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degré égal, ces deux caractères de permanence et de généralité dans l'application. Du jour où elle est promulguée jusqu'à celui de son abrogation, la loi s'applique sans solution de continuité. La loi est faite, elle n'est maintenue en vigueur que parce qu'elle est nécessaire: on ne concevrait même pas que les citoyens fussent à un certain moment dépendants et, à d'autres, libres de son autorité. Dès que les circonstances de fait, auxquelles l'application de la loi est liée, se trouvent réunies, elle doit ètre obéie il faut qu'elle le soit, à peine de laisser en souffrance l'intérêt social auquel elle correspond.

De même, il est certain que toute loi est générale et frappe indistinctement chaque sujet du pouvoir souverain qui l'a faite; à la vérité, sa généralité d'application est la conséquence des mêmes nécessités. On ne peut pas admettre que l'autorité d'une loi soit tantôt suspendue et tantôt rétablie on ne saurait admettre davantage, qu'elle lie certaines catégories de personnes alors qu'elle en laisse d'autres maîtresses de leurs actions.

Une explication est peut-être ici nécessaire. Nous n'entendons pas dire que toutes les lois d'un pays s'adressent indistinctement à tous les citoyens de ce pays. Il en est, au contraire, en tout pays qui ne visent qu'une part des citoyens, les mineurs, les interdits, les femmes mariées, les célibataires. Ce que signifie l'idée de généralité, c'est que la loi s'impose à tous les individus compris dans la catégorie ou le groupe que le législateur a entendu atteindre 1.

Cette généralité a une double raison d'être. D'abord une loi quelconque est nécessairement considérée, aussi longtemps qu'elle est en vigueur, comme la meilleure solution

1 M. de Bustamante (Tratado, t. I, pp. 527 et suiv.) qui s'accorde avec nous sur les points fondamentaux de la méthode nous objecte ici que, de ce que les lois sont faites par le législateur permanentes et générales pour ses sujets, il ne résulte pas qu'elles présentent les mêmes caractères à l'égard des étrangers. Nous répondrons à notre savant collègue deux choses 1o il ne s'agit pas ici de savoir ce qu'un législateur a pu vouloir

possible de la question qu'elle concerne. Aucun individu ne saurait donc avoir de prétexte pour se soustraire à son empire ou pour demander qu'il lui fût fait application d'une loi différente. Puis la généralité subjective porte en elle une vertu particulière éminemment favorable à l'empire du droit dans le sein d'une société; elle constitue un principe d'ordre et porte en elle à la fois la garantie résultant de l'application d'une même règle à tous les citoyens, sans exception; elle est aussi une condition de crédit public, car dans une communauté bien ordonnée, il importe que chacun connaisse le droit auquel sont soumises les personnes comprises dans la même communauté. C'est une règle indispensable et qui suffirait à elle seule pour justifier le principe de l'égalité des citoyens devant la loi. La permanence, la généralité subjective d'application sont donc deux qualités nécessaires de la loi, deux caractères que l'on rencontre dans toutes les lois de tous les pays1.

110) Nous pouvons maintenant déduire de ce principe les conséquences qu'il comporte au point de vue des relations internationales. La loi étant de sa nature permanente et générale il faudrait, pour éviter toute déformation, qu'elle fût à la fois territoriale et extraterritoriale, personnelle et réelle dans les relations internationales. En pratique cela n'est évidemment pas possible et nous aurons

ou ne pas vouloir, mais de trouver un système scientifique de corrélation entre les lois civiles des divers peuples; 2° l'action sociale du droit ne s'étendra aux relations internationales qu'autant que les lois conserveront dans leur application au commerce international leurs caractères intérieurs. Les dépouiller arbitrairement de ces caractères aboutit inévitablement à ruiner leur effet utile.

1 Est-il nécessaire d'observer qu'il y a certains actes de l'autorité, comme les règlements de police, qui n'ont d'application qu'à la localité pour laquelle ils sont faits, et aussi que pour que certaines lois puissent être invoquées, il faut que le droit qu'elles réglementent soit organisé dans le pays où on les invoque, qu'il ne sera pas question de mitoyenneté dans un pays où la propriété individuelle n'existe pas. C'est à l'aide d'objections de ce genre que M. de Vareilles-Sommières a combattu nos prémisses. Elles n'enlèvent évidemment rien à leur valeur.

bientôt à insister sur les conséquences de cette impossibilité. Pour le moment contentons-nous de nous arrêter à la constatation que nous venons de faire. A la question cidessus posée quelle est la nature des lois au point de vue des relations internationales? on doit répondre les lois sont à ce point de vue à la fois territoriales et extraterritoriales, parce qu'il est de leur nature d'être générales et permanentes.

111) Et ceci permet de mesurer déjà la distance qui sépare nos doctrines de celles qui sont le plus communément acceptées. Pour les statutaires et peut-être déjà pour leurs prédécesseurs les bartolistes, un statut était, en règle générale, territorial. Ils considéraient donc que les lois sont naturellement générales dans leur application, sauf à faire subir à ce principe les exceptions que la pratique du commerce interprovincial rendait nécessaires. A l'époque où écrivaient les statutaires, cette façon d'envisager les choses pouvait se soutenir. Dans un état social où la souveraineté consistait dans une sorte de propriété immobilière, on ne manquait pas de logique en attribuant aux actes émanés du pouvoir souverain le caractère strictement territorial des pouvoirs du propriétaire. Pour la même raison l'attribution de la nationalité par la naissance se faisait conformément au jus soli, la dénationalisation qui accompagne fatalement toute annexion de territoire atteignait les sujets domiciliés dans les provinces annexées et l'extradition d'un criminel n'était pas accordée, si ce n'est en vertu de certains traités et pour les crimes politiques seulement.

Nous l'avons dit plus haut, l'inélégance de la théorie statutaire consistait bien moins dans son principe que dans les exceptions que, sous le nom de statuts personnels, elle apportait à ce principe. Jean Voet seul recula devant cette inélégance et demeura rigoureusement logique. Mais ces considérations bonnes pour l'ancien droit ne peuvent plus être invoquées à notre époque, où la loi n'est plus l'expres

sion de la volonté d'une sorte de propriétaire, mais un moyen donné au souverain de remplir ses fonctions par rapport à la communauté qu'il dirige.

Le système contraire de la personnalité des lois n'est pas plus juste. Ce système pouvait être exact à l'époque des invasions, où l'État territorial n'existait pour ainsi dire pas, il a cessé de l'être par l'avènement de la féodalité qui a marqué le passage d'un excès à l'excès contraire. Actuellement il revient à dire que les lois sont par nature permanentes. C'est vrai, mais cette analyse est imparfaite et oublie que les lois sont également générales et que ce dernier caractère n'est chez elles ni moins régulier ni moins essentiel que le premier. Il fait donc subir aux lois dans les relations internationales une déformation arbitraire, que l'importance du reste indéniable de l'idée de nationalité ne suffit pas à justifier. S'il est vrai que les lois sont permanentes, elles sont également générales et la proclamation de leur personnalité n'est rien autre que l'affirmation gratuite et injustifiée de la prépondérance de l'un des caractères de la loi sur l'autre.

112) Il est certain cependant que les lois ne peuvent pas garder dans les rapports internationaux les deux qualités qu'elles possèdent dans leur action intérieure et purement nationale. S'il en était ainsi, si chaque État s'obstinait à considérer ses lois à la fois comme permanentes et comme générales, comme extraterritoriales et comme territoriales, aucune harmonie, aucune communauté de droit ne serait. possible. Les juges de l'État appliqueraient leur propre loi et aux sujets qui se trouvent à l'étranger et aux étrangers présents dans le pays, c'est-à-dire à tous les cas possibles. La détermination de la loi applicable dépendrait donc du tribunal chargé de trancher chaque litige, solution qui, de toutes celles qui peuvent être proposées, est sans doute la moins acceptable.

Une première conclusion se dégage de là qui, si l'on y réfléchit, suffit à jeter un jour assez grand sur les pro

blèmes de notre science. Quelque parti que l'on adopte, la loi dans les rapports internationaux n'aura jamais la plénitude d'effets qu'elle possède dans les rapports purement nationaux. Si on la déclare permanente, elle perd sa généralité d'application, c'est l'inconvénient de l'extraterritorialité. Si on la proclame générale, sa permanence est sacrifiée. C'est le mauvais côté de la territorialité. Fatalement, par le vice de son origine, par la nécessité des circonstances au milieu desquelles elle est appelée à exercer son autorité, la loi sera imparfaite dans son action internationale. On ne peut pas remédier à cette imperfection : il faudrait pour cela une seule loi commune à l'univers entier1.

Que l'on ne s'étonne pas dès lors des hésitations des jurisconsultes. Comme il n'y a pas en droit international de solution absolument bonne, il n'en est pas non plus d'absolument mauvaise, en ce sens qu'il n'en est pas qui ne réponde à un caractère appartenant effectivement à la loi. Le tout est de bien choisir et dans chaque hypothèse de sacrifier celui des deux caractères dont la conservation importe moins à l'effet utile de la loi.

Il y a plus et l'on comprend qu'une solution, si bonne soit-elle, laisse quelques regrets. On ne peut se résigner entièrement au sacrifice que l'on a dû faire et l'on tente, œuvre vaine, de concilier les avantages de la solution que l'on a préférée avec ceux du parti que l'on a sacrifié.

1 Et on remarquera, en effet, que dans les matières où l'harmonie est plus nécessaire, on n'hésite point à établir une législation commune. Il en est ainsi du droit applicable aux moyens de circulation. L'Union postale réalise de nos jours l'exemple le plus large de législation commune. Il en est de même, dans des proportions plus modestes, des autres unions. Le droit commercial et le droit maritime tendent également à l'uniformité. L'harmonie ainsi obtenue est évidemment la plus complète de toutes, la seule qui maintienne dans les rapports internationaux les deux caractères de permanence et de généralité de la loi. Mais cette harmonie n'est possible que par exception, sa généralisation obligerait chaque peuple à renoncer à ses mœurs et coutumes particulières. Cette généralisation n'est pas souhaitable.

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