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nous allons maintenant nous appliquer à déterminer plus

exactement.

80) La première conséquence de ce principe consiste en ce que l'État ne doit pas toucher au lien de nationalité dans lequel l'étranger est engagé. A la vérité, les rapports de nationalité n'ont rien d'immuable et l'ancien principe de la perpétuité de l'allégeance est, de nos jours, à peu près complètement aboli. Mais cela ne signifie pas que tous les modes de changement de la nationalité soient internationalement légitimes. On n'admettrait pas qu'un État conférât la qualité de citoyens à des étrangers contre leur gré, ou même sans qu'ils eussent manifesté la volonté de changer de patrie. Non seulement les nations lésées ne reconnaissent pas les changements de nationalité ainsi opérés, mais elles protestent contre cet abus et donnent des sanctions effectives à leur protestation. Il s'est formé sur ce point une communauté d'opinion, qui a donné naissance à un droit. Pour qu'une naturalisation soit internationalement valable et soustraie le naturalisé à son allégeance antérieure, il faut qu'elle soit volontaire et qu'elle émane d'une personne capable de consentir; il faut en outre qu'elle s'explique par quelque circonstance justifiant de l'intérêt que peut avoir cet acte pour le naturalisé. La plus commune de ces circonstances est un séjour d'une certaine durée du naturalisé dans son pays d'adoption. C'est avec raison que notre jurisprudence refuse de considérer, comme susceptibles de faire perdre la qualité de français, les naturalisations qui n'auraient pas été consenties par une personne capable ou qui ne trouvent pas leur explication dans la conduite du naturalisé. Cette jurisprudence est fondée en droit inter

. Sur la capacité nécessaire à la naturalisation des Français à l'étranger v. Cass., 19 août 1874, S., 75-1-52, et 26 février 1890, Cl. 90, p. 117; pour la femme séparée de corps, Cass., 18 mars 1878 (affaire Beauffremont, S.,781-193); Cogordan, Nationalité, p. 179; Le Sueur et Dreyfus, Nationalité, p. 181. La jurisprudence a récemment déclaré d'ordre public français les questions relatives à la répression de la fraude dans les naturalisations de Français à l'étranger (Paris, 13 mars 1901, Cl. 1901, p. 535).

national on doit en conclure que si la validité de l'acte était agitée dans un tiers pays désintéressé dans le débat, cet acte devrait y être considéré comme nul.

81) Le premier terme est donc le respect de la nationalité de l'étranger. Le second sera le respect des obligations, dont cet étranger est tenu envers son pays en sa qualité de citoyen. Il aura pour conséquence, d'obliger l'État sur le territoire duquel cet étranger réside, à ne rien faire de ce qui pourrait l'empêcher de satisfaire auxdites obligations. On connaît la grande application pratique de cette idée. Il est interdit de soumettre les étrangers au service militaire, bien qu'il n'y ait rien d'injuste en soi, à ce qu'ils soient appelés au secours du pays qui leur donne l'hospitalité, parce que leur premier devoir est de défendre leur patrie, et qu'ils ne pourraient pas s'acquitter à la fois de cette double obligation1. Nous rattacherons au même chef l'exclusion de tous droits politiques qui frappe les étrangers. L'étranger ne jouit pas des droits politiques. Cette incapacité est sans doute une mesure de prudence il serait fort peu sage de permettre à des étrangers, d'exercer une influence quelconque sur le gouvernement d'un pays, mais elle est aussi une marque de respect pour l'État auquel ces étrangers appartiennent. Un étranger investi d'une fonction politique sera mis par les circonstances en demeure de choisir entre les intérêts de son pays d'origine et ceux de son pays d'adoption. Fidèle aux uns il trahira les autres, c'est une situation inextricable dont on doit écarter jusqu'à la possibilité. De là le refus des droits po

1 Ceci doit s'entendre au moins du service dans l'armée du pays où réside l'étranger; quant au service dans une garde civique exclusivement chargée du maintien de l'ordre intérieur, il faut être moins rigoureux et admettre que les étrangers peuvent y être astreints en compensation de l'hospitalité qu'ils reçoivent dans ce pays. On peut citer comme une rareté la convention entre la France et l'Espagne (7 janvier 1862), d'après laquelle les sujets respectifs des H. P. C., faute d'avoir justifié de l'accomplissement de leurs obligations militaires dans leur patrie, étaient incorporés dans le pays de leur résidence.

litiques à l'étranger. Ici encore nous sommes en présence d'un droit commun, d'une loi nécessaire, bien que l'on puisse citer certaines exceptions 1, loi que l'on sous-entendra dans les traités mêmes, lorsqu'ils paraissent écrits dans le but d'établir une égalité aussi exacte que possible entre l'étranger et le national.

82) Deux conséquences pratiques découlent de là. L'une, est que les étrangers ne peuvent jamais réclamer de droits politiques, l'autre, que l'État ne doit ni leur en imposer ni même leur en proposer l'exercice. Ce sont là des vérités banales et que, il y a peu de temps encore, on eût jugé inutile de rappeler. Tout récemment, le conflit sud-africain a fourni un exemple d'étrangers réclamant des droits politiques de l'État qui leur accordait l'hospitalité. Cette prétention, assez peu ordinaire et qui cependant a donné naissance à une guerre, est bien faite pour confirmer l'autorité des principes et en démontrer pratiquement la nécessité. Il n'est pas douteux, en effet, que dans le cas ici rappelé les prétentions élevées par les étrangers fussent incompatibles avec la sûreté de l'État. Elles n'étaient rien autre qu'un moyen détourné de mettre la main sur le gouvernement de la République sud-africaine 2.

Un traité entre l'Équateur et le Salvador, du 20 mars 1890, accorde aux citoyens de chacun des deux États sur le territoire de l'autre, tous les droits politiques que la loi ne réserve pas aux seuls citoyens. Cette disposition exceptionnelle qui, dans l'espèce, s'explique assez bien par la communauté d'origine et la parenté étroite des deux républiques, donne lieu à une question fort épineuse : cette concession est-elle de nature à profiter à d'autres États par l'effet de la clause de la nation la plus favorisée ?

* Le cours des événements a montré que les prétentions des uitlanders leur étaient inspirées par le gouvernement anglais dans un but de spoliation et de conquête. L'exemple du Transvaal mérite de n'être pas oublié. Il montre toute l'importance sociale de nos règles, de celles en particulier qui excluent les étrangers de toute participation aux droits politiques et qui réservent à l'État le droit de statuer à sa guise sur l'immigration des étrangers dans ses domaines. Il montre aussi aux auteurs qui nient toute communauté de nature entre le droit international

Tout État peut donc exiger de ses nationaux établis à l'étranger l'exécution de leurs obligations civiques et les États voisins commettraient un abus de pouvoir en s'y opposant. Bien plus, par l'institution universellement acceptée des consulats, les divers gouvernements se fournissent réciproquement les moyens d'exercer leur autorité sur leurs nationaux expatriés. C'est ce que l'on peut appeler la forme négative du respect du droit de l'État. Pour que cette idée de respect fût poussée jusqu'au bout, il faudrait qu'à cette forme négative vînt se joindre la forme positive correspondante, il faudrait, puisque l'action de la force. publique est partout strictement territoriale, que l'État, sur le territoire duquel résident les étrangers, employât au besoin sa force publique à les contraindre à s'acquitter des devoirs dont ils sont tenus envers leur patrie. La coutume internationale n'est pas allée jusque-là. Elle s'oppose à ce que l'État empèche ces hommes de remplir leurs devoirs civiques, elle ne l'oblige pas à les y contraindre. Sur un point seulement la pratique des nations est entrée dans cette voie. Comme il est injuste et scandaleux, qu'un criminel réussisse à échapper par la fuite au châtiment qui le menace, on le remet par l'extradition au gouvernement qui le poursuit ou veut lui faire subir la peine qu'il a encourue. C'est là matière à traité, mais les traités d'extradition sont si nombreux qu'il s'est formé sur ce point un droit commun aux nations. C'est à cela que se borne l'intervention active des États; ils n'obligent du reste l'étranger ni à remplir son devoir civique ni à payer ses impôts : ils ne permettraient pas sur leur territoire l'exécution de peines encourues par l'étranger pour s'être soustrait à ses obligations. Doit-on accuser de cette lacune la seule imperfection des institutions internationales, nous ne le pensons pas. On n'expliquerait pas ainsi qu'une institution.

public et le droit international privé, que l'on fait quelquefois la guerre pour des questions du ressort de notre science et qu'un État peut perdre l'existence dans le conflit suscité à l'occasion de pareilles questions.

qui fonctionne sans difficulté au profit des particuliers, devienne inefficace dès qu'il s'agit de vouloir les intérêts de l'État. Il est plus juste de rapporter cette inégalité à une pensée plus profonde, et de dire qu'en paralysant au delà du territoire l'action de l'État sur ses citoyens, on a voulu mettre une borne à la tyrannie possible de l'État et donner à l'homme un moyen extrême de sauvegarder son indépendance des atteintes injustes dont elle peut être menacée.

Même dans la sphère du pur droit privé on rencontre la trace de cette limite supérieure qu'il faut admettre à l'action de l'État à l'égard de l'étranger. Ici elle est certainement bien moins visible, parce qu'il est en général fort indifférent à la communauté que ses membres jouissent à l'étranger d'une plus grande somme de droits. Mais il n'en est pas toujours ainsi et, le cas échéant, la pratique n'hésite pas à maintenir les droits de l'État national, fût-ce au prix du sacrifice des règles ordinaires du droit. Nous en trouvons un exemple dans les cas où la fraude à la loi est démontrée. Il arrive par suite de la différence des législations qu'une personne peut faire un acte à l'étranger plus facilement que dans sa patrie. S'il apparaît que la personne ne s'est transportée à l'étranger que pour éluder certaines garanties jugées indispensables par son législateur national, les tribunaux, sur la preuve de la fraude, tiendront l'acte pour nul. En doctrine cette annulation est contestée surtout parce qu'elle peut prêter à abus. Nous la considérerons comme une application de cette idée que le pouvoir d'un législateur ne doit pas aller jusqu'à couvrir la fraude ourdie par des étrangers au détriment de l'autorité de leur loi nationale 1.

1 Les exemples de fraude à la loi se rencontrent soit de la part de personnes qui comptent échapper ainsi à l'accomplissement d'un devoir civique (exemple: la naturalisation sollicitée à l'étranger pour éviter la charge du service militaire), soit chez celles qui veulent ainsi éluder l'application de quelque loi civile jugée gênante. Les cas les plus fréquents se rapportent au mariage et au divorce (mariages de Gretna

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