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garde comme compétente pour les rapports de cette sorte et qui sera tantôt cette loi étrangère, tantôt une autre loi. Plus brièvement le renvoi est-il un renvoi à la loi étrangère ou un renvoi au système de droit international privé du pays étranger?

Cette question a passé longtemps inaperçue. Bien que l'on puisse citer des arrèts déjà anciens interprétant l'application à faire de la loi étrangère comme un renvoi au système international de l'étranger, la doctrine ne doutait .nullement que le renvoi à la loi étrangère ne commandât l'application au litige de cette loi elle-même. Depuis une trentaine d'années les décisions consacrant ce que l'on appelle plus particulièrement le renvoi (renvoi au système international) se sont multipliées, et la doctrine s'est emparée de la question. Des arrêts très nombreux ont été rendus. La plupart d'entre eux intéressaient la définition du statut personnel. Lorsque la lex fori considère la loi nationale de l'individu comme formant son statut personnel, les tribunaux substituent volontiers au criterium de la nationalité celui du domicile, si cette substitution peut s'autoriser des dispositions de la loi nationale de l'étranger en question. C'est ainsi que des Anglais, qui n'auraient pas pu être interdits ou pourvus d'un conseil judiciaire, si l'on avait suivi les dispositions de leur loi nationale, l'ont été en vertu de la loi de leur domicile, parce que en ces matières leur loi nationale compétente d'après la lex fori reconnaissait elle-même la compétence de la loi du domicile 1. Le mème raisonnement a souvent fait soumettre à la loi du domicile la détermination des causes de divorce ou de séparation, alors que dans le pays du juge ces matières étaient considérées comme appartenant à la compétence de la loi nationale; il a été employé plusieurs fois aussi (comme dans la célèbre affaire Forgo) en ma

↑ Trib. de la Seine, 19 mai 1888, Cl. 88, p. 791; id., 6 avril 1894, Cl. 94, p. 531; id., Paris, 15 mars 1899, Cl. 99, p. 794. Cf Trib. de Laval, 12 avril 1902, Cl. 1902, p. 1044.

2 Cass., 24 juin 1878. S., 78-1-429.

tière de succession mobilière, toujours pour ménager l'application de la loi du domicile par renvoi de la loi nationale de l'intéressé 1. Enfin la théorie dite du renvoi se trouve encore consacrée par les arrêts en matière de légitimation, d'empêchement à mariage, d'action en justice, de régime matrimonial 2.

Toutes ces applications avaient leur unité: elles consistaient toujours à faire régir par la loi du domicile, des rapports compris dans le statut personnel d'individus, dont la loi nationale rattachait le statut personnel au domicile. Mais si la théorie du renvoi est juste, il faut reconnaître qu'il n'existe pas de bonne raison de la limiter à cette seule hypothèse. On peut tout aussi bien dire que, lorsque la lex fori prescrit l'application de la lex loci actus, par exemple, ou de la lex rei sitæ, ce n'est pas des dispositions de ces lois touchant le rapport en question qu'il s'agit, mais de leurs dispositions touchant la solution du conflit. Aussi la limite a-t-elle été vite franchie, et nous voyons sans étonnement les arrêts les plus récents appliquer la théorie du renvoi à la matière de la forme des actes et même à celle de la succession immobilière 3.

64) Que faut-il penser de cette nouvelle doctrine? Appliquons-nous d'abord à bien préciser la question. Il est certain que, lorsque le législateur lui-même renvoie au système international étranger, le juge est obligé de se

Cass., 22 juin 1878, Cl. 79, 285; Cass., 22 fév. 1882 (même affaire), Cl. 83, 64; Trib. Seine, 4 déc. 1899, Cl. 1900, p. 368; Trib. de Pau, 19 avril 1901, Cl. 1902, p, 858.

* Trib. de Bruxelles, 2 mars 1887, Cl. 87, p. 748; Paris, 23 mars 1888, Cl. 89, p. 638; Trib. de com. du Havre, 9 nov. 1891, Cl. 93, p. 1141; Lausanne, 16 nov. 1897, Cl. 98, p. 788.

3 La Cour supérieure du Canada (3 mars 1894, Cl. 1899, p. 408) a ainsi décidé que le caractère facultatif ou obligatoire de la règle Locus regit actum doit être jugé d'après la loi en vigueur au lieu où l'acte a été fait. En matière de succession immobilière, le Tribunal de Corbeil (4 août 1897, Cl. 98, 568) s'est refusé à appliquer le renvoi, mais la Cour de Palerme avait donné, un peu auparavant (25 août 1896, Cl. 96, p. 332), la solution contraire.

conformer à cet ordre. Mais tout n'est pas dit par là. En matière internationale le législateur n'est pas comme en droit intérieur un maître absolu, il est plutôt un interprète ou, comme nous le disions plus haut, un simple définiteur. Si sa loi n'est pas conforme aux règles du droit, elle est mauvaise et il est permis de la condamner. Puis si le législateur est resté muet, le droit reprend son plein empire, car on ne peut pas présumer chez un législateur l'intention de manquer à ses prescriptions. Nous avons donc le devoir de poser la question suivante. Dans tous les cas où le droit international veut que l'on applique à un rapport une loi étrangère, comment doit être entendue sa disposition? s'agit-il de suivre le droit matériel étranger ou faut-il se conformer à la loi considérée comme compétente dans le pays étranger?

Avant d'attaquer la question elle-même, certaines observations préliminaires doivent être faites.

1° Il est remarquable que nos anciens jurisconsultes n'ont jamais pensé que la question pût se poser. Sur ce point (c'est presque le seul) tous ont été du même avis. Il est sans exemple que l'un d'entre eux soit jamais allé demander à un statut étranger la détermination de la loi compétente. Et cependant les occasions n'auraient pas manqué à la production de cette théorie. Le statut personnel n'était pas entendu partout de la même façon, la loi du domicile laissait place au point de savoir, si l'on devait considérer le domicile d'origine ou le domicile actuel, la règle locus regit actum donnait lieu à mille difficultés. Je ne me rappelle pas avoir lu dans un seul auteur, que ce pût être à une loi autre que celle du juge saisi de répondre à ces questions.

Cette unanimité de la pratique ancienne n'est pas à elle seule une raison de rejeter la théorie du renvoi, mais elle n'en constitue pas moins contre elle un préjugé d'un certain poids.

2° Lorsqu'on lit les décisions de justice favorables au renvoi, on est frappé de cette circonstance, que jamais il

n'est admis que, lorsqu'il a pour résultat de faire appliquer au litige le droit national du juge saisi. Il est permis de se demander si la considération de la conséquence n'a pas été, aux yeux des juges, pour quelque chose dans l'adoption du principe et si le même zèle les eût poussés au cas où il se serait agi de faire un choix entre deux lois étrangères. Les choses telles qu'elles se présentent à nous, semblent nous faire voir dans ce mouvement un retour offensif de la territorialité, et cela explique comment la pratique, généralement fort attachée aux traditions, s'est jetée à corps perdu dans cette nouveauté. Nous dirions volontiers que la théorie du renvoi est la dernière cartouche de l'ancienne règle de la territorialité absolue des statuts. Cela n'est pas pour nous rendre très favorable à cette invention.

3o Il est incontestable que la théorie du renvoi contient une contradiction. Un exemple va la rendre sensible. L'article 3, § 3 du code civil décide, que l'état et la capacité du Français à l'étranger sont régis par la loi française et la jurisprudence admet que, réciproquement, l'état et la capacité de l'étranger en France sont, sauf certaines exceptions qui ne nous intéressent pas pour le moment, régis par la loi nationale de cet étranger. La théorie du renvoi tend à donner à ces deux propositions un sens tout à fait différent. Pour le Français à l'étranger il n'est pas douteux, que c'est la loi française elle-mème qui détermine son état et sa capacité; pour l'étranger en France, sa loi nationale déterminerait non pas son état et capacité, mais la loi qui régira son état et sa capacité. Il y a là une contradiction manifeste. Comment supposer que deux principes conçus dans les mêmes termes et qui ne sont l'un et l'autre que l'expression d'une seule et même idée première puissent avoir un sens différent? Cela n'est pas possible. Si l'article 3, § 3, décide vraiment que le droit français régira l'état et la capacité du Français à l'étranger, la réciproque signifie que le droit national intérieur de cet étranger fera la loi quant à son état et à sa capacité;

ou bien si, à l'égard de ce dernier, la théorie du renvoi est la solution juste il faut interpréter le § 3 en ce sens que le législateur français s'y est simplement réservé le droit de statuer par une loi quelconque sur l'état et la capacité de son national. Or ceci est absurde.

4° On a remarqué que la théorie du renvoi poussée à ses conséquences logiques ne donne aucune solution aux. conflits, et cela est vrai. La jurisprudence française, traitant de la capacité d'un Anglais domicilié en France, dit bien qu'on doit lui appliquer la loi de son domicile parce que sa loi nationale, la loi anglaise, renvoie en la matière à la loi du domicile, mais pourquoi s'arrête-t-elle là, pourquoi ne poursuit-elle pas ? Le même raisonnement devrait lui faire dire encore, que la loi du domicile de cet Anglais renvoie à sa loi nationale, etc., etc. On raisonnerait cent ans de la sorte sans arriver à la solution. Et cependant si l'on veut être logique, le premier pas une fois fait, il est impossible de s'arrêter, car les mêmes raisons qui autorisent un premier renvoi, en commandent ensuite un second et poussent le raisonneur sur la pente où il est impossible de s'arrêter.

65) Il est malaisé de comprendre que des jurisconsultes éminents (Westlake et de Bar ne comptent-ils pas parmi eux ?) aient pu prêter à la théorie du renvoi le secours de leur autorité. Voyons sur quels arguments ces jurisconsultes se fondent. Ne soyez pas plus royalistes que le roi, voilà leur première maxime. Vous voulez appliquer la loi anglaise à l'état d'un Anglais domicilié en France. Songez bien qu'en Angleterre même, on ne soumettrait pas cette question à l'empire de la loi anglaise, mais à celui de la loi française parce que cette question y est considérée comme rentrant dans la compétence de la loi du domicile. Pourquoi s'obstinerait-on en France à vouloir appliquer la loi anglaise, alors que l'Angleterre elle-même ne veut pas de cette application? A cet argument il serait par trop facile de répondre que lorsqu'une question de conflit se présente devant des

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