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rement empirique et ne tarda pas à trahir son insuffisance. La fameuse théorie des statuts qui substitua son autorité à celle du droit romain était également empirique : elle n'a pas laissé cependant que de jouir pendant deux siècles d'une faveur générale, faveur qu'elle est loin d'avoir entièrement perdue à notre époque. C'est seulement au XIXe siècle que l'on a cherché à donner une solution rationnelle aux problèmes de notre ressort. Les travaux de l'école allemande ont surtout été remarquables à cet égard et les noms de Schaeffner, de Waechter, de Savigny, de Brocher, de de Bar, pour ne citer que les plus connus, ont le droit d'être honorés comme ceux des fondateurs et des plus illustres représentants de cette école aux progrès de laquelle il semble bien que l'avenir de notre science soit dorénavant lié. Parmi les esprits originaux qui ont réussi à se frayer leurs voies dans ce dédale on ne peut pas omettre Mancini, le chef de cette fameuse école italienne qui paraît exercer sur la législation actuelle une influence prépondérante et compte de nos jours un grand nombre d'adeptes parmi les jurisconsultes les plus honorablement connus.

Pour ces maîtres, pour tous ceux qui cherchent à édifier sur des considérations rationnelles un système de droit international privé, les termes du problème sont ceux que nous avons définis. Il s'agit de trouver entre les lois positives des divers pays une formule de conciliation qui réserve à chacune d'elles sa part légitime d'influence dans la réglementation des questions internationales d'ordre

main, trad. Guenoux, t. VIII, p.9; Phillimore, Commentaries upon international law, t. IV, p. 5, n. (r). On sait cependant (Waechter l'a bien démontré) qu'il est impossible de trouver dans la compilation de Justinien un seul texte qui se réfère certainement à la solution d'une question de droit international privé. On s'explique, du reste, très bien ce phénomène. Un État ne se préoccupe de l'influence qu'il convient d'accorder sur son territoire aux lois d'un État étranger qu'autant qu'il considère ce dernier comme son égal en souveraineté. Ce point de vue était étranger aux Romains (tu regere imperio populos, Romane, memento), il le fut en général à tous les empires de l'antiquité. C'est pour la même raison qu'à part quelques règles indispensables, l'antiquité n'a pas eu davantage de droit des gens.

privé que la pratique fait surgir. Si l'expression de mécanique juridique était usitée, nous dirions volontiers que nous sommes en présence d'un problème de mécanique juridique tendant à réunir dans une direction commune les forces divergentes des législations des divers peuples. En se plaçant à ce point de vue, on a appelé notre discipline la science des limites locales de l'empire des règles du droit1. C'est un terme très expressif sinon absolument juste. Savigny a eu raison de rapprocher les problèmes que fait naître le conflit des lois dans l'espace de ceux qui se rattachent au conflit des lois dans le temps. Lorsque dans un seul et mème pays une loi nouvelle succède à une loi ancienne, une question assez analogue à la nôtre ne manque pas de se poser. Où s'arrêtent les effets de la loi ancienne, à quel moment commencent ceux de la loi nouvelle ? C'est aussi une question d'effet de la loi dont on ira quelquefois chercher la solution dans des considérations semblables à celles qui servent à résoudre les conflits de lois. Il arrive mème parfois, dans la matière de l'annexion par exemple, que ces deux ordres de question,

1 C'est l'expression employée par Savigny (Traité, t. VIII, tr. fr. p. 9). Du reste la question de la dénomination à donner à notre science fait elle-même difficulté et plusieurs sont mécontents de l'expression usuelle de droit international privé parce qu'elle paraît impliquer pour notre discipline le droit à être considérée comme une partie intégrante du droit international, ou parce qu'il paraît exister une contradiction entre les deux qualificatifs que ce titre réunit (V. sur ce point Kahn, Ueber Inhalt, Natur und Methode des internationalen Privatrechts, pp. 1 et suiv., et Dicey, Conflict of Laws, Introd., p. 12). Nous considérons ce débat comme de peu d'importance. Lorsqu'une expression est reçue depuis longtemps et que chacun sait quels problèmes elle recouvre, il importe assez peu qu'au point de vue de la parfaite exactitude des termes elle prête à discussion. Il est à observer de plus que les substituts qu'on prétend lui donner sont plus reprochables encore. On parle de conflits ou de collisions de lois, de droit civil international, de reconnaissance internationale des droits, de droits de l'étranger, etc. Tous ces termes sont trop étroits et correspondent mal à l'ampleur de notre science. Quant à la prétention de Cimbali de réserver l'expression de droit international privé aux seuls rapports privés des États entre eux elle est tout à fait anormale et injustifiée (Cf. Kahn, loc. cit.).

apparaissent si intimement unis l'un à l'autre qu'il devient assez difficile de les distinguer.

6) Nous pensons en avoir dit assez pour donner une idée exacte, bien que sommaire et tout à fait générale, de la nature des problèmes compris dans notre science, essayons de déterminer maintenant les services qu'elle est appelée à rendre. Elle est destinée, avons-nous dit, à étendre l'action du droit aux relations internationales qui sans elle seraient privées de son secours. En quoi consiste précisément cette action, ce secours? Si je ne me trompe, le bienfait du droit consiste en ce qu'il contient à la fois une direction et une garantie. Une direction le droit indique à l'homme les formalités et, en général, les conditions quelconques qu'il doit remplir pour placer sa personne, ses biens, ses actes, sous la protection de la loi. En ce sens le droit est l'ensemble des restrictions que les exigences sociales posent à la liberté de l'homme. Une garantie la direction indiquée étant supposée suivie, les conditions requises étant remplies, le droit garantit au particulier l'assistance du pouvoir social à l'appui des prétentions qu'il peut élever contre ceux qui ont formé des rapports avec lui. Telle doit être aussi la double fonction de notre droit quant aux relations internationales d'ordre. privé. Il fournira une direction en indiquant dans chaque

1 Les philosophes attribuent volontiers au droit un but de perfectionnement de la nature humaine. L'étymologie du mot les y autorise. Nous avons pour lui des ambitions moins hautes et croyons que le perfectionnement de la nature humaine doit être attendu bien plutôt de l'usage que fait l'homme de ses facultés. Ce n'est pas que le droit ne puisse concourir à l'obtention de ce résultat, mais à ce point de vue même il nous semble que son influence n'est pas à mettre en parallèle avec celle des idées religieuses ou morales. Nous insistons au texte sur cette idée que le droit comporte essentiellement une garantie. On l'oublie trop souvent. Le droit simple élément de direction n'aurait qu'une influence sociale fort incertaine parce qu'il n'a pas de racines assez profondes : c'est parce qu'il renferme une garantie que le souverain lui-même s'oblige à maintenir, qu'il est la science sociale par excellence. Cf. Ahrens, Le droit naturel, ch. 11, 3, 4 éd., pp. 162 et suiv.

cas aux intéressés la voie à suivre pour conquérir une situation juridique régulière, il s'acquittera de ce devoir en leur fournissant, à défaut d'une législation unique, bonne pour toutes les hypothèses de relations internationales (nous savons que cela est impossible), des formules qui leur montrent dans chaque cas quelle condition légale est la leur et à quelles exigences juridiques ils devront se soumettre pour acquérir un droit inattaquable. Il leur assurera une garantie internationale de leurs droits en assurant à leurs prétentions légitimes un respect égal dans tous les États qui composent la communauté internationale.

Il leur procurera ainsi la certitude du droit. On ne saurait attribuer un trop grand prix à la certitude du droit. A qui veut réfléchir un instant, il apparaîtra que s'il importe à un peuple d'avoir de bonnes lois, il lui importe autant et peut-être plus encore d'avoir des lois fixes et connues de tous. Dans le domaine de la législation intérieure, l'usage de la codification et l'institution d'une cour suprême chargée d'assurer l'unité de la jurisprudence répondent à ce besoin. Y répond également ce principe de la non-rétroactivité des lois qu'aucune bonne législation ne saurait écarter. On peut dire, sans exagération aucune, que le droit international privé a pour premier objet d'établir la certitude du droit privé dans les relations internationales. Ce seul objet ne suffit pas à faire décider quel il doit être, mais il nous autorisera à rejeter comme insuffisantes toutes les solutions du problème qui ne procureraient pas cette certitude. Nous aurons mainte occasion de faire retour à ce besoin de certitude dans le courant de nos recherches.

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1 « Le droit règle de notre action et de notre inaction ne nous régt point comme une fatalité dont nous ne pourrions ni prévoir ni dé

<< tourner les coups. S'il en était ainsi, il n'atteindrait pas son but, ce ne << serait point une règle, car ne sachant que faire pour le tourner à notre << avantage, nous agirions comme s'il n'existait pas, attendant patiem<«<ment le sort qui nous serait réservé. » (Hamaker, Das internationale Privatrecht, seine Ursachen und Ziele, p. 15).

La certitude du droit ne sera obtenue qu'à certaines conditions dont nous retiendrons une seule pour le moment. Il faut que le droit international privé repose sur certains principes fixes, inébranlables, reconnus par tous les juges, ouverts à tous les intéressés. On nous raconte que dans le très ancien droit romain les pontifes s'étaient réservés la connaissance exclusive des formules d'actions, y voyant un sûr instrument de domination sur les citoyens. Tout procédé de ce genre doit être banni de notre science. Il faut que le moindre citoyen du moindre État puisse connaître les principes de droit qui régissent les relations internationales d'ordre privé. Il n'aura un véritable droit qu'autant que ce droit sera assez fixe et assez général pour être universellement connu.

Cela seul indique assez le rôle que la doctrine est appelée à jouer dans notre science. L'établissement de règles fixes de droit international privé suppose une connaissance exacte des rapports qu'elles sont appelées à dominer. Le droit, on le sait, n'est pas une création arbitraire de l'esprit ou de la volonté, il est bien plutôt (bien que non exclusivement) une résultante des rapports qui lui sont soumis. C'est la nécessité de ces rapports, c'est la nature des intérêts auxquels ils correspondent, c'est l'analyse des satisfactions qu'ils viennent donner à ces intérêts qui impriment au droit son caractère et le sens de son action. Le droit est un représentant bien plus qu'un maître et, si cette dernière qualification peut lui être donnée, c'est que, dégageant les traits communs de l'institution des particularités de chaque espèce, il peut s'imposer au nom de la supériorité que possèdent les intérêts généraux sur les intérêts particuliers.

C'est donc une analyse exacte des rapports internationaux que requiert avant tout l'oeuvre de la constitution. d'un droit international privé et il apparaît que c'est bien là la tâche de la doctrine. Mème on peut dire que nulle part il n'est aussi nécessaire que l'élaboration formelle et positive du droit soit précédée de son élaboration doctri

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