Page images
PDF
EPUB

en considération de la situation particulière à une personne tendent toujours et nécessairement à la protéger. Or il est évident qu'une protection n'atteint son but qu'autant qu'elle est continue. Il faut qu'elle dure aussi longtemps que le danger auquel elle sert de contre-partie, sans cela elle serait inefficace. On peut user ici d'une comparaison bien vulgaire mais bien frappante. Quand il pleut, on ouvre son parapluie et l'on prend bien soin de ne pas le refermer avant que l'averse ait cessé. Si on l'ouvre et si on le ferme. tour à tour, on se mouille et c'est exactement comme si l'on n'avait pas de parapluie du tout. Il en est des lois de protection individuelle comme de ce modeste et utile compagnon. Il faut qu'elles agissent sans cesse, du moment où la protection est devenue nécessaire jusqu'à celui où elle cesse d'être utile. Ce sont des lois essentiellement permanentes et qui manqueront inévitablement leur but si elles n'accompagnent pas la personne en tout temps et en tout lieu 1.

136) Il en est tout autrement des lois de garantie sociale ou d'ordre public. Chacune de ces lois représente quelque principe jugé indispensable à l'existence paisible d'une société et à la satisfaction des besoins communs aux membres qui la composent. Les infractions qui peuvent y être faites réfléchissent sur la société tout entière; il n'en faut pas davantage pour voir que des infractions de ce genre ne peuvent pas être tolérées de la part des étrangers

1 Savigny (Système, t. VIII, trad. Guenoux, pp. 36 et suiv.) décide du caractère plus ou moins absolu de l'autorité de la loi par des considérations assez semblables. Une loi concernant l'intérêt des personnes titulaires de ces droits peut sans inconvénients être extraterritoriale, celle qui ne présente pas ce caractère est, au contraire, territoriale. Il n'essaie pas de définir cette dernière classe de lois et commet, à notre avis, une erreur certaine lorsqu'il dit (après Waechter) que la portée internationale de la loi dépend avant tout de l'intention du législateur qui l'a faite. Déjà, dans l'ancien droit, Guy Coquille (Questions sur les coutumes, quest. 131) et Bouhier (Observations, ch. xxiv, n°5) avaient aperçu la véritable raison de la personnalité des lois de protection individuelle.

plus que de celle des nationaux. Ces lois s'appliquent donc également aux étrangers et mème, si une différence pouvait être faite, elle devrait être contraire à ces derniers dont la présence sur le territoire peut devenir pour l'État la source de dangers spéciaux. Le droit pénal fournirait la justification la plus élémentaire de ces idées, mais laissons le droit pénal de côté et prenons pour exemple la loi qui oblige toute personne à réparer le tort causé par ses délits ou quasi-délits civils. Elle n'est évidemment pas faite dans l'intérêt de la personne qui en subit l'application et cela est apparent surtout dans les quasi-délits. Il peut sembler dur de faire peser sur une personne les suites souvent très graves d'une simple omission, d'une négligence involontaire. Cependant c'est une loi nécessaire et que l'on retrouve partout. On dira avec plus de raison que cette loi a été faite dans l'intérêt de la victime du délit, mais une analyse un peu attentive montre que le but principal de cette loi n'est pas encore là.

D'abord souvent une réparation véritable est impossible et l'indemnité versée représente plutôt un enrichissement qu'une véritable réparation. Une somme d'argent ne remplace pas le bras ou l'oeil que l'on a perdu, surtout si l'on ne tirait pas de ce bras ou de cet oil ses moyens d'exis

tence. En cas d'atteinte à l'honneur la dissonance est encore plus flagrante. A quoi peut servir alors l'allocation. d'une somme d'argent? La règle est générale cependant. C'est que le véritable but d'une loi semblable est bien moins d'assurer une indemnité à la victime du délit ou du quasi-délit que de pourvoir à la sécurité des relations sociales par la menace d'une responsabilité indéfinie. On conçoit qu'une loi semblable ne peut souffrir aucune diversité dans son application aux étrangers et aux nationaux. Les lois de garantie sociale présentent ce caractère d'imposer aux personnes qui en subissent l'effet une restriction de liberté sans compensation. Ce n'est pas la personne qui recueille le bénéfice du sacrifice qu'elle doit consentir, c'est la société tout entière: quant à la personne particu

lièrement intéressée dans chaque cas, la charge qui lui est imposée est purement une charge.

A cause de cela un législateur respectueux de la liberté. de ses sujets se gardera bien de multiplier ces lois à plaisir. Il les maintiendra dans les limites du strict nécessaire. En ce sens ces lois peuvent être dites exceptionnelles. Mais il ne faudrait pas conclure de là qu'en matière internationale l'extraterritorialité est la règle et la territorialité l'exception. Au regard du législateur qui les écrit, ces lois ont quelque chose d'exceptionnel, mais pour le jurisconsulte qui en cherche la portée elles sont très régulièrement territoriales, elles le sont pour la même raison qui rend extraterritoriales les lois de protection individuelle. Nous n'avons donc pas ici une règle et une exception comme le voudrait l'école italienne, mais deux règles parallèles, fondées sur le même principe, douées de la même valeur.

137) Nous avons montré ainsi que les lois ayant pour objet la protection de la personne sont essentiellement extraterritoriales, celles qui tendent directement à l'avantage de la communauté essentiellement territoriales. Pour que la démonstration soit complète, il reste à faire voir que ces lois ne présentent pas au mème degré les caractères opposés. L'État a-t-il intérêt à ce que toutes les personnes qui vivent et agissent sur son territoire soient régies par une même loi de protection? Oui, certes. Si cela était possible, une grande simplicité de relations s'ensuivrait et personne ne courrait le risque d'éprouver un préjudice ayant sa source dans la méconnaissance des qualités particulières d'un cocontractant. Mais cet intérêt n'est pas majeur et le danger n'est pas très grand, étant de ceux dont une prudence ordinaire peut préserver. Et ce qui prouve que le danger n'est pas grand, c'est que le droit intérieur. passe outre à cet inconvénient en décidant que certaines incapacités qu'aucun signe extérieur ne révèle aboutissent cependant à l'annulation de l'acte accompli. Donc ici la généralité n'a rien de nécessaire et la territorialité ne se

recommande pas des raisons urgentes qui appuient l'extraterritorialité.

Il en est de même pour les lois de garantie sociale. Leur extraterritorialité a pour elle que chacune de ces règles représente une règle de conduite qu'il serait souhaitable de voir toujours observer. Mais leur but ne va pas au delà des limites du territoire. Ces limites passées, l'individu tombe dans le domaine d'une autre société qui a elle-même ses besoins, ses exigences, ses dangers particuliers. L'application d'une loi personnelle n'aurait plus alors la même raison d'être, et elle méconnaîtrait ce principe de bon sens qu'un homme doit d'abord obéir aux lois jugées nécessaires au bien de la cité dont il est l'hôte. Sur ce terrain encore l'égalité n'existe pas, la comparaison n'est pas même possible.

Notre doctrine ramène donc le problème de la portée internationale des lois aux termes suivants : une loi estelle faite pour le bien de l'individu ou pour l'avantage direct de la communauté?

138) Comment arrivera-t-on à distinguer les lois appartenant à ces deux catégories? La chose ne sera pas toujours facile. Cependant, le plus souvent, on arrivera dans cet ordre d'idées à la certitude, soit par un procédé direct, soit par un procédé indirect. Le procédé direct consiste à se demander à qui profite la loi, à l'individu ou à la communauté. Il faut ici bien préciser le sens des termes. Toute loi contient une restriction à la liberté de l'homme. Lorsqu'on se demande si elle profite à l'individu pour qui elle est faite, c'est nécessairement de l'individu dont elle restreint la liberté qu'il s'agit. C'est celui-là qui supporte le fardeau de la loi, c'est par rapport à lui que la question a son sens. Du moment que le bien ne se réalise pas en la personne de celui au prix de la liberté de qui il est acheté, la loi est une loi de garantie sociale. Il importe peu alors que ce soit la communauté tout entière qui bénéficie de l'application de la loi (comme cela arrive quand

un criminel expie son crime) ou que ce soit un membre quelconque de cette communauté, comme le second acquéreur d'un immeuble déjà vendu qui fait transcrire son titre avant le premier. Il demeure toujours vrai que la personne qui profite de l'application de la loi n'a aucun titre. particulier qui explique le profit qu'elle en retire. Sa seule qualité de membre de la communauté suffit à justifier l'avantage qui lui est procuré, et encore faut-il dire que cette expression est ici beaucoup plus large que celle de citoyen et comprend toutes les personnes ayant un intérêt quelconque sur un territoire déterminé. Ces lois, n'ayant rien de personnel au sens ancien du mot, sont donc faites. pour la communauté tout entière. Ce sont des lois territoriales.

139) Cette voie directe suffira, dans la plupart des cas de conflit, à montrer si la loi dont on cherche à déterminer le caractère est territoriale ou extraterritoriale. On peut aussi employer le procédé inverse qui, comparé au précédent, est encore l'application de la même méthode. Au lieu de se demander qui recueille le bien de la loi appliquée, on peut rechercher qui supporte le mal de la loi non appliquée, s'il en résulte un danger qui menace également une personne quelconque ou si l'inconvénient qui en découle se localise sur une tête et laisse toute autre personne indifférente. Voici une loi qui défend le dépôt des matières explosives ou inflammables à proximité des endroits habités. Si elle n'est pas observée, toute personne est menacée par le fait de cette inexécution. Opposons à cette loi la disposition de nos codes qui défend la donation de biens à venir. En la supposant négligée, ce seront les seules personnes auteurs de semblables donations qui en souffriront; à toutes autres personnes la violation de la loi est indifférente.

A bien considérer les choses ce dernier procédé est peut-être celui qui est le plus exactement calqué sur les termes du problème. On ne doit pas oublier, en effet, que

« PreviousContinue »