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à la vie réelle, à ces phénomènes sociaux que l'on peut considérer à bon droit comme nécessaires parce qu'on les voit se produire avec une continuité pleine d'enseignements dans le sein de toute société. Quelle sera la base de notre doctrine, il n'est pas encore temps de le dire. Le choix de cette base fait toute la valeur de la méthode. Ce choix du reste est assez large. On peut aller la chercher dans les caractères communs que présentent les lois privées, si l'on juge que ces caractères soient tels qu'ils comportent des conséquences arrêtées quant à la solution des conflits, on peut s'en rapporter de préférence à l'intention exprimée par les divers législateurs, on peut s'élever un peu plus et aller chercher dans l'analyse de la souveraineté du législateur la mesure qu'il conviendra de donner à la portée de ses lois dans l'espace. Chacun des systèmes possibles a son fort et son faible, mais, quel que soit celui que l'on adopte, il importe de le fonder non pas sur des axiomes émis à priori mais bien sur des vérités premières dont l'évidence éclate aux yeux de tous. Ce principe sera le fondement premier de notre méthode. Nous serons peutêtre amené, au cours de nos études, à émettre des idées assez différentes de celles qui ont habituellement cours. Cette perspective n'a rien qui puisse effrayer. La doctrine du droit international privé n'est pas si parfaite que l'on ne puisse espérer trouver la vérité dans des voies différentes de celles qui ont été suivies jusqu'ici. Une seule préoccupation nous guidera, scruter rigoureusement la solidité de nos principes.

Alors seulement nous pourrons présenter, comme dignes d'être acceptés, les résultats que nous aurons obtenus. Peut-être trouvera-t-on ces résultats bien pauvres et dira-t-on que ce n'était guère la peine de se livrer à d'aussi longues recherches pour arriver en somme à des solutions. dont la plupart sont déjà connues et pratiquées. Ce reproche qui nous a déjà été fait ne nous émeut pas. Nous ne cherchons pas à créer un droit international nouveau, et il faudrait en vérité être bien naïf pour penser que des siè

cles ont pu être dépensés en recherches sans que, par une voie ou par l'autre, ne fût-ce que guidé par cet instinct de la vérité dont parlait Bartole, on soit arrivé sur la plupart des points aux solutions les plus acceptables. Notre but est tout différent. Nous cherchons à jeter plus de lumière dans ce domaine de la science, en scrutant plus profondément ses assises, en recherchant avec plus de soin les lois nécessaires qui la régissent, en déterminant avec une précision plus grande les relations de ses diverses parties. Si ce travail nous conduit parfois à des solutions nouvelles, nous ne les repousserons point, mais aussi s'il doit aboutir seulement à confirmer et à mieux faire comprendre des notions déjà reçues, nous croyons qu'il n'aura pour cela rien perdu de sa valeur. Encore hâtons-nous d'ajouter, pour ne tromper personne, que nous ne prétendons nullement émettre un système de droit international qui soit sans lacunes ni défauts. Une semblable perfection, nous le démontrerons, est impossible à atteindre, et quoi qu'on fasse, ces grands faits, la diversité des États et la pluralité de leurs législations auront fatalement cette conséquence que l'on ne possédera jamais un système rationnel de droit international privé aussi complet dans ses prescriptions, aussi uniforme dans ses effets que peut l'être la législation intérieure d'un seul et mème pays.

Nos lecteurs, je le pense, ne s'étonneront pas outre mesure de cet aveu. Familiarisés avec les problèmes internationaux, ils connaissent la difficulté que l'on éprouve à arriver dans ce domaine à des idées nettes et exactes et comment il ne faut pas prétendre acquérir sur tous les points la certitude. Dût-on me savoir mauvais gré de cette déclaration, je me résigne sans peine aux critiques qu'elle me vaudra. Un jurisconsulte a dit au sujet de notre science qu'elle inspire à qui la cultive de l'humilité pour lui-même et de la charité pour les autres 1. Jamais, depuis que le droit international privé existe, pensée plus juste n'a été émise à son endroit.

Butler cité par Lorimer. R. D. I., 1878, p. 339.

CHAPITRE II

Objet du droit international privé.

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10. Son objet véritable.

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12. Solution

9. Objet du droit international privé pour les anciens auteurs. 11. Réglementation dans chaque pays de la condition des étrangers. des conflits entre législations différentes. 13. Détermination dans un pays quelconque de l'effet des actes juridiques passés à l'étranger; théorie de l'effet international des droits acquis. 14. Mise en œuvre de cette théorie; annexions, changements de nationalité. - 15. Classification des questions de droit international privé. - 16. Méthode à suivre. - 17. Domaine du droit international privé.

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9) Le rôle social de notre science ayant été défini dans le précédent chapitre, nous avons maintenant à bien préciser les diverses questions composant le domaine qui lui est propre.

L'objet principal du droit international privé est d'arriver à la solution des conflits de lois. Qu'est-ce qu'un conflit de lois? On désigne sous ce nom les hypothèses dans lesquelles un mème rapport de droit, se rattachant par ses divers côtés à plusieurs législations, fait surgir un doute sur le point de savoir quelle loi lui doit être appliquée. Par les circonstances dans lesquelles ce rapport est né ou a acquis son développement, il a suscité la concurrence de lois diverses; ces lois pouvant, à des titres différents, prétendre à être observées, elles paraissent se combattre : on dit pour ce motif qu'il y a conflit.

Un exemple, mieux qu'une définition abstraite, montrera

quelles sont les hypothèses auxquelles nous faisons allusion. Supposons qu'un Français épouse une Anglaise, on se demandera immédiatement si c'est la loi française ou la loi anglaise qui devra régir les conditions de leur union. Ajoutons que ce mariage a lieu à Bruxelles et nous voyons qu'au précédent conflit issu de la diversité dans la nationalité des époux vient se joindre une complication tenant au lieu dans lequel leur mariage est célébré. Trois lois sont alors en présence et l'on est obligé de se demander dans quelle mesure chacune d'elles devra être obéie. Suivons ces époux dans leur vie matrimoniale. Les mêmes difficultés qui se sont déjà produites au début et lorsqu'il s'est agi d'apprécier les conditions juridiques auxquelles ils devaient satisfaire pour contracter un mariage valable renaîtront au sujet des conséquences légales de leur union. A quelle loi seront soumis leurs rapports personnels? A quelle loi leurs rapports pécuniaires? Il est possible même que celles-ci soient plus graves et plus complexes; il suffit pour cela d'imaginer que les époux changent de nationalité ou de domicile pendant leur mariage, qu'ils aillent par exemple se fixer en Suisse, ou encore qu'ils possèdent des biens dans un tiers pays qui n'est ni leur patrie, ni le lieu de leur domicile, ni celui où leur mariage a été célébré. Mème embarras encore et même conflit si ces époux, après un certain temps de vie commune, se voient forcés de recourir au remède du divorce ou au palliatif de la séparation. Nous voyons ainsi qu'un seul acte juridique, un mariage peut établir une concurrence entre cinq lois civiles différentes qui toutes ont des titres sérieux à être appliquées. L'une se réclamera de la nationalité de l'époux ou de l'épouse, l'autre du lieu de la célébration de leur union, une autre de leur domicile, une autre encore de la situation de leurs biens. Ce sont là des prétentions qui, au premier abord, n'ont rien d'absurde ni de fantaisiste on pressent la gravité du conflit et la difficulté qu'il y aura à se prononcer entre tant de titres divers dont aucun ne paraît dénué de sens. Heureux encore si le tribunal saisi de la contestation n'est pas situé dans

un État distinct de tous ceux que nous avons mis en cause et si la question de compétence ne vient pas, brochant sur le tout, augmenter l'embarras des intéressés et des juges 1.

Les questions de conflits sont certainement les plus nombreuses et les plus difficiles de celles qui servent d'aliment à notre science; bien plus, pendant longtemps on les a considérées comme constituant seules son objet, de telle sorte que le droit international pouvait être défini la science qui a pour objet la solution des conflits de lois. Telle était la manière de voir de nos anciens auteurs et ils y sont demeurés fidèles à ce point que dans leurs ouvrages même les plus considérables on ne rencontre pas une seule ligne qui ne soit consacrée à une question de conflit entre coutumes. Cette méthode, en dépit de son imperfection, est au moins chez eux fort intelligible. Pendant tout le cours de notre ancien droit le développement de notre science a eu pour occasion, non pas la considération des rapports pro

1 Conformément à la doctrine généralement suivie, nous considérons qu'un rapport rentre dans le droit international privé lorsqu'un des éléments de fait de nature à influer sur l'application du droit, est étranger. M. Jitta (La Méthode du droit international privé, pp. 46 et s.) trouvant ce criterium insuffisant enseigne qu'au point de vue d'un État déterminé, un rapport de droit international privé est celui qui n'est pas soumis au droit privé national de cet État. Il distingue alors entre les relations juridiques qui rentrant dans le domaine de législation d'un seul État sont nationales quant à lui et relativement internationales pour les autres États, et celles qui appartenant à la fois par leurs diverses parties au domaine de diverses législations sont absolument internationales. En outre, il admet qu'au regard de la collectivité des États toutes les relations juridiques possibles sont internationales. Comme procédé de méthode ceci paraît tout à fait critiquable. Il y a là une véritable pétition de principe. On se demande quelles hypothèses rentrent dans le domaine de notre science. M. Jitta répond que ce sont les rapports juridiques soumis à une loi autre que celle du juge. Il suppose donc que l'application des principes a été faite avant de décider si elle peut être faite. Cela s'appelle mettre la charrue avant les bœufs. En outre, nous contestons que toutes les relations juridiques sans exception soient internationales au regard de la collectivité des États. Les rapports de droit, qui ont tous leurs éléments dans le ressort d'une même souveraineté, sont essentiellement nationaux aussi bien au regard de la collectivité que pour les États particuliers.

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