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prement internationaux, mais celle des rapports entre provinces ayant, comme c'était la règle, des coutumes différentes. Or, nous verrons bientôt que dans un même pays et entre provinces obéissant à des lois différentes les questions de conflit sont, en effet, les seules qui puissent pratiquement se poser.

10) Quoi qu'il en soit, cette méthode n'est plus la nôtre 1 et nous pensons que le droit international possède essentiellement un triple objet; il doit : 1° régler dans chaque pays la condition des étrangers; 2° résoudre les conflits entre législations différentes; 3° déterminer pour un pays quelconque l'effet des actes juridiques passés à l'étranger 2.

La notion ancienne et qui consiste à voir dans la solution des conflits l'objet unique du droit international privé se trouve encore chez Mailher de Chassat, Schaeffner, Waechter, Savigny, Felix, Fiore et chez les Anglo-Américains. Les auteurs contemporains font une place séparée à la condition des étrangers, mais nous aurons l'occasion de voir que ce sujet a été beaucoup moins approfondi par eux que la théorie des conflits de lois. Ils sont inséparables l'un de l'autre cependant et l'on ne sait bien ce qui appartient au conflit qu'autant que l'on a éliminé d'abord ce qui est du ressort de la condition des étrangers.

La distinction posée au texte n'a rien d'artificiel ni de « construit pour les besoins de la cause ». Elle se retrouve en droit intérieur ; dans toute législation, entre le principe du droit et l'accomplissement de son effet, trois moments doivent être distingués, le moment de la possession du droit, le moment de l'exercice, le moment de l'exécution. En d'autres termes, pour qu'une personne bénéficie de l'effet d'un droit, trois conditions doivent être réunies, elle doit en avoir la jouissance, jouissance dont certaines personnes étaient ou sont privées à titre exceptionnel (esclaves, morts civils, condamnés à une peine afflictive et infamante perpétuelle, femmes quant aux droits politiques); elle doit ensuite remplir les conditions mises par la loi à l'exercice de ce droit; elle doit enfin accomplir les formalités d'exécution. Ces trois degrés doivent être séparés, car les exigences de la loi à chacun d'eux ne sont pas les mêmes et n'ont pas une sanction identique. On voit ainsi qu'il y a un parallélisme exact entre les problèmes du droit international privé tel que nous le comprenons et ceux que renferme le droit national. C'est ainsi qu'avant de se demander si une personne a, dans un cas donné, droit à l'applica tion de certaine règle juridique particulière aux fonctionnaires ou aux commerçants, on devra rechercher d'abord si cette personne a la qualité de fonctionnaire ou de commerçant et cette recherche sera indépendante du point de savoir comment, dans l'espèce, il y a lieu d'appliquer le point

La distinction de ces trois objets appelle quelques développements.

11) La fixation des droits de l'étranger est certainement matière internationale mais elle n'est pas matière à conflits. Pour qu'il y ait conflit, nous l'avons déjà indiqué et nous le montrerons plus amplement tout à l'heure, il faut que l'on se trouve dans une hypothèse de concurrence de plusieurs législations et qu'il y ait doute sur la loi à appliquer. Cette incertitude, ce doute constituent le signe distinctif du conflit. Or la question présente ne fait point naître de doute semblable. Lorsqu'on se demande si un étranger jouit, dans un pays déterminé, d'un certain droit, public ou privé, par exemple en France s'il peut être avocat ou tuteur ou membre d'un conseil de famille, il ne vient à l'esprit de personne que la solution de cette question puisse être empruntée à une législation autre que la législation locale, dans l'espèce, la législation française. Il est élémentaire, en effet, que le législateur français qui est maître d'organiser comme il l'entend les droits qu'il crée au profit de ses propres sujets puisse, en principe, agir de même à l'égard des étrangers et on ne comprendrait pas que, par respect pour une loi étrangère, il fût obligé de sanctionner au profit d'un étranger un droit qu'il juge dangereux ou impolitique de reconnaître à ses propres ressortissants. Donc, en ce qui concerne la jouissance des droits ou, comme on le dit parfois, la capacité de droit (Rechtsfähigkeit) aucun conflit n'est possible, dans chaque pays la législation nationale est seule applicable, et en principe le souverain local demeure libre de fixer à son gré la mesure des droits auxquels il entend faire participer l'étranger. Je me hâte d'ajouter que sa liberté à cet égard n'est pas illimitée comme nous le verrons plus tard la

de droit dont il s'agit. De même, les questions d'exécution supposent l'existence du droit établie, sans cela elles ne se poseraient pas, mais ne sont nullement résolues par la décision de celle-ci.

liberté du législateur local a elle-même ses bornes. Il se peut qu'il soit obligé à faire participer l'étranger à certains des avantages qu'il a organisés au profit de ses nationaux, il est possible inversement qu'il soit obligé de refuser à l'étranger certains droits incompatibles avec sa qualité d'étranger. Ces restrictions constituent précisément la face internationale de la condition des étrangers. Mais ce qui demeure toujours vrai, c'est que le législateur local n'est jamais tenu en pareille matière d'appliquer la loi étrangère et que, par, conséquent il ne saurait y avoir de conflit.

Cette distinction peut être dite aujourd'hui de doctrine certaine, et il est inutile de la développer davantage.

Mais il semble que, dans certains cas bien connus, la doctrine a singulièrement compliqué son œuvre en commettant une erreur sur ce point de méthode et en donnant aux conflits ce qui appartenait à la condition des étrangers. En voici un exemple: on discute la question de savoir si un Anglais peut légitimer en France ses enfants naturels par mariage subséquent. Cette question a eu son heure de célébrité, sa difficulté vient de ce que la légitimation n'existe pas dans les lois anglaises. Et l'on se demande si la loi anglaise qui défend doit être appliquée ici ou si l'on doit donner la préférence à la loi française qui permet. La controverse est vive et, bien que déjà ancienne, elle paraît s'éterniser.

A notre avis, la question est mal posée. Ce n'est pas un conflit qui existe dans l'espèce, il n'existerait qu'autant qu'il serait certain que l'Anglais a le droit de légitimer en France, or c'est précisément ce qui est en question1. La

1 Un arrêt célèbre de la Cour de cassation (23 nov. 1857, S., 58-1-293) a admis un Anglais à légitimer ses enfants naturels par mariage subséquent. La Cour a raisonné de la circonstance que cet Anglais avait épousé une Française et que celle-ci n'avait pas pu perdre par son mariage le droit de donner à ses enfants antérieurement nés la légitimité. Cette femme avait cependant perdu sa qualité de Française par son mariage. La Cour ajoutait que la légitimation devait être considérée comme d'ordre public parce qu'elle tend à la réparation d'une faute. Ce point de vue a été vivement combattu par la doctrine; s'il devait être admis, il

difficulté véritable porte sur le point de savoir si un étranger jouit en France du droit de légitimer ses enfants naturels, et, comme rien n'autorise à penser que le code civil ait en général entendu refuser aux étrangers le droit de légitimer leurs enfants, le seul point vraiment délicat est celui-ci : un étranger peut-il exercer, en France, un droit civil ouvert aux étrangers par la législation française, mais que sa législation nationale ne lui concède pas ? Cette question sera examinée en son lieu, mais on aperçoit déjà qu'elle concerne l'existence même du droit et non son exercice. Il ne s'agit pas de savoir à quelles conditions et suivant quelles lois un Anglais peut légitimer en France, mais s'il peut ou s'il ne peut pas le faire. Et cela n'est point insignifiant : ce n'est pas la nature territoriale ou extraterritoriale des lois sur la légitimation qui peut répondre ici, mais uniquement le point de savoir si le législateur français a entendu étendre à cet Anglais le bénéfice de la légitimation, et si, en ce faisant, il n'a point empiété sur la compétence de l'Etat voisin. Et, si de cette recherche, il résulte que le législateur français a cu le pouvoir et l'intention d'accorder cette faculté à l'Anglais résidant chez nous, on ne sera pas fondé à en conclure que les lois sur la légitimation sont territoriales. Tout différent est le cas de l'Italien qui prétend, quoique domicilié chez nous, obtenir la légitimation de ses enfants par décret de son souverain. Son droit à la légitimation est

en résulterait que les lois sur les conditions de la légitimation sont territoriales et s'imposent même aux étrangers, ce que la jurisprudence elle-même n'admet pas (Paris, 2 août 1876, S., 79-2-250; Cass, 20 janv. 1879 S., 79-1-417; trib. d'Avesnes, 12 juin 1880, Cl. 80, p. 472). Les auteurs traitent cette question comme question de conflit appartenant au domaine du statut personnel (Despagnet, Précis, p. 560; Asser et Rivier, Éléments, p. 125; Brocher, t. I, pp. 318 et suiv.; Laurent, t. V, pp. 584 et suiv.; Weiss, Traité élémentaire, p. 560; de Bar, Theorie und Praxis, t. I, p. 535). Ils commettent là, à notre avis, une confusion entre la capacité de droit et la capacité d'action. De leur méthode est venue la question assez discutée de savoir si c'est le statut personnel du père que l'on doit considérer ou celui de l'enfant.

incontestable et le doute ne porte plus que sur le mode à employer, c'est-à-dire sur une question d'exercice. Là y aura conflit véritable entre la loi italienne et la loi française et c'est la nature de la loi en question qui devra en fournir la solution.

il

Cet exemple de confusion n'est point le seul que nous aurons à relever dans le cours de ces recherches, et, si l'on y réfléchit un peu, on comprend bien que la confusion puisse se produire. Un étranger ne demande pas à nos tribunaux, en général et sous une forme abstraite, s'il peut jouir en France d'un droit déterminé. Ce serait une action interrogatoire qu'aucun juge ne consentirait à décider. L'étranger agit et c'est la régularité de son acte qui est soumise aux tribunaux. Ceux-ci sont de suite portés à se demander laquelle de la loi française ou de la loi étrangère doit être appliquée, ils oublient facilement qu'une question préalable s'impose toujours, celle de savoir si l'étranger jouissait du droit en question; par cet oubli ils arrivent fréquemment à compliquer les questions les plus simples.

12) Viennent ensuite les conflits. Le conflit, dans l'ordre des questions internationales privées, marque un degré différent de celui auquel appartient la condition des étrangers, le droit n'est plus en puissance, il est en acte; on va l'exercer, on l'exerce, et l'on se demande alors à quelle loi cet exercice doit être soumis1. Pour qu'un conflit

1 Un conflit existe lorsqu'on se trouve dans un cas où il y a doute sur la législation à appliquer. C'est là l'opinion commune (Cf. Asser et Rivier, p. 3; Brocher, t. I, p. 13; Durand, Essai, p. 228; Surville et Arthuys, Cours élémentaire, p. 7; Despagnet, Précis, p. 12). Il semblerait inutile d'insister sur une donnée aussi élémentaire et dont une tradition ininterrompue a aussi bien fixé le sens. Les problèmes dont s'occupe notre science viennent de l'hésitation que l'on éprouve à choisir entre plusieurs législations concurrentes, parce que chacune d'elles tient par quelque côté au rapport de droit dont on veut définir le régime juridique. Que la question soit posée au législateur, au juge ou au jurisconsulte, elle a toujours cette même origine. On ne constatera pas sans étonnement que M. Meili, dans un ouvrage récent, abondam

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