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du tout et ne se sont même pas posé la question que l'on discute si vivement.

Notre conclusion sera donc que le juge n'est pas lié chez nous par une tradition certainement conservée; il est libre de remplir à l'aide de ses propres lumières les lacunes de la loi et, pour donner une application pratique de cette liberté, nous dirons qu'il n'y aurait de sa part rien d'illégal à repousser l'ancien principe de la territorialité des successions immobilières 1.

On remarquera du reste que la jurisprudence, tout en adoptant en principe la doctrine des statuts, a pris avec elle les plus étranges libertés. Cette théorie est plutôt pour nos juges une ressource en cas d'embarras qu'un guide constamment écouté. L'influence croissante de la nationalité, l'introduction de la notion du domicile autorisé, l'abandon de la distinction entre la capacité générale et la capacité spéciale, l'extension progressive du principe de l'autonomie de la volonté sont autant de témoins de ce mouvement. On dira peut-être que notre jurisprudence voit dans la doctrine des statuts une théorie toujours en voie de progrès. Cette explication rapproche singulièrement les manières de voir des deux partis opposés dans la question, mais aussi on aperçoit qu'elle réduit à rien la portée pratique de l'affirmation du maintien de la théorie. des statuts dans le code civil. Il est toujours permis avec elle d'avancer qu'un état social nouveau exige une correction de plus dans les règles anciennes.

1 Cf. Gény, Méthode d'interprétation, pp. 416 et suiv.

CHAPITRE V

De la loi internationale.

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47. Qualités générales que doit posséder la loi internationale. 48. La loi internationale doit être certaine. 49. Critique de la jurisprudence anglo-américaine et de la doctrine de Savigny. 50. La loi internationale doit être obligatoire. Fondement de cette condition. - 51. Réfutation du système de la réalité des lois. 52. La théorie des statuts en Allemagne. 53. Pufendorf et son école. 54. Critique d'une récente rénovation des doctrines statutaires. 55. Réfutation du système de la personnalité des lois; rejet de la doctrine de Mancini. — 56. Obligation pour le droit international privé de maintenir la division en lois impératives et lois facultatives. 57. Critique du principe de l'autonomie de la volonté. 58. La force obligatoire de la loi internationale doit être générale; base de ce principe. 59. Analyse critique de la doctrine de Waechter. 60. Comment la loi internationale doit concilier les lois en conflit. 61. Effets d'une bonne loi internationale; acte internationalement juste; acte internationalement injuste. — 62. Indépendance actuelle des États quant à la conception de la loi in63. Théorie du renvoi. 64. Appréciation. de cette théorie. 65. Arguments invoqués pour ou contre elle. 66. La théorie du renvoi et l'Institut de droit international.

ternationale.

47) La loi internationale que cet ouvrage a pour objet de dégager n'est pas, on le sait, une loi commune que l'on tenterait de faire accepter aux peuples aux lieu et place de leurs législations respectives. C'est un système de conciliation destiné à fixer les limites rationnelles de l'autorité

respective de ces législations dans tous les cas où le commerce international aboutit à créer un conflit entre leurs principes. Avant d'aborder la recherche de sa formule, il n'est pas inutile, à ce qu'il semble, d'analyser les conditions générales auxquelles doit satisfaire une loi ayant cet objet et destinée à exercer son influence dans les circonstances que nous savons.

Ce sont là travaux d'approche qui, précisant le problème à résoudre, permettent d'éliminer à coup sûr toutes les solutions qui ne correspondraient pas aux exigences qu'ils auront mises en lumière et nous conduiront plus sûrement aux solutions qu'appelle la nature même des questions posées. Les conditions générales que doit remplir la loi internationale sont contenues en germe dans les données du problème qu'elle doit résoudre. Nous en connaissons déjà quelque chose. Nous savons que la loi internationale doit, pour remplir sa fonction, ètre une loi unique, commune à tous les peuples, assez générale pour répondre aux trois grandes questions que comprend le droit international privé, assez respectueuse des droits de souveraineté toujours engagés dans les débats de cet ordre pour s'imposer également à tous les États intéressés.

Ces notions sont fondamentales. Insistons un peu ; elles vont nous fournir un certain nombre d'indications précises quant aux qualités que devra réunir cette loi internationale que nous cherchons à déterminer.

48) Nous rappellerons d'abord que le premier caractère d'un droit est la certitude, qualité précieuse pour le juge, plus précieuse encore pour les parties un droit incertain est une menace plus qu'un secours. En parlant plus haut de cette incertitude en quelque sorte extérieure qui provient de la pluralité des systèmes (ou définitions) de droit international privé en vigueur dans divers États, nous nous sommes attaché à faire ressortir la gravité de ce vice et nous en avons déduit la nécessité d'un système de droit international privé, uniforme dans tous les États civi

lisés. Il faut ajouter à cela qu'une autre cause d'imperfection grave pour notre science est son incertitude intérieure, c'est-à-dire le défaut de principes dirigeants suffisamment nets pour garantir une véritable continuité de vues dans l'application du droit. On serait tenté de regarder cette seconde cause d'incertitude comme pire que la première, elle a en tout cas quelque chose de plus fâcheux pour les particuliers, car quelques précautions que puissent prendre ceux-ci pour s'assurer l'avantage d'un for antérieurement choisi par eux (au moyen d'élections de domicile ou de conventions relatives à la juridiction) ils ne sauraient éviter le danger qui les menace du chef de l'incertitude de la doctrine en vigueur auprès des tribunaux compétents.

On pensera, à juste titre, qu'il ne faut pas abandonner à la seule action de la jurisprudence l'élaboration des doctrines de droit international privé. Dans tout système de droit l'action de la jurisprudence est indispensable. Les questions auxquelles donnent lieu les rapports d'ordre privé sont nombreuses et variées, à ce point que le législateur le plus soigneux ne peut jamais en prévoir que la moindre partie. Il appartient ensuite au juge de dégager l'esprit de la loi, de mesurer ses conséquences, de la compléter par un appel constant aux principes généraux du droit. Là est la fonction propre du juge; elle est, en importance, au moins égale à celle du législateur. Mais un État bien ordonné ne doit pas aller plus loin et confier au juge le soin de faire la loi. Une loi construite à coups d'arrêts sera toujours vacillante et obscure, ce sera comme un commandement proféré en un langage indistinct, une cause de confusion au lieu d'un principe d'ordre et de tranquillité sociale.

Il semble donc bien que dans une matière comme la nôtre où la certitude est particulièrement difficile à obtenir, la seule action de la jurisprudence est insuffisante. Il faut certains principes, certaines idées directrices qu'il appartient à la doctrine de découvrir, au législateur de faire

passer dans la pratique par le moyen de la loi ou par celui du traité.

49) L'examen de la jurisprudence anglo-américaine est bien fait pour confirmer ces prévisions. Tout le monde sait que cette jurisprudence, mue par son attachement aux doctrines anciennes, professe sur bien des points des idées fort différentes de celles qui prévalent ou tendent à prévaloir sur le continent. Le domicile y joue en général le rôle attribué ailleurs à la nationalité; il n'est pas rare que la loi du lieu où l'acte est fait soit considérée comme déterminant la capacité des parties, l'influence du statut réel Ꭹ est beaucoup plus accusée que chez nous, la règle locus regit actum n'y bénéficie pas d'une application aussi générale. Ces raisons suffisent à expliquer la scission profonde existant entre la doctrine anglaise et les diverses doctrines continentales, comme l'attachement bien connu des Anglais à leurs traditions nationales fait comprendre que la Grande-Bretagne se soit tenue à l'écart de ce grand mouvement vers l'unification, qui s'est affirmé dans les conférences de La Haye.

Il y a plus. Quiconque a pris contact avec la littérature anglaise a été frappé de son extrême incertitude dans la matière qui nous occupe. Il est évident que la common law, dans le domaine de laquelle rentrent nos questions, n'est pas fixée du tout sur ce point. Elle ne fournit à la vérité que des décisions d'espèces et bien souvent les inductions que l'on pourrait se voir fondé à tirer d'un arrêt se trouvent renversées par un autre arrêt. Et ainsi des ouvrages composés par des hommes d'un grand mérite, également versés dans la science et dans la pratique, se réduisent à être des recueils de cas qui ne laissent à l'esprit qu'une impression assez confuse1. Il est difficile à

1 Cette impression est familière à tous ceux qui ont pris contact avec la littérature juridique anglaise sur la matière. Les précautions oratoires prises par les meilleurs jurisconsultes, lorsqu'ils entreprennent de résu

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