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ils se rapportent soit à l'administration de la justice, soit à la compétence1.

97) L'étranger demandeur dans un litige contre un Français doit fournir la caution judicatum solvi. Cette garantie, qui n'a de romain que le nom, est destinée à éviter que des étrangers, ne possédant aucuns biens en France, n'intentent contre des Français des poursuites légères et vexatoires, précisément parce qu'il n'existe pas dans ce cas de bon moyen de leur faire supporter le poids de leur témérité. La caution répondra des frais faits par le Français défendeur, si finalement ils tombent à la charge du demandeur, elle répondra également des dommages auxquels le demandeur pourra être condamné envers la partie adverse. On sait que la caution judicatum solvi n'est exigée que de l'étranger demandeur, la défense devant rester libre, et qu'il est parfois difficile de savoir ce que l'on doit entendre par étranger demandeur. Ce sont là des points d'interprétation auxquels nous ne nous arrêterons pas.

De toutes les inégalités maintenues entre la condition de l'étranger et celle du national, il semble que l'obligation de fournir la caution judicatum solvi soit celle qui se comprend le mieux. Elle n'implique nullement une défaveur attachée au titre d'étranger: elle se justifie par les seules circonstances, par ce fait qu'un homme sujet d'une autre souveraineté, sans attaches et sans biens dans le pays, trouve des facilités particulières à esquiver la responsabilité que la loi attache aux poursuites téméraires. Et cependant, il est dur de penser que la pauvreté puisse devenir une raison qui empêche l'étranger de poursuivre son droit en France, faute par lui d'être à même de fournir les sûretés qui lui sont demandées. Les conventions réciproques

1 Cette inégalité tend à s'atténuer par l'effet des conventions internationales. La plus importante à ce point de vue est la convention francobelge du 8 juillet 1899. Elle a été bien analysée par M. Bernard dans Cl. 1900, p. 910, et 1901, p. 324.

d'assistance judiciaire contiennent dispense de fournir la caution pour les personnes appelées à bénéficier de leurs. dispositions, mais ces conventions sont rares et insuffisantes; elles ne peuvent que pallier le mal1.

La caution judicatum solvi a eu dans notre législation une fortune très diverse. Après avoir été, pendant le xix® siècle presque entier limitée aux seules matières civiles, par une loi encore récente (loi du 5 mars 1895), elle s'est vue appliquée aux matières de commerce. Cette réforme était à peine faite, qu'une convention issue de la conférence de La Haye la supprimait, accordant en retour l'exequatur sans revision aux condamnations prononcées contre le demandeur étranger 2. La France ayant été partie à ces conventions, la caution judicatum solvi ne peut plus être exigée chez nous que des nationaux de pays demeurés eux-mêmes étrangers à ces traités.

98) Ce n'est pas encore sur ce point que se révèle plus nettement l'inégalité mise par la loi française entre l'étranger et le national. La matière de la compétence nous en offre un exemple plus frappant encore. L'infériorité est ici flagrante. Défendeur ou demandeur contre un Français, l'étranger sera jugé par les tribunaux français (art. 14 et

1 V., par exemple, la convention franco-italienne du 19 février 1870 (de Clercq, t. X, p. 337), sur le modèle de laquelle beaucoup de conventions ultérieures ont été faites. Les personnes qui en bénéficient sont dispensées de toute caution ou dépôt qui peut être exigé des étrangers plaidant contre les nationaux ; ils ne seraient pas exemptés des garanties qui peuvent être requises des nationaux eux-mêmes. Ces stipulations paraissent être du nombre de celles auxquelles s'applique la clause de la nation la plus favorisée, lorsqu'elle n'a pas un objet purement commercial. 2 Convention de La Haye du 14 nov. 1896 (de Clercq, t. XX, p. 642) entre la Belgique, l'Espagne, la France, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et la Suisse. L'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Roumanie, la Russie, la Suède et la Norvège ont adhéré à cette convention. Les art. 11 à 13 de cette convention suppriment la caution judicatum solvi dans les rapports des pays contractants. Ils assurent l'exécution aux condamnations aux frais et dépens sur le territoire de l'un quelconque des États signataires, sur la simple vérification de l'authenticité de la décision et sur la preuve de son autorité de chose jugée.

15); engagé dans une contestation avec un autre étranger, il se verra refuser l'accès des tribunaux français par une jurisprudence ancienne et constante.

La règle actor sequitur forum rei compte parmi les plus anciennes du droit, c'est la plus vieille règle de compétence connue. Elle correspond à une idée de justice tout à fait élémentaire. Le créancier, qui prétend exiger de son débiteur une prestation que celui-ci lui refuse, trouble ainsi par son action l'état de paix et d'indépendance mutuelle existant entre eux; il doit actionner ce débiteur devant son juge naturel, le juge du domicile de ce débiteur. Cela est doublement juste. Il est juste que celui que l'on prétend assujettir à une obligation qu'il discute, bénéficie de la protection de sa juridiction personnelle, il est juste aussi que le créancier, qui a eu foi dans son débiteur, soit astreint au déplacement que cause la nécessité de l'assigner au loin, dans un pays étranger. Cependant l'art. 14 du code civil permet au créancier français de poursuivre son prétendu débiteur étranger devant les tribunaux français, de lui imposer par conséquent les frais et l'incommodité d'un procès suivi loin de son domicile, les risques d'une instance jugée par un tribunal avec les usages duquel il est peu familier. Cette disposition procède évidemment d'un esprit de défiance très marqué envers les législations étrangères. Loin de tendre à limiter dans les bornes les plus strictes l'application de l'art. 14, la jurisprudence, faisant par rapport à la loi acte de courtisan bien plus que de serviteur, a étendu dans la mesure du possible l'application du principe. C'est ainsi qu'elle n'a pas hésité à l'étendre à des obligations qui n'ont rien de contractuel, bien que le mot de contrat figure à l'art. 14, et qu'elle a négligé de tenir compte de la relation, qui paraît bien résulter du texte, entre le droit consacré par l'article et la nationalité du créancier, au moment de la formation de l'obligation. L'hypothèse d'une cession de créance par endossement a fourni à notre jurisprudence une autre occasion d'affirmer les mêmes tendances. La jurisprudence va même jusqu'à reconnaître

ce droit au Français domicilié en pays étranger, dans le pays où réside son débiteur, et il faut bien avouer, que quelle que soit la généralité de l'art. 14, le droit d'évocation accordé dans de telles circonstances au demandeur frise l'absurdité1.

C'est un vrai privilège que la loi accorde là au Français, privilège auquel il lui est permis de renoncer expressément ou tacitement, ce qui prouve bien que nulle raison d'ordre supérieur n'a dicté au législateur cette exception.

L'effet de cette règle s'est révélé en tous points mauvais. Les jugements français, rendus sur le fondement de la compétence établie par l'art. 14, ne reçoivent jamais leur exécution à l'étranger à l'égard d'un étranger qui ne possède pas de biens en France, l'article est inutile et ne dispense pas de l'obligation de recommencer le procès à l'étranger. De plus, par un juste retour des choses, la mesure prise par le législateur français a provoqué de la part de certains États étrangers des mesures de rétorsion, qui ont pour effet d'y soumettre les Français défendeurs à la compétence des juges locaux, alors que les étrangers non Français continuent à y bénéficier de la maxime actor sequitur forum rei. Il faut noter enfin qu'au point de vue économique, les privilèges de cette sorte ne manquent pas de se retourner contre la nation qui les a imprudemment inscrits dans le corps de ses lois. Les

1 Cf. le Répertoire général du droit français, vo Étranger, no 655 et suiv. La tendance qui a inspiré à nos magistrats cette jurisprudence extensive peut être rapprochée de celle, qui les porte à multiplier plus que de raison les cas d'application de la loi française dans la solution des conflits. L'une et l'autre sont mauvaises, mais intelligibles chez des praticiens qui n'ont à décider que dans des cas relativement rares des questions internationales.

2 Telle est la disposition de l'art. 105 du code civil italien (Cf. Cass. Palerme, 4 avril 1893, Cl. 94, p. 1081) et, en Belgique, celle de la loi du 25 mars 1876, art. 52 à 54. En Allemagne (loi d'introduction au code civil, § 31), le chancelier peut, avec l'assentiment du Conseil fédéral, prendre, en pareil cas, des mesures de rétorsion. A Monaco, l'art. 5 c. pr. civ. a une disposition analogue.

étrangers particuliers ou sociétés hésiteront à acquérir des biens dans un pays, où ces biens peuvent servir de gages à des jugements rendus contrairement aux lois les plus élémentaires de la compétence. On ne pourra se préserver de ce dommage que par des clauses de renonciation au bénéfice de l'art. 14, insérées dans les actes que l'on passera avec les Français, encore sera-t-il fort malaisé de faire ces clauses assez compréhensives et assez parfaites pour embrasser tous les rapports d'obligation qui pourront se présenter.

Au point de vue des rapports des nations entre elles, la règle de l'art. 14 est certainement mauvaise et contraire aux devoirs internationaux. Il est vrai que les conflits sur la compétence n'obéissent pas à des règles aussi nettes et aussi précises que les conflits de lois civiles en général. Ces règles sont en relation étroite avec les principes de l'organisation politique et administrative de l'État, et des raisons d'ordre public s'opposent à ce que l'on puisse admettre sur ce point l'autorité des lois étrangères. Il faut cependant qu'une certaine correspondance soit établie entre les lois des divers pays, pour que l'administration de la justice. s'opère régulièrement dans les relations internationales et qu'aucune injustice notable ne soit commise au détriment de personne. Il faut, en particulier, que les grandes règles attributives de juridiction soient admises au profit des étrangers, comme elles le sont au profit des nationaux. Une longue expérience a prouvé la sagesse de ces règles et leur nécessité: elles représentent véritablement la justice et il y aurait iniquité notoire à s'en écarter sans raison tout à fait décisive. Aucune raison de cette force ne peut être alléguée en faveur de la disposition de l'art. 14. Ce qui prouve que cette disposition est purement arbitraire et ne repose sur aucun motif d'ordre public, c'est que le particulier auquel elle profite peut y renoncer. Cette renonciation ne serait pas admise, si l'État était intéressé à son maintien. Le plaideur français pouvant y renoncer, le législateur français devrait y renoncer lui-même, car il y a

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