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deux catégories, conservent dans les rapports internationaux le caractère qui les distingue dans leur effet intérieur. Le droit international privé a pour objet d'étendre l'autorité des lois et non pas de modifier leur nature. Il serait anormal qu'un principe international eût pour résultat de rendre obligatoires des lois qui ont été écrites facultatives. Ce principe serait mauvais. Serait tout aussi mauvais celui qui aboutirait à rendre facultatives en droit international privé des lois, qui, dans le droit intérieur, sont obligatoires. Agir ainsi c'est énerver la loi, c'est la priver d'un caractère considéré comme indispensable à son effet par le législateur qui l'a promulguée; c'est, en définitive, priver les rapports internationaux de la garantie que présente ce caractère de nécessité sociale qui s'attache en général aux actes du législateur.

57) Peu de jurisconsultes ont la conscience nette sur ce point et le premier de tous, Dumoulin, fondateur de la théorie de l'autonomie de la volonté, porte la responsabilité des exagérations commises dans l'application de cette théorie. Lorsque le célèbre jurisconsulte français, dans son Consilium 53, décidait par interprétation de la volonté des parties du régime matrimonial d'époux mariés sans contrat, il donnait au régime statutaire un caractère que le droit intérieur ne lui reconnaît pas. Il est vrai qu'à l'époque de Dumoulin et plus encore de nos jours, les futurs époux peuvent arrêter comme ils l'entendent leurs conventions matrimoniales, mais encore faut-il pour cela qu'ils fassent un contrat de mariage. S'ils n'en ont pas fait, le régime de droit commun s'impose à eux comme régime légal rigoureusement obligatoire. On ne considère pas leur intention en droit intérieur1, à quel titre dès lors se référer dans les rapports internationaux à leur volonté présumée ? S'il paraît nécessaire au premier point de vue qu'à défaut

1 Cela est si vrai que lorsqu'un contrat de mariage est nul en la forme, les époux se trouvent soumis au régime légal. Il est bien certain pourtant que leur intention n'a pas été de s'y soumettre. Cf. Olive, Etude sur la théorie de l'autonomie, pp. 82 et suiv.

de contrat leur régime soit déterininé directement et sans contradiction possible par le législateur, cela n'est pas moins nécessaire au second.

Cette théorie, qui sera étudiée de plus près dans un autre chapitre, a donc été exagérée dès sa naissance, elle n'a pas cessé de l'être au cours de son développement et cela s'explique, si l'on pense à la commodité de cette sorte de soupape qu'elle offre aux graves difficultés que renferme notre science. Il est si facile et si vite fait de renvoyer la solution d'une difficulté aux parties elles-mêmes, que l'on ne saurait s'étonner de voir les jurisconsultes user de ce moyen un peu plus que de raison.

Nous n'entendons pas seulement ici nous attaquer aux auteurs qui, comme le fait Hauss1, placent le principe de l'autonomie à la tête de leurs théories, mais aussi à tous ceux qui lui donnent dans la construction de leurs doctrines un rôle qu'il ne mérite pas. Savigny est de ce nombre. Lorsque dans sa théorie il en vient à rechercher le siège des divers rapports de droit (recherche qui, d'après lui, conduit directement à la détermination de la loi compétente) il utilise surtout deux idées, l'autorité de la volonté des parties et le lien qui unit la compétence juridictionnelle à la compétence législative 2. Sa méthode est sur ce point évidemment vicieuse. La volonté des parties ne peut ni étendre ni restreindre l'application d'une loi qui est par sa nature supérieure à cette volonté de même la compétence juridictionnelle est, dans une certaine mesure, sujette à l'influence de la volonté des intéressés. Savigny ne se bornait pas à appliquer ce criterium aux lois interprétatives on le voit aussi en faire usage au sujet de lois obligatoires qui, comme telles, ne devraient nullement dé

:

1 Hauss réserve, il est vrai, le cas où les dispositions prises par les parties dépasseraient les limites de l'autonomie et se prononce alors pour l'application de la loi du juge ou de la loi étrangère, suivant les cas. Il ne dit ni quelles sont les limites de l'autonomie ni à quelle législation il appartient de les préciser (Waechter, II, pp. 22 et suiv.). 2 Savigny, Traité de droit romain, t. VIII, pp. 109 et suiv.

pendre de la volonté des parties. Ainsi il soumet au droit local de l'obligation les obligations des souscripteurs d'une lettre de change, les conditions de validité de l'obligation, les actions en nullité ou en rescision, la prescription extinctive. Il ne fait exception que pour le cas, où existe une loi positive rigoureusement obligatoire et par les exemples qu'il cite on voit aisément qu'il entend ce que nous appelons aujourd'hui les lois d'ordre public. Savigny fait également intervenir la volonté dans la réglementation internationale du droit de succession ou du régime des époux mariés sans contrat.

Il paraît certain que les opinions exprimées par Savigny ont exercé sur la pratique une influence fort sensible, car, même dans notre pays, la jurisprudence accorde à l'autonomie de la volonté presque toute la portée que lui reconnaissait le jurisconsulte allemand. Cette influence est regrettable. Les juges ne paraissent pas se rendre compte de cette vérité, que toute concession faite à l'autonomie sur la force obligatoire de la loi est pour cette dernière une véritable défaite. On se consolerait vite de cette défaite, si l'autorité de la loi avait quelque chose d'arbitraire et de superflu, mais il n'en est pas ainsi. Les lois ne sont obligatoires que parce qu'il faut qu'elles le soient, dans l'intérêt même de ceux qu'elles sont appelées à régir. On voit alors que c'est au détriment des justiciables que de semblables libertés sont prises avec les principes.

Ces doctrines seraient excusables si elles avaient pour effet de rendre plus facile et plus sûr le commerce international. On ne doit pas critiquer le caractère facultatif donné à la règle locus regit actum, bien qu'il soit infecté du même vice, parce qu'il a pour avantage de rendre plus faciles les rapports internationaux et qu'il ne contient du reste qu'une dérogation fort limitée au caractère obligatoire des lois sur la forme des actes. Il en est autrement des irrégularités signalées plus loin. Loin de faciliter le

1 Savigny, loc. cit., pp. 255, 266, 268, 269, 299, 324.

commerce international, elles le rendent plus incertain et plus risqué en laissant la loi applicable sous le coup d'une perpétuelle indétermination. Cela seul devrait suffire à les faire suspecter. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

58) Mais il ne suffit pas à la loi internationale de posséder cette force obligatoire intérieure dont jouit la loi lorsqu'elle statue sur des rapports internationaux. Parce que son influence dépasse les limites de l'État, il faut que sa force obligatoire soit générale elle aussi et telle que des Etats, respectivement indépendants les uns des autres, soient cependant obligés de la reconnaître lorsqu'ils ont à statuer sur les rapports de leurs citoyens.

Cette force obligatoire internationale est évidemment pour la loi à définir la qualité la plus difficile à atteindre. Nous indiquerons plus loin nos idées sur ce point. Pour le moment, remarquons seulement que l'on ne saurait espérer ce résultat, que si l'on base la loi internationale sur des principes communs à toutes les communautés civilisées. Il faut s'élever au-dessus de l'État et des conceptions peutètre insuffisantes, peut-être erronées qu'il se fait de ses devoirs envers les étrangers, si l'on veut arriver à une norme commune également acceptable par tous les États, propre à servir de base à des traités ou à des lois, soucieuse de faire converger leur action vers un but commun.

Nous repoussons par là même les idées préconisées par Waechter dans sa remarquable étude; elles sont trop certainement impropres à fonder un système de droit véritablement international.

59) La doctrine de Waechter se compose de trois principes: 1° le juge doit d'abord appliquer aux questions de

1 Waechter, Archiv, I, pp. 261 et suiv. Un certain nombre de jurisconsultes allemands sont présentés par Waechter lui-même comme ayant émis des opinions très proches de celles qu'il soutient. Tels sont Mevius, Boehmer, Boeschen, Hartleben, Hofacker, Hauss, Mittermaier, etc. Waechter, II, pp. 15 et suiv.).

notre domaine les solutions expressément dictées par le législateur dont il dépend; 2° à défaut de solutions formelles, il cherchera, dans le sens et l'esprit des dispositions de sa loi nationale sur le rapport de droit en question devant lui, la réponse au point de savoir s'il doit appliquer à ce rapport la loi intérieure ou une loi étrangère ; 3° si cette recherche ne lui fournit aucune indication utile, il fera application de sa loi nationale.

La doctrine de Waechter demande à être appréciée en elle-même et au point de vue de l'influence qu'elle pourrait exercer sur la construction d'un système général de droit international privé. Prise en elle-même cette doctrine ne doit pas être dépréciée. Que l'on remarque, en effet, la question que Waechter se posait. Ce n'était pas précisément celle que nous étudions ici, mais uniquement la question de la détermination de la loi que le juge doit appliquer lorsqu'il se trouve en présence d'un rapport de droit international privé. Cela étant, le premier principe est l'évidence même. On pourrait penser qu'il n'a jamais été contesté. Cependant l'auteur nous rapporte l'opinion divergente d'un jurisconsulte du nom de Struve, qui se prononçait pour la compétence de la loi du lieu où le rapport est destiné à produire son effet et qui considérait ce principe comme tellement impérieux que le juge, d'après lui, n'avait aucun compte à tenir du texte même de sa loi nationale, si ce texte lui était contraire. Struve n'a pas eu de disciples. On le comprend de reste.

Le second principe de Waechter est beaucoup moins solide que le premier. Ce n'est pas cependant qu'il repose sur une idée fausse. Si du sens et de l'esprit d'une loi il résulte clairement qu'elle doit ou ne doit pas être appliquée aux étrangers, le juge fera son devoir en se conformant. à cette indication. Mais il semble bien que le juge ne puisse tirer à cet égard des inductions sûres du rapport de droit livré à son examen, qu'autant qu'il saura déjà par avance à quels caractères on reconnaît une loi extraterritoriale, à quels caractères une loi territoriale. C'est une

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