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que justice leur fût rendue1. Aucun acte d'autorité, pas même une décision de justice régulière en la forme2, ne peut exonérer l'État de la responsabilité qu'il encourt à la suite des sévices dont les étrangers ont souffert. C'est donc bien qu'il existe à sa charge une obligation internationale certaine, absolue.

70) Une autre limitation aux pouvoirs de l'État existe en sens inverse. Il ne serait pas admissible que le législateur établit entre le national et l'étranger résidant sur son territoire une communauté de droit telle, que toute différence disparut entre eux. Il y aurait là une atteinte évidente à la souveraineté étrangère les sujets de cette

1 Les États plus particulièrement exposés à des perturbations intérieures ont souvent stipulé dans leurs traités avec les nations étrangères, que la responsabilité, dont ils seraient tenus envers les étrangers fixés sur leur territoire, n'excéderait en aucun cas celle qu'ils supportent à l'égard de leurs nationaux. Ces traités n'ont jamais empêché les réclamations de se produire et de se produire avec succès. C'est que la lettre d'une convention ne pourra jamais effacer la différence fondamentale que nous avons signalée au texte (v., par exemple, la convention francomexicaine du 27 février 1886, art. 11, ou plus nettement encore le traité entre l'Équateur et le Salvador du 20 mars 1890, art. 7: It is stipulated that the respective Governments are not responsible for the losses and injuries which the citizens of one Republic may suffer in the territory of the other in time of foreign or civil war, with the exception of those cases in which they are so responsible to the natives so that in no case shall a better treatment be accorded to them than to naturelborn citirens).

2 Ce point est le plus délicat de tous et l'on ne peut pas avouer publiquement qu'un arrêt de justice n'a pas au regard des étrangers la même autorité péremptoire qu'il possède pour des nationaux. Il arrive cependant que l'on accorde des indemnités amiables à des étrangers auxquels le juge a dénié tout droit. Le détour pris dans ce cas couvre bien imparfaitement le véritable motif de cette bienveillance inusitée. On ne veut pas que des réclamations s'élèvent contre des décisions judiciaires régulières. Quoi qu'on puisse dire, les étrangers ne trouvent pas toujours en justice les mêmes garanties que les nationaux. Cela est sensible en matière de justice criminelle et c'est un point sur lequel la simple idée d'égalité ne fournit pas aux étrangers une protection suffisante. Les anciens jurys de medietate linguæ ressortissaient d'une appréciation beaucoup plus juste de la véritable nature des choses. V., par exemple, les négociations entre la France et l'Italie au sujet des affaires d'AiguesMortes. R. D. I. P., 1894, pp. 171 et suiv.

dernière perdraient, par suite de leur expatriation, leur nationalité primitive. L'État auquel ils appartiennent et dont ils n'ont nullement répudié la souveraineté, serait mis par là dans l'impossibilité de faire acte d'autorité sur eux ou même de les défendre à l'occasion. Aucun commerce international ne pourrait avoir lieu dans de semblables conditions. Les conflits et les réclamations diplomatiques seront, à la vérité, plus rares ici que dans le cas précédent, parce que l'État se sentira d'ordinaire peu porté à étendre au delà des limites permises l'assimilation des étrangers à ses sujets. Il craindra avec raison, qu'une puissance trop grande une fois acquise par les groupes d'étrangers fixés sur son territoire ne se résolve en une menace permanente pour son autorité et pour la nationalité qu'il représente. L'Étal trouvera donc dans son propre intérêt un frein à des libéralités excessives, et de leur côté les étrangers s'abstiendront d'ordinaire de demandes exagérées qui, tendant à affaiblir le lien qui les unit à leur patrie, n'auraient aucune chance d'être soutenues par les représentants investis du droit de les protéger. Le contraire peut arriver cependant l'expérience montre qu'en pareil cas l'État lésé n'hésite pas à revendiquer son droit1.

1 Les abus en ce sens consistent surtout dans la collation inconsidérée de la qualité de citoyens aux étrangers résidant dans le pays ou même n'y résidant pas, et trouvant dans ce titre un moyen de ne pas satisfaire à leurs obligations envers la patrie. La constitution française de 1793 faisait de la concession des droits de citoyen, une récompense civique qu'elle prodiguait sans discernement. Depuis, on a vu des pays manquant de population conférer la qualité de citoyen à tous ceux qui abordaient sur leur territoire (le Vénézuéla, par exemple, v. Cogordan, Nationalité, pp. 235 et suiv.); on en a vu d'autres, comme certains cantons suisses, accorder des naturalisations à prix d'argent. L'action diplomatique s'est entremise pour mettre un terme à ces agissements, considérés comme irréguliers et contraires au droit des nations. De même notre jurisprudence française a rigoureusement délimité les conditions sous lesquelles la naturalisation à l'étranger fait perdre la qualité de Français, déclarant ainsi d'une façon implicite que toutes naturalisations non conformes à ces conditions sont contraires aux devoirs des États entre eux. (Cogordan, loc. cit., pp. 165 et suiv.; Rouard de Card, La nationalité française, pp. 216 et suiv.).

Ces faits sont incontestables et personne ne peut nier, qu'ils ne dénotent l'existence de certaines bornes à la liberté de l'État dans le domaine des droits des étrangers 1, mais personne aussi ne s'étudie à préciser la situation exacte de ces limites et à définir par là la portée de l'indépendance de l'État. Nous allons nous appliquer à ce travail, essayant de déterminer 1° quels sont les droits. que les étrangers doivent posséder; 2° quels sont ceux qu'ils ne peuvent pas posséder, en vertu des principes du droit international. Nous aurons ainsi à tracer deux limites,. l'une inférieure, l'autre supérieure, entre lesquelles s'exercera la liberté de l'État.

71) D'abord la limite inférieure. Le principe que nous rencontrons à cet égard dans le droit des gens est que les États jouissent les uns par rapport aux autres du droit au commerce international. Ce droit n'est lui-même que l'expression d'un fait social général et nécessaire. Si on lui demande pourquoi il existe, il répondra qu'il existe parce que les nations ne peuvent pas, pour la satisfaction de leurs besoins, se passer de ces relations avec le dehors, que l'on désigne sous le nom de commerce international.

1 Nous rappellerons à ce sujet qu'au nombre des conclusions théoriques admises par l'Institut de droit international, dans sa première session (Genève, 1874, Annuaire, I, p. 124), se rencontre la déclaration suivante : « IV. Dans l'état actuel de la science du droit international ce serait pousser jusqu'à l'exagération le principe de l'indépendance et de la souveraineté territoriale des nations, que de leur attribuer un droit rigoureux de refuser absolument aux étrangers la reconnaissance de leurs droits civils et de méconnaître leur capacité juridique naturelle de les exercer partout. Cette capacité existe indépendamment de toute stipulation des traités et de toute condition de réciprocité. L'admission des étrangers à la jouissance de ces droits et l'application des lois étrangères aux rapports de droit qui en dépendent, ne pourraient être la conséquence d'une simple courtoisie et bienséance, mais la reconnaissance et le respect de ces droits de la part de tous les États doivent être considérés comme un devoir de justice internationale. Ce devoir ne cesse d'exister que si les droits de l'étranger et l'application des lois étrangères sont incompatibles avec les institutions politiques du territoire régi par l'autre souveraineté ou avec l'ordre public, tel qu'il y est reconnu. »

Or ce terme a lui-même deux acceptions. Il désigne les relations que les États souverains ont entre eux, relations réglementées par le droit international public; il désigne aussi les rapports que les particuliers, appartenant à des nations différentes, entretiennent ensemble. Le commerce international des États a notamment pour fonction de protéger et de garantir la pratique du commerce international chez les particuliers. Ce dernier, qui nous intéresse seul, s'analyse dans le droit qui doit être reconnu aux individus de pourvoir à leurs besoins au moyen de relations juridiques, nouées et entretenues avec des personnes soumises à l'autorité d'États différents. Cette formule très large justifie de la part de l'étranger une prétention à tous les droits, dont la jouissance peut être dite indispensable à la pratique du commerce international. Ce sont donc ces droits que nous avons à analyser. Nous procéderons à cette analyse en suivant, autant que possible, l'ordre de leur importance relative.

72) Le premier de tous les droits dans cet ordre d'idées est pour l'étranger la reconnaissance de sa personnalité juridique. Ce droit primordial doit être examiné séparément pour les personnes physiques et pour les personnes morales. En ce qui concerne les premières, l'admission de ce principe ne fait pas difficulté. En tout pays l'homme est considéré comme une personne douée de capacité juridique, le droit étant réservé au législateur de limiter plus

1 La personnalité juridique de l'être vivant reçoit du chef de la loi deux sortes de modifications, l'une réalisée dans le sens de l'extension de la personnalité à des enfants qui ne sont pas encore nés par la maxime Infans conceptus, l'autre consistant dans la suppression totale ou partielle de cette personnalité par l'effet de la mort civile ou des institutions analogues. Il nous paraît certain que la reconnaissance de ces modifications n'a point du tout, au point de vue international, le caractère de nécessité que présente le principe énoncé au texte. Cette reconnaissance doit-elle être accordée, ce sera un point à juger dans chaque pays d'après les principes de la législation intérieure. De Bar (I, pp. 373 et suiv.) considère ces questions comme appartenant aux conflits et par là au do

ou moins la capacité de droit de l'étranger. Mais il y a quelque chose de plus dans cette formule que cette simple constatation. L'étranger doit être considéré comme personne juridique étrangère. L'État, en d'autres termes, doit respecter dans cet homme sa qualité d'étranger, il doit par suite ne rien faire qui tende à rompre le lien qui l'attache à sa patrie. Les principales conséquences de cette idée apparaîtront lorsque nous énumérerons les droits et les devoirs que l'on ne peut pas imposer à l'étranger. Bornons-nous pour le moment à noter, qu'un État ne pourrait pas obliger un étranger à renoncer à sa nationalité pour jouir des avantages du commerce international. De même, un État excèderait ses droits s'il refusait à un autre État le droit d'intervenir à l'occasion pour ses nationaux 1, et cette faculté est jugée si essentielle qu'en temps de guerre, alors que le commerce entre les États belligérants est momentanément suspendu, chacun d'eux confère à une ou plusieurs puissances tierces la protection de ceux de ses sujets qui résident sur le territoire de l'autre.

Tout ceci est incontestable, pratiquement aussi bien que théoriquement. Il est aisé d'apercevoir par là le caractère perturbateur des conflits sur la nationalité. Dans les relations internationales la nationalité joue le rôle du premier élément d'ordre sur lequel repose la possibilité d'une communauté juridique, et cela même dans les pays qui n'accordent à la loi nationale aucune compétence dans la solution des conflits. La nationalité est l'élément qui dif

maine de la loi compétente pour chaque rapport de droit à l'occasion duquel elles se présentent. Je ne saurais accepter cette opinion: il ne s'agit pas ici de la réglementation d'un droit incontestablement existant, mais de l'existence même de ce droit.

1 On observera que l'émission à l'intérieur d'un État de lois interdisant aux étrangers de recourir à la protection de leur patrie ne saurait priver cette dernière de l'exercice de ses droits. On cite en ce sens la constitution du Honduras de 1894, art. 15, qui sanctionne cette règle de la menace de l'expulsion. Une expulsion qui n'aurait pas d'autre motif serait elle-même irrégulière et engagerait la responsabilité de l'État qui l'aurait pronon

cée.

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