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près la volonté des intéressés, sur les dispositions de la loi sous l'empire de laquelle la personne civile a pris naissance. Une personne civile ne saurait donc pas user à l'étranger de facultés qui lui sont refusées par la loi du lieu où elle a pris naissance, sans violer la loi du contrat qui lui sert de base. Voilà donc un premier point certain. Une personne civile ne peut pas jouir à l'étranger de plus de droits que dans le lieu de son établissement.

A cette première limitation une seconde vient se joindre. En dehors du lieu de son origine, la personne morale est une étrangère privée des droits qui, par leur volonté ou par leur nature, sont réservés aux personnes civiles. nationales. Nous avons cité précédemment, comme exemple de restrictions de ce genre, les sociétés qui reçoivent une délégation de la puissance publique: on peut y joindre celui de sociétés, qui se proposeraient une action politique ou militaire dans les pays où elles ont leurs établissements. L'État ne saurait souffrir sans imprudence et sans danger qu'une société étrangère assume un semblable rôle sur son territoire.

Pour le reste, les principes exposés là-dessus relativement aux étrangers vivant et agissant auront leur application aux sociétés. L'État devra leur accorder les droits inhérents à l'idée de commerce international, droits qui se résumeront pour elles, dans la faculté d'étendre leur action au pays étranger et de jouir des libertés nécessaires en fait pour que cette action soit pratique et utile. Inversement, l'État devra respecter en elles leur qualité de sociétés étrangères et ne point leur imposer des obligations incompatibles avec leur existence dans le pays de leur établissement. Il demeure libre dans. ces limites de faire des différences entre les sociétés nationales et les sociétés étrangères, et l'on peut, sans violer les lois de l'interprétation, appliquer aux personnes morales les dispositions législatives portées pour les étrangers. C'est ainsi que chez nous, on leur applique les dispositions des articles 14, 15 et 16 du code civil. De l'avis

unanime des auteurs, les lois d'ordre public de chaque pays s'appliquent aux personnes civiles nationales et étrangères sans distinction. Mais c'est un point qui excède l'objet actuel de nos recherches.

Ces différences donnent un intérêt capital au point de savoir, quelles sont les personnes morales nationales et quelles sont les étrangères. Pour les sociétés de commerce ce point est fort délicat: c'est la célèbre question de la nationalité des sociétés. Pour les autres personnes morales il paraît plus simple. C'est le lieu de la fondation, ou plus exactement le lieu dans lequel elle a acquis la personnalité civile, qui fixera la nationalité de cette

personne.

84) Une dernière question s'impose ici à notre attention. Que deviennent les droits des étrangers en cas de guerre entre leur patrie et le pays dans lequel ils ont leurs intérêts? Il faut, à cet égard, distinguer suivant les époques. Pendant longtemps la guerre a été considérée comme brisant tout lien de droit entre les nations ennemies. Dans cette théorie (dont le droit des gens actuel garde encore des vestiges) l'étranger ennemi n'a aucun droit, et ne saurait attendre de ménagement que de la générosité de son adversaire. La pratique, il est vrai, a été ici moins inhumaine que la théorie et, sauf dans de très rares circonstances (les Vêpres siciliennes par exemple), la vie du particulier ennemi a été épargnée. Mais l'usage des confiscations est venu de là et s'est longtemps maintenu. La nécessité du commerce international a été ici plus forte que la haine existant entre ennemis. Peu à peu, la guerre n'a plus été considérée que comme un moyen de se faire rendre justice par un adversaire récalcitrant, conception qui n'est point du tout incompatible avec le maintien de liens de droit entre ennemis. La propriété de l'ennemi est maintenant respectée comme sa personne elle-même, les liens de droit qu'il peut avoir noués en pays ennemi, avant l'ouverture des hostilités, subsistent.

Sa capacité de droit est elle-même maintenue dans la limite où l'interdiction du commerce entre belligérants en permet la survivance. La question la plus délicate est peut-être ici de savoir si, pendant les hostilités, des particuliers ennemis peuvent s'adresser aux tribunaux, en obtenir à leur profit des condamnations et faire exécuter celles-ci 1.

1 La question de la condition civile de l'étranger ennemi a été fort négligée par la doctrine, quoique étant fort intéressante. Seul le droit d'expulsion est bien connu. Cette abstention s'explique par cette double circonstance qu'en fait il y a peu de rapports entre sujets de nations ennemies et que l'interdiction du commerce entre belligérants limite singulièrement le nombre des rapports possibles. Mais en dehors du domaine exclu par cette interdiction que décider? Un point est absolument certain, c'est que la guerre ne saurait résoudre les rapports civils antérieurement formés. Ce serait une perturbation intolérable. Empêche-t-elle des rapports nouveaux de se nouer? La réponse à cette question dépend de l'idée que l'on se fait de l'état de guerre et la tendance du droit moderne, qui est très décidément dans ce domaine une tendance à la limitation des effets de la guerre à l'objet précis qu'elle poursuit, autorise à trancher négativement cette question. Du reste, alors même que l'on professerait l'opinion contraire, il y aurait lieu de se demander si les rapports juridiques nés pendant la guerre ne seraient pas rétroactivement consolidés à la paix par l'effet du vieux droit de post-liminie. Les traités (de commerce ou de navigation, consulaires) se préoccupent fréquemment et depuis longtemps (ces clauses comptent parmi les plus anciennes) de la condition des sujets ennemis, mais c'est surtout en vue d'assurer contre la confiscation les propriétés qu'ils possèdent sur le sol ennemi et pour leur permettre de prévenir la saisie de leurs navires ancrés dans les ports de l'ennemi. Il n'est pas douteux que ces dispositions écrites pour la guerre ont leur effet en temps de guerre. Mais en serait-il de même des autres dispositions que renferment ces traités touchant la condition civile des sujets, des contractants? Cela rentre dans la question de la survivance des traités dans l'état de guerre, question discutée en doctrine, mais sur laquelle la pratique s'est montrée jusqu'ici fort rigoureuse. Notre Cour de cassation a décidé que l'abolition du droit d'aubaine avait survécu à l'état de guerre (Cass., 3 vendémiaire an X ; Merlin, Successions, sect. I, art. II; cf. Nos Lois actuelles de la guerre, pp. 74 et suiv.).

CHAPITRE VII

Les étrangers en droit français.

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85. Condition des étrangers dans le droit français actuel. 86. Distinction entre les droits politiques et les droits civils. 87. Étrangers ordinaires. 88. Critique de l'article 11 du code civil. 89. Rappel de la controverse élevée sur ce texte entre la doctrine et la jurisprudence. - 90. Tendance des deux opinions vers l'égalité du national et de l'étranger. 91. Étrangers privilégiés. 92. L'étranger peut-il réclamer en France un droit dont il n'est pas investi dans sa patrie? 93. Examen de la question dans les rapports des États entre eux. 94. Nouvelle limite posée au libre arbitre du législateur. 95. Autre question relative au droit 96. Condition des étrangers au point de vue judiciaire. 97. Étranger demandeur; caution judicatum solvi. 98. Étranger défendeur; critique de l'article 14

de l'étranger.

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du code civil. 99. Français défendeur; critique de l'article 15 du code civil. 100. Incompétence des tribunaux français dans les litiges entre étrangers; critique de cette règle. 101. Recherche d'un principe directeur quant à la compétence en droit international privé. — 102. Condition des étrangers au point de vue fiscal. - 103. De la territorialité fiscale. - 104. Obstacles à la construction d'une théorie rationnelle de droit fiscal international. 105. Base d'une solution empirique du problème; égalité du national et de l'étranger. - 106. Difficultés dans l'application de ce principe.

85) Après avoir posé les principes juridiques qui régissent dans tous les pays la condition des étrangers, il nous paraît intéressant de consacrer un chapitre à l'examen des droits des étrangers dans la législation française actuelle,

moins sans doute pour rappeler des solutions concrètes bien connues, que pour vérifier jusqu'à quel point a été poussée chez nous l'idée de l'égalité du national et de l'étranger, et aussi pour rechercher si nos lois sont conformes aux règles internationales ci-dessus exposées. La condition des étrangers doit être examinée aux trois points de vue civil, judiciaire et fiscal, si l'on veut prendre une idée juste de l'ensemble de leurs droits.

86) Il convient d'observer d'abord que la distinction des droits politiques et des droits civils est rigoureusement faite par notre législation, beaucoup plus rigoureusement, à coup sûr, qu'elle ne l'était autrefois. On a eu de fréquents exemples d'étrangers exerçant des emplois en France ou commandant à des troupes françaises1; ces exemples ne pourraient plus se renouveler aujourd'hui. Aucune fonction publique ne peut être exercée que par des nationaux. La législation et après elle la jurisprudence poussent fort loin cette idée, presque jusqu'à l'exagération. Il est inévitable que certaines difficultés se présentent dans la fixation de la ligne de démarcation à tracer entre la fonction publique inaccessible à l'étranger et l'industrie privée qui lui est ouverte, et que les solutions adoptées ne soient pas empreintes d'un certain arbitraire. L'étranger peut être agent d'affaires, il ne peut être ni avoué, ni notaire,

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1 Cette pénétration eut pour cause principale les alliances entre familles souveraines. Il arrivait assez fréquemment que les reines de France amenaient à leur suite un certain nombre de compatriotes qui, grâce à leur protection, parvenaient parfois aux premières charges de l'État. Le 'cas du maréchal d'Ancre et de sa femme Léonore Galigaï est peut-être le plus caractéristique à ce point de vue.

2 Celle-ci pour des raisons souvent assez contestables. Ainsi la pratique explique l'incapacité de l'étranger d'être avocat, par ce motif que les membres du barreau peuvent être appelés à l'occasion à exercer les fonctions de juges. Voilà une raison bien faible, car il serait fort possible de laisser aux étrangers la faculté d'être avocats, tout en leur refusant l'exercice occasionnel des fonctions judiciaires. On remarquera que ce n'est pas la solution en elle-même que nous critiquons, mais bien l'argumentation par laquelle on prétend la justifier.

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