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éprouvés et des hommes d'État, elles avaient l'avantage inappréciable de faire accepter aux uns et aux autres les mêmes idées, les mêmes principes. J'irai jusqu'à dire que c'était le point essentiel à franchir. En outre, les décisions prises ont été communiquées aux gouvernements, ceux-ci ont répliqué par des observations, certains d'entre eux ont constitué des commissions permanentes d'examen vouées à cet objet. Tout cela n'oblige pas les États à introduire dans leur droit positif les principes ainsi arrêtés; rien de plus vrai, mais tout cela prépare cette introduction et il nous paraît plus que probable que le succès définitif de l'œuvre est destiné à récompenser le zèle et le dévouement de ceux qui lui ont si libéralement consacré leur expérience et leur savoir.

44) Revenons maintenant à l'influence des sources positives sur la doctrine et faisons la seconde des deux observations que nous avons annoncées. Ces sources ont un domaine scientifique qui leur est propre. Les systèmes généraux de droit international privé aboutissent tous à laisser sous la compétence principale ou exclusive de la loi territoriale un certain nombre de rapports de droit, nombre plus ou moins considérable suivant les tendances du système. Ce sont, pour citer les exemples les plus connus, les dispositions relatives à la condition des étrangers, à la nationalité ou au domicile, à la compétence. Il faut cependant pour la régularité du commerce international, qu'il s'établisse une certaine correspondance, un certain degré de similitude entre les lois des divers pays statuant sur l'un quelconque de ces objets. Une loi sur la nationalité est certainement mauvaise si elle aboutit à multiplier les cas de nationalité multiple ou d'absence de nationalité. Cette similitude que l'on ne peut pas réclamer ici au nom d'un principe supérieur, puisqu'il s'agit de matières appartenant au domaine de la loi territoriale, sera obtenue de la libre décision de législateurs conscients de cette vérité, que l'usage de la liberté devient abusif lorsqu'il aboutit à

contrarier sans nécessité les intérêts communs. En cela encore les sources positives de notre science nous apparaissent comme des auxiliaires indispensables à la doctrine et nous sommes autorisé à dire qu'une bonne méthode scientifique exige l'usage concurrent des deux catégories de sources, en réservant à chacune d'elles la part d'influence qui lui convient'.

45) Le point de vue doctrinal a jusqu'ici dominé cette étude sur la méthode en droit international privé ; ce point de vue n'est pas le seul à considérer. Il ne suffit pas à une bonne doctrine de spéculer sur ce qui doit être, sur ce qui sera un jour, il faut aussi qu'elle considère ce qui existe, le droit vivant et quotidiennement appliqué. A ce point de vue la méthode change complètement. La loi, la jurisprudence, les traités, la coutume sont les sources à consulter tout d'abord; ce sont elles qui doivent dicter au juge sa réponse aux questions de droit international privé proposées à la barre de son tribunal. Pour le juge il n'y a pas de droit international privé au sens général et scientifique du mot, mais bien une doctrine nationale plus ou moins riche et s'appliquant à la solution des questions comprises dans le domaine du droit international privé. Pour autant que cette doctrine existe, le juge est tenu de s'y conformer et de faire abstraction de ses opinions personnelles pour se se plier aux volontés exprimées par le législateur. Le juge est le serviteur de la loi : il lui est interdit de regarder au delà 2.

1 Gemma (Propedeutica, pp. 54 et suiv.) observe que la loi intérieure a une influence sur le droit international privé en ce qu'elle donne aux institutions civiles qu'elle organise leurs caractères, caractères qui, à leur tour, déterminent le régime international propre à chacune de ces institutions. Cette pensée est juste à la condition de n'être pas exagérée. Il est certain qu'un législateur, qui donnerait à une institution une qualification fantaisiste sans rapports avec sa nature vraie, n'empêcherait nullement un juge étranger de dégager le caractère véritable du droit en question et de lui appliquer le régime international propre aux droits de cette espèce. Le législateur, en notre matière, est, comme on l'a vu plus haut, un définiteur et non un véritable créateur du droit.

2 Par suite, le juge français n'appliquera la loi étrangère qu'autant que le législateur français lui aura ordonné ou au moins lui aura permis

Est-ce à dire qu'il ne reste aucune place sur ce terrain qui puisse être livrée à l'influence des sources doctrinales de notre science? Rien ne serait moins exact que cette opinion. Aucun pays ne possède même l'esquisse d'un droit international privé promulgué. Les lois écrites se bornent à quelques solutions très générales, laissant la formation du droit à l'interprétation et il ne s'en est trouvé aucune jusqu'ici qui ait pris soin d'indiquer au sujet de chaque rapport de droit le régime international auquel il serait soumis. En réalité, il n'est aucune matière juridique dans laquelle le juge soit aussi souvent obligé de recourir à ses propres lumières. Son premier soin sera de discerner les intentions du législateur et quelquefois ces intentions seront assez nettes et précises pour suppléer au silence du texte. Mais le plus souvent il n'en est pas ainsi. Bien que le droit international privé progresse en importance et occupe, dans les codifications les plus récentes, une place toujours plus grande, il demeure vrai que le plus grand nombre des questions de son domaine. échappe entièrement à l'attention du législateur; le juge puise donc en réalité dans son propre fonds les intentions qu'il lui prète. En pareil cas le recours aux principes généraux est de toute nécessité. S'il est possible de démontrer qu'un législateur s'est référé à une théorie connue, le juge sera en droit d'emprunter à cette théorie la solution des questions pendantes devant lui. A défaut de cette ressource il appliquera la coutume généralement acceptée, s'il en existe une sur ce point, et en dernière analyse il adoptera

de le faire. Mais ici se présente une question subsidiaire fort curieuse : lorsque la loi étrangère est douteuse, le juge français l'interprétera-t-il à sa guise ou devra-t-il se conformer à l'interprétation admise dans le pays auquel cette loi appartient? La logique voudrait la première solution, car le juge français, même lorsqu'il applique la loi étrangère, garde toute sa liberté d'appréciation. La Cour de Douai, 7 mai 1901 (Cl. 1901, p. 810), a préféré la seconde, appliquant à un testament rédigé en Belgique l'interprétation belge (différente de l'interprétation française) de l'art. 970 du code civil. La Cour n'a pas motivé son opinion. Il y a une parenté certaine entre cette décision et la théorie du renvoi.

la solution qui lui paraîtra la plus juste et la plus conforme aux exigences du commerce international. On voit donc que la doctrine, soit incorporée dans la coutume, soit même réduite à sa seule autorité scientifique, est indispensable à combler les lacunes de la loi écrite en droit international privé.

L'interprétation des codes les plus récents est plus facile que celle des lois qui les ont précédés. On peut, sans gros risque d'erreur, emprunter à la théorie italienne moderne le commentaire des dispositions des codes italien et espagnol, leurs auteurs s'étant visiblement inspirés des idées de Mancini et de son école 1.

46) Au contraire, l'interprétation du code civil français a soulevé une question générale fort controversée. Est-on autorisé dans le silence de l'art. 3 à se référer à l'ancienne théorie des statuts? La jurisprudence française n'a pas hésité à revendiquer cette plate-forme pour ses décisions et on la voit user couramment des notions anciennes du statut réel et du statut personnel. Est-elle fondée à le faire? Beaucoup d'auteurs le pensent 2. Leur principale raison est que si l'intention d'adopter la doctrine des statuts ne transparaît pas clairement dans le texte de l'art. 3, elle se manifeste au moins dans les travaux préparatoires. On cite en ce sens une déclaration de Portalis et un passage emprunté à un discours du tribun Faure. Mais l'un et l'autre

↑ Il serait difficile, au contraire, d'indiquer la source des dispositions de la loi d'introduction au code civil allemand (art. 7 à 31) relatives au droit international privé. Ces dispositions, dans lesquelles les principes sont près de disparaitre sous une foule d'exceptions et de réserves, ne procèdent d'aucune théorie arrêtée et ménagent sans doute de pénibles surprises à ceux qui devront les appliquer.

V. sur ce point l'ouvrage de M. Barde, La théorie traditionnelle des statuts, contenant un développement intéressant des applications de la théorie ancienne dans notre droit nouveau, et la Synthèse du droit international privé, de Vareilles-Sommières, t. I, pp. 186 et suiv. Ces deux auteurs ne laissent pas, du reste, de prendre avec la théorie des statuts certaines libertés qui la défigurent sensiblement. Cf. Rolin, Principes, t. I, p. 89.

ne contiennent, au plus, que de vagues allusions à la théorie des statuts et on pensera que ce point d'appui est bien faible pour y accrocher une aussi lourde conséquence 1. Du reste la lecture des travaux préparatoires fait naître plutôt cette idée que les rédacteurs de l'art. 3 ne se rendaient nullement compte de l'importance de la disposition qu'ils inscrivaient dans leur œuvre. L'autorité incontestée de la théorie des statuts dans notre ancien droit est sans doute le meilleur argument que l'on puisse faire valoir en faveur de son maintien dans le droit nouveau ; mais, d'autre part, il faut observer que des trois alinéas que comprend l'art. 3 il en est un, le premier, qui est complètement étranger à la théorie des statuts et un autre, le troisième, qui interprété comme substituant la nationalité au domicile dans la détermination du statut personnel, est en contradiction absolue avec les précédents de la même théorie. Il est difficile, après cela, de soutenir que les rédacteurs du code civil ont voulu faire revivre dans notre droit la théorie des statuts; la vérité nous paraît être qu'ils n'ont rien voulu

1 En réalité, Portalis, Faure, Grenier, font des allusions assez légères à la théorie traditionnelle lorsqu'ils parlent soit « de la distinction des lois relatives à l'état et à la capacité et de celles qui règlent la disposition des biens. » (Portalis) ; « d'une matière connue dans le droit sous le titre de statuts personnels et de statuts réels » (Faure); « des principes enseignés par tous les publicistes généralement admis chez les nations civilisées » (Grenier). Les rédacteurs du code civil, trop facilement convaincus du mérite de leur œuvre, n'ont prêté qu'une attention médiocre à nos questions. La preuve en est dans la disparition fortuite des dispositions du premier projet touchant les lois sur la forme des actes et sur le régime de la propriété mobilière. Brocher, dans son Étude sur les principes généraux consacrés par le code civil comme bases du droit international privé; Despagnet, Précis, pp. 192 et suiv.: Weiss, Traité élémentaire, pp. 270 et suiv.; Audinet, Principes élémentaires, pp. 215 et suiv.; Surville et Arthuys, Cours élémentaire, pp. 34 et suiv., proposent un système mixte tendant à ne lier l'interprète à l'ancien droit que sur les points où celui-ci, dans son dernier état, possédait des règles fixes acceptées par la pratique. C'est réduire à peu de choses l'influence de la doctrine des statuts. On ne saurait même dire, avec un pareil système, lequel du statut personnel ou du statut réel doit être présumé, car, depuis Bouhier, l'unité n'existait plus sur ce point essentiel.

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