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rantie, en ce qu'il assure l'efficacité des relations nouées en conformité de ses prescriptions et en fait de véritables droits, au lieu qu'il refuse et cette qualité et cet effet aux actes qui auraient été faits contrairement à ses prescriptions.

Quel est en cela le but poursuivi par le législateur? Le souverain n'a pas, de par ses fonctions, le soin des intérêts des particuliers. Ses forces ne vont pas jusqu'à lui permettre de s'acquitter d'une tâche aussi vaste : c'est aux intéressés eux-mêmes qu'il appartient de s'en charger. Le législateur ne s'occupe des affaires des particuliers que quand un intérêt social l'invite à s'en occuper. Il est en effet le représentant de la communauté et c'est au point de vue de l'avantage commun que, par profession, on peut le dire, il envisage tous les rapports qu'il fait rentrer dans le domaine de son autorité.

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L'action du législateur a donc toujours pour but final l'avantage de la société cela est tout aussi certain qu'il est certain de dire que toutes les actions de l'homme tendent à son propre bonheur. Mais si cela est vrai, cela n'est pas assez précis pour nous édifier sur le but que poursuit le législateur en édictant un droit privé. Une analyse attentive de la tâche du législateur nous fournira sur ce point des lumières plus abondantes.

132) La tâche du législateur consiste à faire vivre des individus en société, non pas que la constitution de la société lui soit due, mais parce que, en tant que souverain, il a été préposé à cette société pour réaliser l'accord des intérêts divergents qu'elle réunit en un seul groupe. Or ces intérêts sont de deux sortes: il y a d'une part les intérêts sociaux communs à tous les membres de la société et il y a d'autre part les intérêts individuels qui varient d'une personne à l'autre et constituent le patrimoine de chacun, si l'on prend ce mot de patrimoine dans son sens le plus large et comme comprenant même les biens qui n'ont rien de pécuniaire. Le problème posé au législateur

du droit privé est toujours de trouver une formule qui ménage en même temps ces deux classes d'intérêts. Son œuvre se présentera invariablement sous la forme d'une transaction entre deux tendances qui se contrarient, la tendance communiste qui irait volontiers jusqu'à sacrifier à la communauté la liberté de l'individu, la tendance individualiste qui, exagérée, risquerait de mettre en péril la société par un respect trop absolu des droits de chacun.

Dans toute société le pouvoir souverain devra se manifester dans ce double sens, son caractère éminemment social le veut ainsi. Une société, à bien examiner les choses, n'est rien autre qu'une collection d'individus ayant chacun son individualité, ses intérêts, ses passions. Pour que la société vive, plus encore pour qu'elle prospère, il faut que ses membres y trouvent la satisfaction de leurs besoins, de leurs aspirations. Mais l'homme ne peut obtenir ces avantages que dans l'état de société : il est donc légitime et nécessaire de pourvoir avant tout aux conditions d'existence de la société.

Voilà donc deux séries de conditions qui s'enchaînent et si naturelles, si impérieuses les unes et les autres qu'il est vraiment impossible d'établir entre elles un ordre de préséance. Les restrictions mises à la liberté de l'individu par le droit privé s'inspireront elles-mêmes fatalement de l'un ou l'autre de ces deux motifs protéger l'individu contre la société ou la société contre l'individu.

133) Il faut protéger l'individu contre la société, c'està-dire contre ses semblables. Cette protection s'exercera elle-même de deux façons. Sa forme la plus simple consistera à assurer à l'individu les fruits de son activité. De là vient la notion de patrimoine et celle de succession qui en est la suite, car la meilleure façon d'assurer à l'individu un droit exclusif sur ce qu'il a légitimement acquis ou conservé est bien de lui permettre de régler la destination de ses biens après son décès ou de s'inspirer de sa volonté dans la dévolution que l'on en fait à défaut de

volonté par lui exprimée 1. C'est la forme la plus générale de protection, mais il en est une autre plus spéciale et qui se traduit par un nombre beaucoup plus grand de dispositions légales. Le législateur s'érige fréquemment en tuteur de l'individu lorsque, soit à raison de son âge ou de sa condition, soit à raison des circonstances, soit à raison de la seule gravité de l'acte par lui accompli, il a de justes raisons de craindre que sans le secours de la loi il ne mésuse de la liberté qui lui serait laissée.

Les moyens pris pour réaliser cette protection sont du reste très divers; tantôt on établira une véritable incapacité, tantôt on interdira un acte en particulier ou bien on. permettra de revenir sur un consentement jugé irrégulier, tantôt on se contentera de l'exigence de certaines formes jugées suffisamment protectrices de la volonté de l'individu, mais le but poursuivi sera toujours le même et si l'on se demande pourquoi la loi a été faite, on verra que c'est pour donner une certaine protection à l'individu qui tombe sous le coup de ses dispositions.

134) Il faut aussi protéger la société contre les abus que les particuliers pourraient faire de leur liberté au détriment de tous. Les dispositions ayant cet objet se reconnaîtront à un caractère différent, elles visent la protection de tous et non pas seulement de certains et apparaissent sous la forme d'une réglementation générale. On les appelle souvent lois d'ordre public et cette dénomination, quoi que l'on puisse dire, est assez expressive car, de même qu'une règle d'ordre concerne à la fois tous les membres du groupe

La propriété, le droit de succession ne sont pas, comme une certaine école voudrait le faire croire, des présents faits par le législateur à l'individu au détriment de la communauté. Ces droits sont nécessaires: ce sont les seuls moyens qui existent d'exciter jusqu'à son degré le plus haut l'activité humaine. Or tout bien social et tout progrès viennent du développement de l'activité des individus. Les fortunes, même les plus scandaleuses, doivent être respectées (si on ne peut pas les empêcher de se constituer), de peur que le remède apporté au scandale ne devienne pire que le mal.

pour lequel elle est faite, une loi d'ordre public s'adresse au même titre à toutes les personnes comprises dans la juridiction de l'État qui l'a promulguée. Dans une étude précédente nous avons adopté l'expression de lois de garantie sociale. Elle désigne les mêmes lois, mais en se plaçant plus directement au point de vue de leur objet, ayant l'avantage de mieux indiquer que les lois de cette sorte sont le résumé des conditions essentielles à l'existence paisible d'une société. On peut user indifféremment de l'un et l'autre termes.

Nous reviendrons dans un chapitre particulier sur cette catégorie de lois. Déjà on peut en soupçonner l'infinie variété. Un édifice aussi compliqué que l'est une société de nos jours demande un grand nombre de conditions d'organisation et de fonctionnement. Ces conditions, en tant qu'elles empiètent sur le domaine de la liberté individuelle, s'imposent à l'observation de tous ceux qui, en fait, sont compris dans cette société, car elle leur est également utile à tous. Certaines de ces conditions se réfèrent à l'établissement d'un ordre matériel dans la société ce sont particulièrement celles qui ont trait à la police générale ou locale. D'autres visent à maintenir un ordre moral en l'absence duquel il a paru au législateur que les mœurs publiques courraient le risque d'être corrompues. Elles ne sont pas moins absolues que les premières. Des dispositions analogues reposent sur des idées un peu différentes de la simple idée d'ordre, par exemple sur la pure et simple nécessité, parce qu'il ne peut pas y avoir deux sortes de lois de ce genre appliquées concurremment sur le même. territoire, ou sur les exigences de la sécurité, exigences d'où viennent les lois pénales, les lois de crédit public, les lois de publicité. C'est précisément dans cette extrême multiplicité que réside la difficulté bien connue de la définition des lois d'ordre public. Mais, en dépit de cette variété on observera chez elles un caractère commun, c'est qu'elles profitent également à tous les membres de la société dans le sein de laquelle on les trouve en vigueur, au

lieu que les lois ayant pour objet la protection de l'individu tournent toujours à l'avantage particulier de la personne qui en subit l'application.

135) Dans l'ordre intérieur la différence sera moins sensible entre ces deux catégories de lois; ce n'est pas à dire cependant qu'une observation un peu attentive ne puisse, à certains signes, la discerner. Lorsque l'État luimême et par ses délégués veillera à l'application de la loi, on peut être à peu près certain qu'il s'agit d'intérêts s'étendant à la communauté tout entière. Cette certitude cependant n'est pas absolue. De même, lorsque l'inobservation d'une loi a pour conséquence la nullité absolue de l'acte vicié, nullité invocable par tout intéressé, c'est que le principe qu'il s'agit de sauvegarder par ce moyen a été établi dans l'intérêt de tous. Au contraire, s'il s'agit d'une garantie donnée à une personne en particulier, il est logique que cette personne seule possède la sanction destinée. venger la violation de la loi. La distinction des nullités absolues et des nullités relatives est donc l'expression. d'une idée assez semblable à celle dont nous nous inspirons ici.

à

Ce ne sont que des analogies et nous n'avons, pour le moment, d'autre objet que de montrer que la considération de la personne appelée à bénéficier de l'application d'un rapport de droit n'est pas sans influence même sur le droit intérieur.

Cette classification des lois correspond bien, à notre avis, à celle que nous avons établie précédemment au point de vue des relations internationales. Les lois essentiellement permanentes sont, avons-nous dit, les lois extraterritoriales. Les lois essentiellement générales sont les lois territoriales. Nous disons maintenant les lois faites dans l'intérêt de la personne sont les lois permanentes; les lois faites dans l'intérêt de la communauté sont les lois générales. Aidée par les explications déjà données, la démonstration de ce dernier point sera facile. Les lois faites

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