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domaine de droit qu'il prétend être propre à chaque rapport; inutile, parce qu'il n'est personne parmi ceux qui étudient les conflits qui ne prétende leur donner une solution conforme à la nature des choses. Nous référant à la doctrine de Savigny, nous prétendons que, pour se conformer comme il le veut à la nature des choses, un seul élément est à considérer le but social de la loi. La loi n'existe qu'en vue de son but. C'est son but qui mesure son effet en droit intérieur, c'est encore son but qui doit mesurer son effet en droit international. Nous sommes tout prêt à adopter la terminologie de Savigny, pourvu que par nature des choses on entende le but social de la loi et rien autre. On nous objectera certainement (car à une doctrine nouvelle toutes les objections possibles sont faites) que notre criterium n'est pas plus précis que celui de Savigny. Peut-être dira-t-on même qu'il ne diffère pas de ce dernier? A la vérité nous craignons assez peu cette objection. Autre chose est de prendre en considération une circonstance quelconque, variable au gré de chacun et d'en inférer une règle sur l'effet international de la loi, autre chose de s'attacher toujours et invariablement au but social poursuivi par le législateur. Que le but d'une loi puisse être diversement apprécié, cela est vrai, mais cela rentre dans ces difficultés d'application qu'aucune doctrine n'évitera jamais. Et puis il ne faut rien exagérer. Ces dissidences seront elles-mêmes très rares. Nos études ultérieures le montreront suffisamment.

Avec la théorie des statuts notre parenté est moins étroite; elle existe cependant. Non sans doute que les jurisconsultes statutaires aient jamais pensé à mesurer, de propos délibéré, l'effet d'une loi sur le but social qu'elle poursuit. Nous n'avons rien trouvé dans leur œuvre qui puisse autoriser chez nous cette illusion. Il paraît certain cependant que leur statut personnel n'était rien autre. qu'une reconnaissance implicite de cette grande loi. Par elle-mème la reconnaissance d'un statut personnel, alors que l'on proclame le dogme de la territorialité des lois, est

une contradiction. Nous l'avons maintes fois remarqué. Si les lois sont, par leur nature, territoriales, elles le sont toutes. et il ne reste aucune place pour le statut personnel. Cette place fut faite cependant, plus large pour les uns, plus resserrée pour les autres, suivant leurs tendances et l'énergie de leurs convictions, mais toujours existante. C'est que nos anciens jurisconsultes, en hommes d'esprit et en praticiens experts qu'ils étaient, ne pouvaient pas se dissimuler que l'on destitue certaines lois de tout effet utile, si l'on n'admet pas qu'elles s'attachent à la personne qui leur est soumise et la suivent en tout lieu. Tous les principes cédaient en face de cette considération capitale : c'était un hommage involontaire à cette idée que l'on ne peut pas donner à une loi une portée contraire à l'objet qu'elle poursuit.

Il faut même remonter plus haut que les statutaires pour trouver l'origine première de cette méthode. L'un des procédés les plus familiers aux Bartolistes, lorsqu'ils raisonnaient et ne se contentaient pas d'appuyer les suggestions de leur équité sur des textes détournés de leur sens véritable, était de recourir à la distinction des statuts favorables ou odieux. Cette habitude ne disparut pas avec leur école 1. La distinction des statuts favorables et odieux lui survécut et fut employée à titre subsidiaire par de nombreux jurisconsultes. On la rencontre encore chez ceux qui appartiennent à la dernière période de l'histoire ancienne de notre science. Or les statuts favorables étaient toujours déclarés extraterritoriaux. N'y a-t-il pas déjà là une reconnaissance de cette idée qu'une loi faite dans l'intérêt d'une personne déterminée doit, à peine de manquer son but, être appliquée en tout lieu à cette personne? Du reste on n'était pas d'accord sur les termes de cette classification et tel statut favorable pour les uns était, aux

1 Elle survécut si bien aux postglossateurs que nous la voyons rappelée par Merlin (Questions de droit, V Remploi, 2 III) qui cite à ce sujet une consultation délivrée par M° Gabriel, avocat à Metz.

yeux des autres, odieux. Bartole et Balde ont échangé des horions à cette occasion. Mais ce sont là des difficultés d'application qu'aucun système, si parfait soit-il, ne réus– sira à éliminer complètement.

Il semble même que la doctrine des postglossateurs a été supérieure, sur ce point, à celle des statutaires. Le terme de statut favorable n'est pas très expressif, celui de statut personnel l'est moins encore. Considéré en luimème, il paraît embrasser toutes les lois, car il n'en est aucune qui n'ait la personne pour objet; mis en opposition avec le terme de statut réel, il ne comprend presque plus rien. On a peine, en effet, à trouver des lois concernant la personne et qui ne produisent pas en même temps leur effet sur les biens. Le criterium choisi par eux était donc décidément mauvais, mais l'existence même de cette classification universellement admise montrait que la considération du but de la loi entrait pour quelque chose dans leurs pensées. Quoi qu'il en soit, si l'on considère attentivement la théorie des statuts, on aperçoit qu'elle consiste essentiellement dans le principe de la territorialité des coutumes, principe mitigé dans une certaine mesure par la considération du but de certaines catégories de dispositions. Et cela nous autorise à dire qu'il existe une parenté éloignée sans doute mais encore reconnaissable entre cette célèbre doctrine et celle que nous adoptons.

CHAPITRE X

Classification des lois suivant leur but social.

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130. De la possibilité de cette classification. 131. Rôle du législateur en matière de droit privé; son but. 132. Analyse de la tâche du législateur. — 133. Protéger l'individu contre la société. - 135. 134. Protéger la société contre l'individu. Lois permanentes de protection individuelle. 136. Lois générales de garantie sociale ou d'ordre public. - 137. Les premières sont extraterritoriales; les secondes territoriales. - 138. Procédé direct pour ranger les lois dans l'une ou l'autre catégorie. 139. Procédé indirect. 140. Les conflits entre lois de même nature; absence d'une solution rationnelle dans certaines hypothèses comme l'abordage. 141. Remède à cette lacune dans le droit positif des concessions volontaires.

130) En démontrant que l'effet international des lois doit être mesuré sur le but social qu'elles poursuivent, nous n'avons fait encore que la moitié du chemin qui doit nous conduire à la solution des conflits. Il faut maintenant rechercher si les lois peuvent, à ce point de vue, se prèter à une classification générale et quelle est cette classification. Cette nouvelle question n'est pas aussi essentielle que la précédente elle n'en demeure cependant pas moins fort importante.

A supposer même que les lois ne se prêtassent pas à une semblable classification, il resterait vrai que la considération de leur but est l'élément décisif en notre matière internationale seulement, dans chaque hypothèse il fau

drait rechercher quel est le but social des lois en présence et quelles conséquences il comporte dans les relations internationales. Le secours d'idées générales sera donc ici particulièrement précieux. A défaut d'un pareil secours, notre théorie serait exposée au reproche d'imprécision que l'on adresse avec raison à la théorie de Savigny1, elle conserverait cependant (sauf illusion de notre part) cette supériorité sur elle de reposer sur des vérités démontrées au lieu d'emprunter son point de départ à un postulat qui échappe à toute démonstration et que la pratique ne confirme pas, à savoir que la simple considération de la nature des choses conduit à une solution certaine des conflits de lois. Pour classer les lois au regard de leur but social, il est nécessaire de s'élever à la considération de la nature de la fonction législative en matière de droit privé. Quel est donc le rôle joué par le législateur en cette matière?

131) Le droit privé est cette partie du droit qui concerne les rapports des particuliers entre eux. Le rôle du législateur est ici moins exclusif qu'il ne l'est en droit public. Alors que le droit public est créé de toutes pièces par le souverain, qu'il ne connaît que le citoyen dépositaire de la souveraineté et ne laisse presque aucune place à la volonté du simple particulier, le droit privé, moins absolu, se borne à placer sous sa direction et son contrôle les actions des simples particuliers, leur prescrivant certaines règles de conduite qu'ils doivent suivre en toute occasion et soumettant en outre à une réglementation appropriée les opérations qu'ils entreprennent ensemble. Le droit privé donne donc tout d'abord une direction aux actes des particuliers. Comme nous l'avons dit, il leur donne en outre une ga

1 Même dans ce cas notre doctrine demeurerait pourtant plus précise que celle de Savigny, car elle emprunterait ses solutions à un élément unique, le but de la loi, au lieu de se référer à l'une quelconque des circonstances de son application.

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