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traité n'a que la valeur d'une loi particulière restreinte dans ses effets aux rapports de deux États; envisagés dans leur succession, les traités de commerce laissent apparaître un grand nombre de dispositions communes, dispositions dont la reproduction atteste la nécessité, et qui peuvent dès lors être considérées comme le contenu du droit au commerce international, comme l'objet de l'obligation qui pèse sur l'État à cet égard. Reproduisant les termes habituels de ces clauses, nous considérerons donc comme accessibles aux étrangers, en vertu d'une véritable obligation de l'État, les droits d'être propriétaires, de louer des édifices ou d'en construire, d'engager des serviteurs, de pratiquer toutes sortes d'industries et de commerces, de laisser une succession ou de la recueillir, etc 1. Ce sont là les termes de ces conventions, mais il semble qu'il est permis d'aller plus loin et, parce que le droit au commerce international n'a été reconnu, que pour permettre aux hommes de se procurer à l'étranger les ressources qu'ils ne trouvent pas dans leur pays, de dire que l'étranger a droit d'accès aux richesses naturelles qu'un pays peut comprendre et aussi à celles qu'il doit au fonctionnement. de ses institutions nationales. On ne fait aucune difficulté de permettre à un étranger de résider dans un pays déterminé, sans qu'il y soit appelé par aucune affaire particulière, simplement pour y jouir des avantages que peut présenter le séjour dans ce pays; par une raison semblable

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1 Ce recours aux traités de commerce appelle une double observation: 1° les traités insistent plus souvent sur les droits utiles à la pratique du commerce au sens étroit du mot, c'est-à-dire du trafic des marchandises. C'est ainsi que le droit général de contracter n'y est jamais mentionné, alors que l'on y trouve toujours formellement exprimée la faculté d'entrer dans certains contrats spéciaux; 2° l'attention des négociateurs se portait volontiers sur les droits dont les étrangers étaient autrefois privés, le droit de succession, par exemple, pour éviter le retour des abus du passé. On en conclura, avec raison, que les traités de commerce ne contiennent pas mention de tous les droits compris dans le commerce international, mais de préférence de ceux dont la possession aurait pu être discutée aux étrangers. Ils n'en demeurent pas moins une mine très riche d'informations.

l'étranger peut, à notre avis, réclamer le droit de bénéficier des ressources d'ordre intellectuel qui peuvent y avoir été accumulées1. La communauté de droit, qu'une tradition bien assise a établie à cet égard entre les étrangers et les nationaux, est l'indice extérieur d'une vocation à la communauté de jouissance qui est, si l'on veut, le droit naturel d'où est sorti ce droit positif.

78) Voilà la mesure minima des droits de l'étranger, et sa détermination, essentielle à la saine intelligence de notre sujet, servira rarement à la critique des législations positives actuelles, toutes portées à consacrer le principe de l'égalité du national et de l'étranger, principe qui peut être utile et recommandable, mais qui n'est point de droit strict et ne fait pas l'objet d'une obligation de l'État. Cependant

On peut dire que les étrangers doivent être autorisés, dans chaque pays, à participer aux biens dont ils peuvent jouir sans que leur jouissance diminue la part des nationaux dans ces mêmes biens. Il en est ainsi des richesses intellectuelles. Nous admettons les étrangers dans nos musées, à nos écoles, parce que leur admission ne réduit en rien le droit correspondant des nationaux. Dans l'ancienne France, les écoliers étrangers qui venaient en foule aux universités françaises étaient, d'après Chopin, déclarés exempts du droit d'aubaine. Bacquet, plus sévère, les y soumettait, mais les dispensait du droit de représailles (Bacquet, Droit d'aubaine, pp. 41 et suiv.).

2 On peut répartir les législations en trois groupes au point de vue de la condition faite par elles aux étrangers: 1 celles qui ont conservé une partie des graves incapacités formulées contre les étrangers; 2° celles qui adoptent le principe de la réciprocité; 3° celles qui concèdent aux étrangers tous les droits privés dont jouissent les nationaux. Le premier groupe ne comprend guère que quelques États de l'Union américaine, qui s'inspirent encore des principes de l'ancienne common law anglaise et qui refusent aux étrangers le droit de devenir propriétaires d'immeubles sur le territoire de l'État (Vermont, Illinois, Alabama, Caroline du Nord, Missouri), ou subordonnent cette capacité à une certaine résidence sur le territoire de l'Union (New-Hampshire, Kentucky, etc.), voire même à une déclaration de l'intention de devenir citoyens (Maryland, New-York, etc.), ou ne la confèrent que dans une certaine mesure (Pensylvanie). L'Angleterre a répudié sur ce point les principes de la common law par l'alien bill de 1870. Dans le groupe des États suivant le principe de la réciprocité, il faut distinguer ceux qui exigent la réciprocité diplomatique, ayant adopté la loi française (Belgique, Luxem bourg), et ceux qui se contentent de la réciprocité législative (Autriche,

ce minimum lui-même permet de repousser certaines pratiques usitées ou qui l'ont été, comme tombant en contradiction avec lui. C'est, par exemple, le principe que les tribunaux d'un pays ne sont pas compétents pour juger les litiges existant entre étrangers, principe destructif de tout droit pour les personnes qu'il frappe; c'est aussi la pratique de la confiscation des biens de l'étranger devenu ennemi, ou encore la loi qui, par imitation de l'ancien droit d'aubaine, défendrait à l'étranger de succéder aux biens laissés sur le territoire par son parent. Nous voyons dans ces abus autant d'atteintes au droit strict de commerce international.

La même considération servira à la solution de certaines questions contestées. L'étranger a-t-il droit au domicile1? Oui et non. Il n'y a rien de nécessaire, à ce que la résidence de l'étranger (accompagnée des circonstances de fait particulières au domicile) ait toutes les conséquences de droit que la loi attache au domicile du national, mais il est de droit strict, que le domicile de l'étranger lui confère au moins les prérogatives indispensables à une résidence paisible et de longue durée, l'inviolabilité de son habitation, le droit de faire appel, au besoin, à la protection des officiers publics locaux, le droit d'user du domaine public, la compétence des tribunaux pour les affaires où il est défendeur, etc. L'étranger a-t-il droit à être propriétaire ?

Serbie). Le groupe libéral qui assimile les étrangers aux nationaux (Italie, Espagne, Allemagne, Suisse, Pays-Bas, Norvège, Roumanie, Russie, États de l'Amérique du Sud, Japon) comprend le plus grand nombre d'États. Certains d'entre eux pourtant mettent encore des obstacles à l'acquisition de la propriété immobilière par les étrangers. En Norvège il faut une autorisation, en Roumanie cette acquisition est interdite, en Russie elle n'est permise que dans les villes. De ces divers systèmes celui de la réciprocité est sans doute le moins soutenable, car il a le double inconvénient de priver de toute autonomie la législation d'un pays et de jeter une perpétuelle incertitude sur la situation des étrangers (Cf. Weiss, Traité, t. II, pp. 463 et suiv.).

1 La question envisagée au point de vue du droit français est controversée par la doctrine. Dans le sens de l'affirmative V. Merlin, Répertoire v. Étranger X; contrà Demangeat, Condition des étrangers, p. 366.

En ce qui concerne la propriété mobilière, certainement. On ne conçoit pas le commerce international exercé sans cette facilité. Pour la propriété immobilière le cas est plus douteux. Elle n'est pas indispensable, et l'État n'est pas obligé de rendre l'étranger habile à l'acquérir. Au contraire, il faut que l'étranger puisse s'assurer la possession de biens immobiliers, car cette possession lui sera fréquemment nécessaire. Il peut être incapable de devenir propriétaire, il doit être capable de devenir locataire. Son droit est moins absolu encore en matière de propriété incorporelle. Cette prétendue propriété repose sur une interdiction générale et recouvre un véritable privilège 1. Il n'y aurait rien à reprocher à un État qui le réserverait à ses nationaux. Cette décision serait régulière, nous ne disons pas avantageuse, et le système libéral qui a prévalu depuis longtemps chez nous semble beaucoup plus conforme aux intérêts de la communauté internationale. Mais encore repose-t-il sur une concession bénévole des États intéressés et non pas sur un véritable droit.

L'étranger a-t-il le droit de nouer des liens de famille avec des nationaux? Bien que cette faculté soit depuis fort longtemps d'une pratique générale, il est permis de penser qu'elle ne résulte pas directement du droit au commerce international, et que, dans la rigueur du droit, un État pourrait interdire, par exemple, le mariage entre ses sujets et des étrangers, comme il le fut pendant longtemps entre pérégrins et citoyens romains. Cependant on doit convenir que l'on est ici en présence d'une pratique si solidement. établie que, bien que la raison ne l'impose pas, on peut la considérer comme faisant partie intégrante du droit au commerce international.

↑ Il est à remarquer que la jouissance de la propriété intellectuelle sous ses différentes formes est le seul droit privé qui fasse l'objet de concessions fréquentes dans les traités de la classe des traités à tarifs. C'est sans doute parce que cette concession paraissait s'éloigner davantage du droit commun, qu'elle a été expressément maintenue. Depuis la conclusion des unions de Paris (1883) et de Berne (1886) la question a perdu la plus grande part de son importance pratique.

79) Nous avons essayé de tracer ainsi le tableau des droits que l'étranger doit posséder, parce qu'ils sont nécessaires à la pratique du commerce international. C'est la mesure au delà de laquelle l'État ne peut pas descendre; voyons maintenant celle qu'il ne peut pas dépasser.

On s'étonnera peut-être de nous voir exprimer cette idée, que la libéralité de l'État à l'égard de l'étranger doit avoir une limite, et qu'il ne peut pas lui accorder tous les droits qui lui seraient utiles et faciliteraient à son profit la pratique du commerce international. C'est une idée certaine cependant et dont la jurisprudence a fait mainte application, sans que le principe en ait jamais été cependant nettement dégagé. C'est aussi une idée fort intelligible. Si la pratique paisible et constante du commerce international peut passer pour l'un des fondements de l'organisation. actuelle de la communauté internationale, la distinction des États et le droit de chacun d'eux à une existence séparée, représentent un autre principe aussi essentiel que le précédent et plus élémentaire encore, car, s'il n'y avait pas des États distincts, il n'y aurait pas de commerce international « en toutes républiques bien ordonnées, disait Bacquet, la condition de l'étranger a toujours été différente du citoyen et originaire du pays. Il est donc certain que l'État n'a pas vis-à-vis de l'étranger la même liberté d'action qu'il possède vis-à-vis d'un national. Si, par son séjour hors de sa patrie, l'étranger peut être considéré comme soumis aux lois du pays qu'il habite, cette soumission ne peut pas aller jusqu'à rompre ou à modifier gravement le lien qui rattache cet homme à l'État dont il est le national. La volonté de l'individu ne saurait préjudicier aux droits de l'État, et le respect que ces grandes entités doivent conserver pour leur mutuelle souveraineté met obstacle à tout empiétement sur l'autorité qu'elles possèdent respectivement sur leurs sujets.

Telle est la raison d'être de cette limite supérieure que

1 Droit d'aubaine, p. 5.

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