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pas soumis à l'impôt est entièrement indépendante de la territorialité de la loi fiscale, elle n'est même pas de nature à être arbitrairement résolue par cette loi, car cette question touche aux intérêts concurrents de plusieurs États et sa solution doit au moins respecter le principe du droit au commerce international.

104) Une théorie rationnelle du droit fiscal international est encore à faire. C'est une besogne ingrate, presque désespérée. Si l'on part de cette idée que l'impôt est la rémunération des services que la communauté rend aux particuliers qui en font partie, le point de départ rationnel de toute théorie serait de faire payer aux étrangers les impôts correspondant aux services dont ils bénéficient, de les dispenser de tous les autres. Il faudrait pour cela que dans l'impôt apparût toujours sa raison d'être, le service public qu'il est destiné à rémunérer. C'est ce qui n'arrive presque jamais, et même tout classement des charges publiques à ce point de vue est complètement impossible. Aussi ce n'est que dans des cas très rares qu'une semblable méthode pourra être employée. On dira ainsi qu'il est juste que les étrangers payent les frais de justice ou les droits de douane parce que ce paiement est ici la rémunération du service rendu, là le prix de l'autorisation donnée d'écouler à l'intérieur des marchandises venues de l'étranger. Mais ces quelques applications isolées et fortuites manquent de toute signification sérieuse, du moment qu'elles ne sauraient être assez multipliées pour fournir la base d'une construction méthodique des charges que doit supporter l'étranger 2.

1 Cf. Lehr, Des doubles impositions en droit international, de leurs causes et de leurs remèdes, Cl. 1901, pp. 722 et suiv.; Weiss, Traité, t. II, pp. 162 et suiv.; de Bar, Theorie und Praxis, t. I, pp. 317 et suiv. Cf. Fœlix, t. II, pp. 1-34.

2 M. Wahl (loc. cit., p. 1073) tire de cette idée première la conséquence, que l'État ne protégeant que les biens situés en France ne peut appliquer qu'à ces seuls biens les droits d'enregistrement qu'il établit. Ce raisonnement n'est pas très exact. L'État protège également ses natio

En fait, dans tous les pays, l'exagération progressive des dépenses publiques a fait mesurer les impôts non pas sur les services rendus par l'État, mais sur les facultés des contribuables, l'État demandant à chacun tout ce qu'il est capable de fournir sans cesser d'être un instrument de production ou de conservation de la richesse nationale. Poussé par cette même tendance, le législateur en viendra fatalement à demander à l'étranger tout ce qu'il peut lui prendre sans le charger d'impôts particuliers, impôts assez odieux et dont les traités empêcheraient du reste le plus souvent la perception, car, si larges que l'on fasse les droits de la souveraineté en cette matière, on conviendra qu'ils ne l'autorisent pas à se placer au-dessus des stipulations des traités. Tel est en effet l'esprit de notre législation française, mais cet esprit ne saurait être celui de la doctrine. Il ne suffit pas de pouvoir prendre pour que la perception soit légitime; il faut qu'elle soit justifiée par un principe.

105) Nous savons déjà qu'une solution rationnelle de la question est impossible; force est donc de recourir à une solution empirique en la faisant aussi équitable que possible. L'idée, qui en cette matière a rallié tous les suffrages, est celle de l'égalité du national et de l'étranger. Elle est conforme aux devoirs internationaux des États, car nulle considération ne saurait les obliger à traiter les étrangers mieux que leurs propres nationaux ; elle paraît d'une application facile, elle correspond aux aspirations de tous les peuples, et cette règle d'égalité est celle que l'on retrouve invariablement proclamée dans les traités.

Il ne suffit pas de proclamer ce principe, il faut encore le bien comprendre et il semble que sur ce point une

naux à l'étranger et les intérêts qu'ils peuvent y posséder. Les pays à finances avariées le savent bien. Il suivrait de là que la soumission à l'impôt devrait dépendre plutôt de la nationalité de l'assujetti. Personne cependant n'admettra qu'une semblable théorie puisse être appliquée.

critique sérieuse doive trouver place. La règle de l'égalité du national et de l'étranger a pour objet de ne point surcharger un étranger au delà de ce qu'un national aurait à payer à sa place il faut donc qu'elle aboutisse à traiter également le premier et le second. Nous insistons sur ce commentaire, parce qu'on est porté à croire qu'il suffit qu'un étranger ne paye pas d'autres impôts que ceux que paye un national pour que l'égalité existe entre eux. Rien n'est plus faux que ce point de vue. Pour qu'un étranger soit placé sur le pied de l'égalité avec un national, il ne suffit pas que cet étranger ne supporte pas des impôts exceptionnels et levés sur lui seulement, il faut qu'il ne paye pas plus qu'un national ne paierait à sa place. Cette exigence n'est pas toujours d'une réalisation facile il semble cependant qu'elle pourra être satisfaite, si l'on applique à la matière le principe dont nous recommandions plus haut, en matière de compétence, l'application. De même que les circonstances de fait (situation des biens, domicile, etc.), qui déterminent la compétence d'un certain tribunal à l'égard d'un Français, devraient rendre ce tribunal compétent à l'égard d'un étranger, de même pour soumettre l'étranger à un certain impôt, on devrait requérir la présence des conditions de fait qui rendent cet impôt exigible de la part d'un Français. Ce serait l'existence des causes habituelles de perception qui aurait pour effet de soumettre cet étranger à l'impôt : domicilié en France il y payerait les impôts que l'on acquitte à son domicile, propriétaire de biens, ceux que l'on exige au lieu où le bien est situé, adonné à une industrie, ceux qui ont pour cause l'exercice de cette industrie et sont demandés au lieu où cet exercice se produit.

Cette méthode est purement empirique et, au point de vue rationnel, on peut lui reprocher de faire passer l'accessoire avant le principal, car il est vrai qu'en matière d'impôts la question d'assujettissement est le principal, et les

1 Weiss, loc. cit., p. 163. Wahl dans Cl. 1891, pp. 1065 et suiv.

circonstances de la perception, l'accessoire. Il demeure vrai cependant qu'à défaut d'une construction rationnelle impossible à élever, elle évitera dans la plupart des cas qu'un étranger soit imposé au même titre ou pour le même bien dans plusieurs pays différents. Elle empêchera surtout qu'une multiplication des causes de perception aboutisse grever l'étranger plus que ne l'est le national 1.

L'histoire de notre législation sur les droits de succession imposés à l'étranger est assez instructive à cet égard. Tout d'abord notre législateur, s'attachant à la situation des biens, n'imposait les droits français de mutation par décès qu'aux biens corporels meubles et immeubles situés en France et aux valeurs qui pouvaient être considérées comme y ayant leur assiette, parce que c'est en France que se trouvait le particulier ou l'établissement débiteur. Cette solution n'avait rien que de fort raisonnable, mais on ne s'en tint pas là, et, sous la pression des nécessités budgétaires, le fisc procédant par empiétements successifs en vint peu à peu à saisir les valeurs du défunt ayant leur assiette à l'étranger, d'abord dans les successions régies par la loi française, ensuite dans celles des étrangers morts en France après y avoir acquis un domicile de fait. Seuls les immeubles situés à l'étranger et les meubles corporels qui s'y trouvent ont trouvé grâce auprès de notre législateur. Il n'est pas douteux qu'avec un pareil système, les valeurs mobilières, dépendant d'une succession ouverte en France et sise à l'étranger, payeront deux fois les droits de mutation. C'est une inégalité que l'on éviterait, en percevant de l'étranger dans la mesure seulement où la perception serait légitime par rapport à un Français. On trou

1 Pratiquement l'application de cette méthode serait fort simple. Dans tous les cas où on réclame en France d'un étranger un impôt qu'il prétend ne pas devoir, il suffirait de laisser de côté toute question de souveraineté et de se demander dans quel lieu cette personne serait assujettie à l'impôt, si l'on n'avait affaire qu'à la seule loi fiscale française. Si en effet ce lieu est situé en France, la personne, fût-elle étrangère, devra payer l'impôt ; est-il en fait à l'étranger, elle ne le payera pas.

verait aisément d'autres exemples d'une pareille inégalité. Dans les cas de ce genre l'étranger est traité plus durement que le national et cependant il ne paye pas d'autres impôts, que ceux que payerait ce dernier; seulement il les paye dans des cas où celui-ci ne les payerait pas. On peut se demander si une législation qui comporte de semblables conséquences est vraiment respectueuse de la lettre de ces nombreux traités, où se trouve la stipulation de l'égalité des sujets des deux parties contractantes au point de vue des charges auxquelles ils sont soumis.

106) Il est conforme à l'esprit du droit international de tendre perpétuellement à cette égalité, mais on doit convenir qu'elle ne sera jamais qu'approximative. La faute en est à la complexité du système financier en vigueur dans les divers États civilisés. Il n'y aura jamais entre les systèmes appliqués une correspondance telle qu'on puisse être sûr qu'un impôt payé d'un côté ne sera pas aussi payé de l'autre1. Dans quelques occasions ce système tournera au profit de l'étranger. Ne devant pas le service militaire dans le pays de son établissement, il ne devra pas non plus la taxe militaire, s'il en existe une. Il est possible que dans sa patrie son absence soit pour lui une cause de dispense et que cette dispense ne soit compensée par aucun impôt. Dans ce cas sa situation sera de part et d'autre plus favorable que celle du national non expatrié. Mais le plus souvent on verra le résultat inverse se produire et l'étranger sera grevé plus lourdement que le national.

1 Seuls les impôts de consommation réalisent pleinement l'idée d'égalité. L'étranger payera autant que le Français, il est sûr de ne pas payer davantage. La suppression des octrois dans les villes où elle a été récemment accomplie et leur remplacement par des taxes directes a eu cette conséquence de rompre l'égalité entre l'étranger et le Français au préjudice de ce dernier. Pratiquement l'inégalité signalée au texte ne serait pas d'une réelle importance, les divers États également pressés de besoins d'argent ayant adopté des moyens assez semblables pour s'en procurer. La différence la plus sensible existe entre les pays qui ont adopté l'impôt sur le revenu et ceux qui ne l'ont pas adopté.

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