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113) Les législations modernes nous offrent un bon exemple de cette tendance. Il est admis depuis des siècles que les lois de capacité sont extraterritoriales. Chez elles c'est donc la permanence qui domine et mérite de régler leur effet dans les relations internationales. Et cependant le législateur, soucieux de ne pas sacrifier tout à fait la généralité des lois de cet ordre, en arrive souvent à vouloir concilier l'inconciliable et, en même temps qu'il fait régir la capacité du national agissant à l'étranger par sa loi nationale, à soumettre l'étranger qui contracte sur le territoire à la loi locale. Les dispositions conçues en ce sens sont si fréquentes, qu'elles représentent presque le droit commun de la matière.

En cédant ainsi à sa préférence instinctive pour sa propre loi, le législateur n'aperçoit pas qu'il érige en système une doctrine absolument impropre à établir l'harmonie dans les relations internationales. Suivant le tribunal auquel le contrat passé sera soumis, la personne qui l'a fait sera réputée capable ou incapable: son état manquera de cette fixité qui est nécessaire, pour que des lois, qui ont pour objet de restreindre dans de certaines bornes la liberté de la personne, produisent leur effet.

Cette tendance ne peut certes pas être approuvée, mais encore est-elle intelligible, car elle donne à la loi un double caractère qui lui appartient à la vérité d'après sa nature, elle oublie seulement qu'il est impossible de le maintenir dans les relations internationales. Retenons donc cette première constatation les lois sont naturellement permanentes dans leur effet et générales dans leur application; elles sont à la fois territoriales et extraterritoriales, mais l'harmonie à établir entre elles au point de vue international exige que l'on sacrifie dans chaque cas l'un de ces deux caractères pour s'attacher exclusivement à l'autre.

114) Cette dualité de caractères n'est pas sans se révéler quelquefois dans les solutions pratiques données au conflit et il n'est pas rare de voir des lois investies, dans des cir

constances exceptionnelles, d'un caractère opposé à celui qui leur est le plus généralement reconnu. Rien n'est plus franchement territorial que les lois pénales et leur application à toutes personnes, sans distinction d'étrangers et de nationaux, est élémentaire dans notre science. Si, au début, les postglossateurs avaient éprouvé sur ce point certains scrupules, ces scrupules nous sont devenus complètement étrangers et nous appliquons notre loi criminelle aux étrangers, qui se trouvent sur notre territoire, pour leurs infractions les plus insignifiantes aussi bien que pour leurs plus graves délits. Cependant il n'est actuellement aucun État qui ne punisse ses nationaux pour les crimes qu'ils commettent à l'étranger. La loi pénale fait ici fonction de loi extraterritoriale; elle ne cesse pas pour cela d'être territoriale: c'est donc que le cumul de ces deux caractères n'a rien de contradictoire à sa nature. La loi pénale est avant tout une règle d'ordre sans doute, mais elle est aussi une règle de conduite, et, en tant que règle de conduite, il n'y a rien que de logique à ce qu'elle suive le citoyen à l'étranger 1. Voilà la vérité que l'on trouve à la base de cette disposition si cette vérité était mieux connue, elle tirerait le droit pénal international des limbes où il est plongé, et permettrait d'éviter bien des résultats injustes ou choquants.

Un usage ancien fait admettre qu'à bord d'un vaisseau ou dans les camps d'une armée occupant un territoire étranger, la loi en vigueur est celle du pays auquel appartient le vaisseau ou l'armée 2. On dira que c'est en vertu de fictions. On imagine des fictions lorsqu'on ne sait pas

1 S'agissant de crimes graves punis chez toutes les nations civilisées, le défaut d'harmonie signalé au texte n'a d'autre inconvénient que celuici suivant le tribunal à la barre duquel il est traduit, le coupable se verra appliquer une peine plus ou moins sévère. On n'admet pas du reste que, condamné dans un pays, il puisse, pour le même forfait, être encore puni dans l'autre.

* Lorsqu'un vaisseau est en pleine mer il se trouve en un lieu où n'existe aucune souveraineté territoriale. Pour une armée en pays étranger

comment justifier des règles que l'on sent être nécessaires, et c'est à une fiction que l'on avait recours autrefois pour justifier la règle mobilia sequuntur personam. N'est-il pas plus simple de dire que les lois du pavillon ou du drapeau sont appliquées ici en vertu de leur autorité extraterritoriale? Si l'on veut un autre exemple, la matière de l'abordage nous le fournira. Entre navires portant le mème pavillon les conséquences d'un abordage survenu en pleine mer sont réglées par leur loi commune et, si la nécessité a une part dans cette décision, personne ne la regarde pourtant comme contraire au droit. Et cependant dans les eaux territoriales, cette même loi fonctionne sans objection même par rapport à des navires étrangers. Nous verrons du reste bientôt pourquoi cette force extraterritoriale, qui se trouve généralement refoulée et anéantie, ressuscite dans les hypothèses que nous envisageons.

Et les lois sur l'acquisition et la perte de la nationalité ne sont-elles pas territoriales en tant qu'elles s'appliquent aux étrangers sur le territoire, extraterritoriales quand elles touchent des nationaux à l'étranger? Nous verrons même que chez elles ce double caractère est indélébile, ce qui, pratiquement, est la cause de difficultés toujours graves et quelquefois insolubles.

Ces exemples, qu'il serait aisé de multiplier, montrent que dans certains cas des lois généralement territoriales fonctionnent comme lois extraterritoriales. C'est donc que cet effet ne répugne pas à leur nature et que s'il convient qu'une loi donnée revète l'un de ces deux caractères plutôt que l'autre, rien ne s'oppose, au cas où la nécessité l'exige, à ce qu'elle ait le caractère opposé. On trouvera de même

le cas est un peu différent. Il existe une souveraineté territoriale, mais les nécessités de l'action militaire font que l'armée ne peut tenir compte ni de ses commandements ni de ses défenses. La conséquence de cet état de choses est de rendre tout d'abord extraterritoriales les lois qui, par leur nature, sont les plus territoriales de toutes, les lois pénales. L'exemple est assez frappant.

1 Gênes, 10 décembre 1894, Cl. 96, p. 907.

des lois personnelles qui seront aussi, le cas échéant, des lois territoriales. Il en est ainsi de toutes les lois personnelles, lorsque le statut particulier à la personne ne peut pas être déterminé 1. Un individu n'a ni nationalité ni domicile connus. On lui applique la loi du lieu où il se trouve. Question de nécessité, dira-t-on. Il y a de cela, à notre avis, une autre raison. Il faut que cet individu soit soumis à une loi, sans doute, mais si cette raison seule existait une loi quelconque pourrait lui être appliquée. Si l'on n'hésite pas à le soumettre à la loi locale, c'est que l'on admet que, même lorsqu'elle est personnelle, elle peut, en cas de besoin, fonctionner comme loi territoriale.

Un autre exemple plus fréquent et plus normal nous est fourni par ces lois personnelles de leur nature qui sont considérées comme intéressant l'ordre public ou la morale. Qu'elles suivent le national à l'étranger, personne n'en doute, leur nature le veut ainsi, mais en même temps on n'hésite pas à obliger à leur observation les étrangers présents sur le territoire. Si on ne le faisait pas, l'ordre serait troublé, la morale offensée. Un Français pourrait-il intenter à l'étranger une action en recherche de paternité naturelle? Non, son statut personnel le lui interdit. Un étranger serait-il admis à former en France une semblable action? Pas davantage. Il alléguerait vainement que sa loi nationale le lui permet. On lui répondrait avec raison, que

On peut rap

1 Cf. Trib. de Nantes, 28 novembre 1901, Cl. 02, p. 590. procher de cette hypothèse une question dont l'intérêt pratique est considérable. On sait que dans le cas d'ouverture d'une tutelle concernant un mineur étranger en France, nos tribunaux n'hésitent pas à prendre les mesures provisoires nécessaires à la sauvegarde de la personne et des biens du mineur (V. par exemple: Lille, 10 juillet 1884. Cl. 85, p. 94). Ils lui font alors application de la loi française. Ici la loi personnelle de l'individu n'est nullement indéterminée, mais elle n'est pas susceptible d'une application immédiate à cause du temps que requiert l'organisation de la tutelle, conformément à son statut personnel. Cette circonstance a paru suffisante pour légitimer la compétence donnée à la loi française. Or, cette loi des tutelles, essentiellement personnelle de sa nature, fonctionne bien ici comme loi territoriale.

les tribunaux français n'ont en aucun cas le devoir de donner effet à une loi étrangère qui menacerait l'ordre public français. Je n'ai donné que des exemples et des exemples ne sont pas une démonstration. Ils serviront au moins à montrer qu'il n'y a rien d'immuable dans le caractère que l'on attribue à une loi au point de vue international et qu'une mème loi peut fort bien, suivant les circonstances, prendre l'un et l'autre des deux caractères opposés. Quant à la preuve de la dualité qui existe dans toute loi à notre point de vue, c'est le droit intérieur qui nous la fournit, car, encore une fois, une loi ne change pas de nature suivant que l'on étudie son action dans les relations intérieures ou dans les relations internationales.

115) Les lois sur lesquelles nous avons spéculé jusqu'ici sont les lois véritables, celles qui lient les personnes qui leur sont soumises, qui ordonnent ou qui défendent, qui font acte d'autorité et constituent par suite l'expression bien pure et bien nette de la souveraineté dont elles sont l'émanation. Mais à côté de ces lois il en est d'autres d'une nature bien différente et qui ressemblent à un conseil plutôt qu'à un commandement. L'individu est libre de les suivre en tout ou en partie, voire même de ne pas les suivre du tout et de se placer sous une règle qu'il a lui-même façonnée, à charge seulement d'en exprimer la volonté dans les formes voulues. Ce n'est qu'en l'absence de toute indication d'une volonté contraire chez les intéressés que ces lois exercent leur empire. On les appelle à bon droit lois interprétatives ou supplétives.

La nature particulière de ces lois ne pouvait pas ne pas réfléchir sur leur condition internationale. On ne l'aperçut pas tout d'abord et les anciens auteurs appliquaient uniformément à cette matière la loi du lieu où l'acte avait été fait. La loi Si fundus leur était une raison suffisante de décision. A Dumoulin revient l'honneur d'avoir dégagé la véritable solution, en faisant prévaloir cette idée que la volonté, qui est ici toute-puissante en droit intérieur, doit aussi

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