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vifs. Il paraît d'une interprétation vicieuse d'emprunter à une distinction traditionnelle son nom et son autorité en lui assignant, comme le fait la jurisprudence, un sens tout à fait nouveau.

Par contre, il n'est pas sans témérité d'interpréter l'art. 11 comme le fait la doctrine. Si l'opinion précédente introduit dans son texte une réserve qni n'y figure point, celle-ci fait pire, elle donne à l'article un sens contraire à son texte, car celui-ci est un impératif formel et cette doctrine, le réduit aux proportions d'une disposition hypothétique et conditionnelle. Par lui-même, il ne vaudrait que comme avertissement ou comme menace il ne prendrait d'autorité véritable qu'au fur et à mesure que des textes spéciaux viendraient le confirmer. Cela encore paraît bien peu probable1. Et cependant cette interprétation est, après tout, la plus raisonnable peut-être, parce que c'est elle qui' réduit davantage la portée d'un article mal construit, inapplicable.

90) Il n'y a du reste que fort peu de distance entre les conséquences pratiques des deux opinions opposées. La jurisprudence tend à augmenter toujours la catégorie du droit des gens aux dépens de celle du droit civil, et on ne trouve plus qu'en matière d'adoption, de tutelle 2, d'hypo

1 On connaît le parti très ingénieux que l'on tire dans cette opinion de la présence des art 726 et 912 dans les articles du code (cf. Demangeat, p. 155). Pour que cet argument fût sans réplique il faudrait que l'on n'y trouvât jamais de répétitions de principes faites à l'occasion d'hypothèses particulières. Or il n'en est pas ainsi en fait. On trouvera dans Weiss une tentative de conciliation entre les deux opinions opposées (Traité, t. II, pp. 189 et suiv.).

Encore en matière de tutelle cette incapacité qui se ressent par trop du caractère de munus civile de la tutelle romaine est-elle fort atténuée et ne frappe-t-elle plus les proches parents du mineur. Cf. Nancy, 29 octobre 1898; D., 1899-2-209. Montbéliard, 10 mars 1899; Cl., 99, p. 605, et aussi Cass., 16 février 1875; S., 75-1-193, avec la note de Labbé. Sur le principe lui-même, voir Cass., 11 juillet 1848, P. 1848-2-36. On peut remarquer encore, que pendant un certain temps la jurisprudence de la 4 chambre du Tribunal civil de la Seine a considéré le divorce comme un droit civil. Mais cette jurisprudence ne s'est pas maintenue.

thèque légale, d'usufruit légal, certains points où s'affirme en fait le libéralisme plus grand du système de la doctrine. Il faut observer en outre que les textes ne laissent subsister que fort peu d'inégalités entre le Français et l'étranger depuis l'abrogation des art. 726 et 912 par la loi du 14 juillet 1819. En dehors de l'infériorité résultant de l'art. 2 de la loi du 14 juillet 1819, on cite l'impossibilité d'obtenir la cession de biens, le défaut de droit aux affouages. On peut y joindre peut-être l'absence de certains droits ayant le caractère de faveurs, compris dans la législation ouvrière. Il n'y a pas d'autres différences

1 Ce point sera, on peut le prévoir, celui où l'assimilation de l'étranger au national sera, de nos jours, plus difficile à établir, soit parce que le travail national demande parfois à être protégé contre le travail étranger, soit surtout parce que les inégalités de cette sorte fournissent une excellente plate-forme électorale à des politiciens avides du pouvoir. Nos lois actuelles sur la déclaration de résidence des étrangers n'ont été écrites que comme mesures de police (décret du 2 octobre 1888 et loi du 8 août 1893), elles ne touchent, pour ainsi dire, pas le fond du droit. L'art. 1, § 2, de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels, applique expressément aux étrangers les dispositions de cette loi (dont le caractère de loi d'ordre public n'est pas contestable). La loi du 27 décembre 1892, art. 15, exclut les étrangers des fonctions d'arbitres et de délégués dans les contestations entre patrons et ouvriers. D'après la loi du 22 mars 1884, les étrangers peuvent faire partie de syndicats professionnels, mais n'y exerceront pas les fonctions d'administrateur ou de directeur; pour les sociétés de secours mutuels la situation est la même en vertu de la loi du 1er avril 1898, art. 3. La loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail (art. 3) protège les ouvriers étrangers, mais parfois dans une mesure moindre que les ouvriers français (cf. Trib. de Narbonne, 8 nov. 1900, Cl. 1901, p. 108; Trib. Seine, 7 nov. 1900, Cl. 1901, p. 111 et la note; Paris, 16 mars 1901, Cl. 1901, p. 510; Trib. de Nice, 26 déc. 1900, Cl. id., p. 524; Douai, 14 nov. 1900, Cl., id., p. 526; Toulouse, 7 août 1901, Cl. 1902, p. 99). Ces textes soulèvent une question fort intéressante: les inégalités qu'ils consacrent sont-elles de nature à disparaître par l'influence d'un traité stipulant L'égalité entre les sujets des H. P. C. au point de vue de l'industrie et du travail ? La question est délicate. Il parait assez raisonnable de la résoudre par une distinction entre les droits purement pécuniaires qui subissent, sans aucun doute, l'influence des traités, et ceux qui ont une certaine couleur politique et doivent, pour cette raison, demeurer propres aux Français. Une question douteuse, et qui n'est pas sans analogie avec les précédentes, s'est élevée sur le point de savoir si les étrangers sont soumis à la loi

entre eux et l'on peut dire que la législation française est très favorable à l'idée de l'égalité du national et de l'étranger en matière extrajudiciaire au moins. Cet esprit a été très sensible dans la législation postérieure au code civil. Toutes les fois qu'un droit nouveau a été institué, il a été étendu aux étrangers, ou purement et simplement, ou sous des conditions très faciles à remplir 1.

91) Cependant il y a mieux encore et l'étranger, admis à fixer son domicile en France par l'autorisation du Président de la République, jouit de tous les droits civils dont jouit le Français lui-même. Cette autorisation a été instituée au profit de l'étranger désireux d'acquérir notre nationalité par naturalisation; on a voulu lui faciliter l'accès de la qualité de Français, en effaçant provisoirement à son profit les dernières inégalités qui séparent le Français de l'étranger dans l'ordre des droits privés. Seuls, les droits politiques manquent à cet étranger, il ne les obtiendra que lorsque, les conditions requises ayant été satisfaites, un décret de naturalisation aura été rendu en sa faveur.

L'étranger domicilié avec autorisation jouit-il de tous les droits privés que possède le Français ? L'article 13 paraît bien le dire, mais ce que la loi a fait, la loi peut le défaire, et lorsqu'il paraît avoir été de l'intention du législateur de faire de certains droits de véritables privilèges organisés au profit du seul Français, l'interprète, en dépit de l'article 13, les refuse à l'étranger. Au moins, faut-il exiger que l'exclusion de ce dernier ait été certainement dans la pensée de la loi. C'est un point à examiner à propos de chaque question qui se présente 2.

du 28 mars 1882 sur l'instruction primaire. V., à ce sujet, Cl. 1901, pp. 91 et suiv.

1 V., par exemple, Banque de France, décret du 16 janvier 1808, art. 3; mines, loi du 21 avril 1810, art. 13; propriété littéraire, loi du 5 février 1840 et décret du 28 mars 1852; brevets d'invention, loi du 5 juillet 1844, art. 27 à 29; marques de fabrique, loi du 23 juin 1857, art. 5, etc.

Sur la condition des étrangers autorisés, v. le Répertoire général de droit français, v° Étranger, no 135 et suiv.

on

92) Une question plus générale doit, ici, attirer notre attention. Lorsque nos lois accordent un droit à l'étranger - qu'il s'agisse de l'étranger autorisé à domicile de l'article 13, de celui qui peut invoquer les clauses d'un traité, ou simplement de l'étranger ordinaire dans la limite des droits qui lui sont reconnus, il n'importe doit se demander si ce droit est accordé purement et simplement à l'étranger, de telle sorte qu'un étranger quelconque puisse en jouir sans aucune condition, ou s'il ne faut pas que cet étranger soit investi de ce droit dans sa patrie pour pouvoir le réclamer en France. Peu de questions sont aussi délicates que celle-là et c'est bien à tort qu'elle a été négligée par les auteurs 1.

Malgré la ressemblance générale que présentent entre elles les diverses législations, il n'est pas difficile de trouver des exemples d'institutions juridiques, qui admises dans certains pays ont été, au contraire, proscrites dans d'autres pays. L'adoption, la reconnaissance d'enfant naturel, la légitimation admises et même encouragées chez nous sont proscrites en Angleterre. Le divorce est tantôt permis, tantôt défendu. La donation pour cause de mort, l'institution contractuelle, les hypothèques légales existent.

Notre collègue Weiss a aperçu cette question (Traité théorique et pratique, t. II, p. 180) qu'il résout en disant, que sauf les cas où l'ordre public est intéressé, l'étranger ne jouit, en France, que des droits à lui reconnus par sa propre législation. La solution ne nous paraît pas aussi simple qu'à lui. On observera que notre loi ne contient rien qui autorise une semblable restriction. On observera surtout, que l'admission de cette idée implique l'existence d'une obligation entre États quant à la condition de l'étranger, l'obligation de ne pas pousser à son égard la libéralité plus loin que ne le fait le législateur de ce propre étranger. Or cela ne se concilie pas très bien avec le principe premier adopté par M. Weiss (id., p.4). D'après lui l'État doit accorder à l'étranger la jouissance des droits naturels; au delà il fait ce qu'il veut. Pas tout à fait, cependant, puisqu'il ne peut pas lui accorder un droit que son législateur national lui refuserait. De plus, l'idée d'ordre public est ici sensiblement trop étroite. Il n'importe nullement à l'ordre public français, que l'étranger puisse jouir en France de toutes les formes de propriété et de tous les droits réels reconnus par la loi c'est cependant un droit qu'on ne lui refusera en aucun cas.

dans certains pays, n'existent pas dans d'autres. C'est sur ces différences entre législations qu'est fondée, comme on sait, la distinction jurisprudentielle entre le droit civil et le droit des gens. Un étranger, appartenant par sa nationalité à un pays où l'un quelconque de ces droits n'est pas organisé, en jouit-il dans un autre pays, parce qu'il y possède tous les droits des nationaux du pays et que ceux-ci sont appelés à bénéficier d'institutions de ce genre? Il faut écarter d'abord le cas où la fraude à la loi est évidente. On admettra sans peine qu'un étranger ne pourra pas, au moyen d'un simple petit voyage, se procurer le bénéfice d'une faculté que son législateur national a résolu de lui refuser.

93) Mais ce cas exceptionnel étant écarté, la question apparaît extrêmement délicate. Examinons-la au point de vue des rapports des États entre eux. Envisagée sous cet aspect, la question revient à se demander jusqu'à quel point un État a qualité pour investir un étranger de droits que son législateur national n'a pas trouvé opportun d'organiser à son profit. Il semble très difficile de donner à une semblable question une réponse absolue. Affirmerat-on que l'État n'a aucun compte à tenir des prescriptions de la loi nationale de l'étranger, on s'exposera alors à des contradictions peu compatibles avec le respect mutuel dù à la souveraineté des États. Dira-t-on, au contraire, que l'État devra, dans la réglementation des droits des étrangers, tenir en perpétuelle considération la loi du pays auquel ils appartiennent, on risquera de gêner beaucoup cet État et de diminuer sensiblement les avantages que ses sujets tirent du commerce international. Évidemment, un terme moyen doit être trouvé entre ces deux alternatives inacceptables l'une et l'autre. On serait assez volontiers porté à attacher de l'importance à cette circonstance, que le droit en question est ou n'est pas dans le domaine du statut personnel de l'intéressé. On dirait alors que c'est en vain que l'État accorderait à l'étranger un droit du res

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