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vigueur au moment où les parties ont contracté. C'est la seule loi qu'elles aient pu connaître, la seule qu'elles aient choisie en connaissance de cause, la seule qui, dans leur silence, peut être présumée avoir été adoptée par elles.

Il n'y a aucune analogie entre les deux cas et ceci nous montre bien que ce n'est pas à la libre acceptation du législateur local que peut être rapportée l'admission des lois étrangères sur son territoire.

125) Nous avons insisté une fois de plus sur ces idées qui sont primordiales. Ceci posé, la moitié au moins de notre besogne est faite. Toute application d'une loi étrangère étant une concession faite à la souveraineté de l'État étranger, quelle règle devra donner la mesure de cette application? La seule règle commune qui puisse s'imposer aux États est celle qui s'inspirera plus profondément de cette idée de respect, car les États ne peuvent rien se demander les uns aux autres si ce n'est de respecter réciproquement leur souveraineté. Pour emprunter à Montesquieu son expression célèbre nous dirons que c'est en respectant le plus possible leur mutuelle souveraineté que les États se feront dans la paix le bien le plus grand, ce qui est, suivant cet auteur, le véritable objet du droit des gens. A ce point de vue, la considération du but de la loi nous paraît avoir comme élément de solution une supériorité décidée.

Notre doctrine consiste, on le sait, à donner dans chaque cas la préférence à la loi dont l'application correspond le mieux au but de l'institution juridique dont il s'agit, à choisir la loi personnelle des parties en cause quand le but social en vue duquel la loi a été faite requiert surtout que celle-ci soit permanente, la loi du territoire où le fait juridique s'est passé quand le but de la loi exige sa généralité d'application. Entre deux lois égales à priori et qu'il est impossible d'appliquer en même temps, on retient donc celle qui réalisera le mieux ou le moins imparfaitement la

pensée qui a guidé le législateur lorsqu'il a fait la loi. On assure ainsi à la loi son maximum d'effet dans les rapports internationaux et en même temps on pousse à sa mesure extrême l'idée de respect mutuel de la souveraineté des États, car on décide de l'application des lois par l'intérêt qu'ont à cette application ceux qui les ont faites.

126) Un juge va statuer sur la capacité d'une femme étrangère incapable d'après son statut personnel, capable d'après la loi du lieu où l'acte a été fait. Il la tiendra pour incapable, même dans le silence de sa propre loi. Pourquoi? Parce que l'État qui a déclaré cette femme incapable aurait fait une chose inutile, s'il suffisait à cette femme de changer de territoire pour dépouiller son incapacité, tandis que l'État sur le territoire duquel l'acte a été fait est loin de pouvoir justifier d'un intérêt semblable. Ce n'est pas que la territorialité de sa loi sur la capacité des femmes. mariées lui soit indifférente. L'existence d'une seule mesure de capacité applicable à tous est d'une grande commodité dans le commerce habituel des hommes. Mais, encore une fois, cet intérêt n'est pas comparable à celui qu'il a lui-même à la permanence de lois semblables. Ce qui le prouve, c'est que la législation intérieure maintiendra les effets de cette incapacité de la femme même à l'encontre des tiers de bonne foi. C'est pourquoi le juge appliquera sans hésiter la loi étrangère.

L'exemple inverse est identique. Un fou blesse une personne dans des conditions qui, d'après la loi du pays auquel les intéressés appartiennent, ne provoquent pas la responsabilité mais la provoquent d'après la loi du lieu où l'acte s'est passé. Les juges de ce lieu admettront la responsabilité, parce qu'il s'agit là d'une loi de sécurité publique et que la sécurité n'existe qu'autant qu'elle existe à l'encontre de toute personne. Sans doute la loi personnelle a ici qualité pour régler la conduite de ses ressortissants, mais cet intérêt doit s'effacer et disparaître devant l'intérêt plus grand du souverain du pays où l'acte a été commis.

Cette loi devra être considérée comme territoriale. Si l'on réfléchit au besoin d'une loi commune qu'entraîne après lui le commerce international, on conviendra qu'il n'est pas de formule qui s'adapte mieux à l'objet de notre science que celle qui, repoussant tout principe dogmatique établi à priori, juge chaque cas d'après les besoins que l'existence de la loi révèle et s'attache toujours à donner à ces besoins une satisfaction aussi ample que possible. La mesure de l'intérêt engagé est la seule mesure possible de conciliation entre États ayant une individualité distincte et n'obéissant pas à un supérieur commun. La nécessité d'une Joi étant démontrée, c'est évidemment cette loi et celle-là seule qui s'impose à eux1.

127) Notre solution suppose que les lois en conflit poursuivent toutes le même but social. C'est un postulatum indispensable à notre théorie et nous retrouvons là l'objection faite par M. Bartin dans sa théorie des qualifications. Il est possible, en effet, que deux lois relatives au même objet ne poursuivent pas le mème but. Dans ce cas aucune communauté de droit ne pourra être établie et chacun appliquera chez lui sa propre loi. On ne voit pas de remède à des situations pareilles et il ne reste qu'à dire

On a reproché à notre doctrine (Weiss, Traité, t. III, p 60) son indétermination. Je considère ce reproche comme étant l'effet d'une confusion. S'il est vrai que les circonstances de fait qui peuvent décider un législateur à faire une loi nouvelle sont indéfiniment variées, il n'en est pas de même du but que poursuivra cette loi. Le législateur visera toujours à remplir d'une façon plus complète sa fonction, son devoir envers ses subordonnés. Or le but de cette fonction, de ce devoir, est loin de se présenter à nous varié, incertain, indéfini. Nous essaierons de montrer dans le prochain chapitre que cet élément décisif, le but de la loi, s'analyse en quelques idées fort nettes et fort simples que l'on retrouve au fond des prescriptions légales les plus diverses. Au point de vue signalé par notre distingué collègue, nous pouvons prétendre que notre doctrine est singulièrement plus précise que celle de Savigny et aussi qu'elle donne à la notion d'ordre public une unité et une détermination que la doctrine italienne, dont il est le champion, n'a jamais pu lui donner.

(maigre ressource) que les États intéressés ne sont pas, sous le rapport du point de droit, en litige dans une condition qui permette d'organiser entre eux un système juridique rationnel.

128) Mais ces cas sont-ils bien fréquents? Certainement non. Nous n'en voulons d'autre preuve que la parité des institutions juridiques des divers pays. Que l'on compare l'une à l'autre deux sociétés envisagées à la même époque et l'on remarquera derrière la diversité des règles de droit la similitude à peu près parfaite des institutions juridiques. Ce sont souvent les mêmes mots et presque toujours les mèmes choses. Ce n'est pas sans doute que l'on ne découvre entre les législations diverses de fort nombreuses divergences de détail, mais elles existent bien moins dans la nature des institutions que touchant leur réglementation. Ces différences de réglementation ne décèlent point la présence de buts divers, ce sont tout simplement autant de moyens de parvenir à un même but. De cette identité fondamentale de lois ayant un contenu indéfiniment variable provient la possibilité et l'utilité des études de législation comparée.

Ces faits ne portent-ils pas en eux-mêmes leur enseignement? Si une législation peut facilement, comme nous l'avons constaté plus haut, être appliquée à des pays nouveaux, si d'une loi à l'autre on observe une similitude générale indéniable, n'est-ce pas parce que le droit correspond à des besoins qui se retrouvent identiques dans toutes les communautés civilisées? Aussi ce serait se forger une crainte vaine que de penser que l'application de la méthode rationnelle de solution des conflits puisse être gravement compromise par le défaut d'un but social analogue relevé entre deux institutions juridiques similaires de deux pays. Je crois cependant que l'on peut en rencontrer certains exemples entre États d'un système politique très différent.

Dans un État dont le régime successoral repose sur le

principe démocratique d'une égalité absolue on pourra se demander s'il n'y a pas quelque chose de contraire `aux mœurs nationales et à l'ordre public à voir un étranger, fils d'étranger, venir réclamer par droit de primogéniture l'intégralité de la succession, même simplement mobilière, de son père. La question est fort délicate et sera examinée plus loin. De même on a vu notre jurisprudence repousser certaines incapacités en matière de mariage, de lettre de change, comme incompatibles avec notre état social; de même encore des différences de ce genre peuvent exercer une certaine influence sur la condition des enfants naturels en pays étranger. Ces cas ne seront jamais qu'exceptionnels. Ils n'ont pas empêché une certaine communauté de droit de s'établir entre nations. Ils n'empêcheront pas davantage cette communauté de se développer suivant un mode plus normal et plus conforme aux données scientifiques du problème.

129) Ayant exposé ainsi le principe de notre méthode, il n'est pas inutile de lui assigner sa place parmi les opinions actuellement en cours. Notre doctrine n'a évidemment rien de commun avec la personnalité de Mancini comme avec la territorialité de M. de Vareilles-Sommières. Elle rejette comme établies à priori et comme également fausses ces deux idées que la nationalité de la personne intéressée est l'élément décisif de solution en matière de conflits de lois et que les lois sont territoriales parce que l'autorité matérielle de l'État est territoriale. Par contre, nous nous rapprochons davantage de la doctrine de Savigny et même de la théorie des statuts par certains côtés au moins.

On sait le reproche que nous faisons à la doctrine de Savigny. En disant qu'il faut se laisser guider par la nature des choses et rechercher pour chaque rapport de droit le domaine de droit propre à ce rapport, le grand jurisconsulte n'a exprimé qu'une idée confuse et inutile: confuse, parce que l'on ne peut apercevoir clairement ce

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