont les plus difficiles de

tous.

Ici l'exemple classique nous est fourni par l'abordage. C'est un cas malheureusement fort pratique et scientifiquement fort curieux. Les lois qui mesurent les responsabilités en cas d'abordage sont, sans aucun doute, des lois de sûreté, donc des lois d'ordre public ou de garantie sociale, donc des lois territoriales. Il n'est pas douteux qu'un abordage qui se produit en rivière ou dans la mer territoriale d'un pays ait ses conséquences régies par la loi de ce pays. Lorsque l'abordage a lieu en pleine mer, la question est infiniment plus délicate. Il n'est pas douteux non plus qu'entre vaisseaux portant le même pavillon la loi commune doit être appliquée. C'est encore un cas où une loi territoriale se mue en loi personnelle. Plus exactement, c'est encore une preuve de la personnalité des lois, dans

lesquelles le caractère territorial est cependant prépondérant.

Mais entre vaisseaux portant un pavillon différent, la question est presque insoluble. De l'abordeur ou de l'abordé, quel est celui dont la loi doit triompher dans ce litige? Voilà un conflit qui s'élève entre deux lois personnelles ou fonctionnant dans leur qualité de lois personnelles et qui ont l'une et l'autre le même titre à se voir appliquées. Ce sont des lois protégeant la navigation contre les risques que peuvent lui faire courir l'imprudence ou l'inexpérience d'autrui. On sait les difficultés de cette question : elles proviennent précisément de ce que entre les deux lois concernées l'égalité est parfaite. On dirait vainement que la loi de l'abordé doit l'emporter (lorsque l'abordé peut être déterminé avec certitude) parce que c'est lui qui est à protéger. Les deux lois font ici fonction de lois de protection et on ne saurait admettre qu'un même cas soit soumis à des lois différentes suivant le rôle joué par les parties à l'instance. Appliquer simultanément les deux lois n'est pratique que lorsqu'elles présentent une similitude générale on sera conduit alors à adopter la plus petite des deux mesures qu'elles prescrivent parce que c'est la seule sur laquelle leur coïncidence se produise Ce système est lui-même assez imparfait. En désespoir de cause on a proposé l'application de la loi du tribunal saisi. Cet expédient ne peut s'autoriser que d'une raison générale et vague: à tout procès il faut une loi qui permette de le vider. Faute de toute indication, le tribunal appliquera sa propre loi, mais alors aucune communauté de droit ne sera possible et la portée de chaque loi dépendra du choix accidentel d'une juridiction, parmi celles que les lois intérieures de chaque pays autorisent à connaître du procès 1.

1 L'application de la lex fori est consacrée par la législation et la jurisprudence anglaise (v. Dicey, loc. cit., pp. 663 et suiv.); elle l'est également par notre pratique française (cf. Lyon-Caen et Renault, Précis de droit commercial, t. II, p. 290). Cette solution, dictée par la nécessité, a pour conséquence de subordonner la compétence législative à la com

Les cas de ce genre n'ont pas de solution rationnelle : l'intérêt des États représentés par leurs lois étant le même, il n'y a plus de moyen de décider entre eux. Il faut faire appel au droit positif, lois, traités, coutume, qui seul peut combler la lacune laissée par l'application des principes.

Toutes les hypothèses de conflits entre lois de même caractère ne soulèvent pas des difficultés aussi graves. I arrive fréquemment qu'à l'occasion d'un rapport juridique de nature personnelle, plusieurs statuts personnels et par conséquent plusieurs lois se trouvent en présence entre lesquelles il faut choisir. Le droit de la famille offre de nombreux exemples de difficultés de cet ordre. Elles ne sont pas toujours insolubles et souvent il est facile de déterminer celle des personnes concernées dans l'intérêt de laquelle le rapport a été établi et dont la loi sera exclusivement compétente. Ailleurs le doute est possible et l'embarras subsiste. Nous le verrons mieux plus tard dans le paragraphe consacré à ces questions subordonnées.

que

Est-il possible qu'un conflit se produise entre deux lois l'une et l'autre territoriales? Oui et non. Sur le territoire régi par l'une des lois intéressées cela ne se peut pas, précisément parce qu'il s'agit de lois territoriales que le juge a le devoir d'appliquer à tous sans distinction. Mais dans un État tiers il n'en est plus de même. Il se peut fort bien le juge d'un État désintéressé dans le conflit ait à se prononcer sur la valeur respective des prétentions de deux lois à effet territorial. Des questions de ce genre peuvent s'élever, notamment en matière de compétence. Entre deux actes contradictoires passés par les autorités de deux pays différents, conformément à la loi locale, un tribunal étranger aux deux pays peut avoir à se prononcer. On n'aperçoit pas la solution rationnelle de semblables questions. Il est certain que la compétence est matière territoriale et que le droit international, s'il peut neutraliser les

pétence judiciaire, alors que, si l'établissement d'une hiérarchie de ce genre était nécessaire, le contraire vaudrait beaucoup mieux.

résultats les plus choquants, n'a pas mission de plier les nations à l'observation d'un droit positif unique. On se tire généralement d'affaire en s'inspirant des raisons d'équité, de similitude, de convenance. Tout cela ne saurait fonder une doctrine certaine. Sur ce point, comme précédemment, il appartient au droit positif de combler les lacunes de la théorie et, comme le disent bien les Allemands, de faire œuvre d'assistance juridique internationale. Si l'hypothèse d'un droit extranational, mise en avant par Jitta, pouvait se concilier avec la souveraineté des États, c'est dans des cas pareils que sa réalisation paraîtrait plus plausible 1.

141) Après avoir justifié du fondement de notre méthode, nous en montrons ainsi les lacunes. L'aveu de ses imperfections ne nous coûte pas: elles sont en quelque sorte la rançon de sa légitimité. Seules, des solutions fantaisistes ont un remède prêt à tous les maux. Quant à la science elle ne peut ici mériter son nom de doctrine raisonnée et sûre qu'en se résignant à être imparfaite. Entre États que nulle organisation supérieure ne coordonne, les points de contact, si nombreux qu'ils soient, ne remplacent jamais la continuité exacte de l'État unique. Il y aura toujours des points où aucune communauté de droit ne sera possible. Nous en connaissons quelques-uns, nous en rencontrerons encore d'autres, il en sera ainsi toutes les fois où les intérêts des États divergeront assez pour qu'un terrain de conciliation ne puisse pas être trouvé.

Là est le mal inévitable auquel le droit positif des concessions volontaires peut seul apporter un remède.

La nationalité fournit aussi des cas assez fréquents de conflits entre lois d'ordre public, par exemple lorsqu'une personne appartient à une nationalité par sa naissance et à une autre par l'effet de son établissement à l'étranger. Si la nationalité de cette personne est débattue à la barre du tribunal d'un État tiers, que décidera le juge? La question est fort difficile et ne paraît pas toujours susceptible d'une solution rationnelle. On le verra plus loin.

CHAPITRE XI

De la détermination du statut personnel.

142. Position de la question. Terminologie. 143. Les deux systèmes en présence pour déterminer le statut personnel. 144. Réfutation de ces deux opinions quant à leur méthode. 145. Compétence de la loi nationale en matière de lois de protection. - 146. Compétence subsidiaire de la loi du domicile imposée par la nécessité dans certains cas. 147. Absence de nationalité. 148. Double nationalité. 149. Délégation faite à la loi domiciliaire par la loi nationale. 150. Réfutation de la théorie du renvoi; la loi nationale est le statut personnel de l'individu. — 151. Application de notre principe. 152. Difficultés particulières; tutelle. 153. Filiation légitime et naturelle. 154. Adoption. 155. Actes à titre gratuit; pactes sur succession future. 156. Impossibilité de trouver une solution rationnelle. 157. Influence des variations de la loi nationale sur le statut personnel; détermination du moment où il fonctionne. 158. Légitimation; reconnaissance d'enfant naturel. — 159. Inexistence du statut personnel des personnes morales.

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142) Les matières traitées dans les précédents chapitres appellent immédiatement la solution de deux questions : qu'est-ce que le statut personnel? qu'est-ce que le statut réel? En précisant davantage, voici sous quelle forme ces questions peuvent être présentées 1° étant donné que les lois qui touchent à la protection de la personne sont extraterritoriales et suivent partout la personne qui leur est sujette, de quelle circonstance va dépendre ce lien de sujétion, et quelle loi sera pour chaque personne

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