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reste il faut bien reconnaître que si les différences de qualifications étaient aussi nombreuses qu'on le prétend, le droit international positif ne reconnaîtrait pas de règles communes. Or on sait qu'il n'en est pas ainsi dans la réalité.

40) La nécessité et la possibilité d'une méthode générale étant données, comment se classeront, au point de vue de leur valeur doctrinale, les sources que nous avons énumérées? La source principale d'un droit international général sera forcément la doctrine. Il n'est pas inutile de dire ici un mot du rôle de la doctrine, car il a soulevé parfois les plus étranges préventions. On prète facilement à la doctrine l'intention de s'imposer et on ne manque pas de lui demander quels sont ses titres à une autorité quelconque. Tel n'est pas le rôle de la doctrine et telles ne doivent pas être ses prétentions. Le jurisconsulte n'est à aucun degré un législateur: il lui appartient de déblayer le terrain et de proposer les plans des constructions possibles; il ne lui appartient pas de construire. La doctrine n'a donc qu'un rôle de préparation, mais ce rôle elle peut seule le remplir convenablement, car on ne trouve pas, ailleurs que dans les rangs des hommes de doctrine, des esprits assez dégagés de préjugés locaux pour être habiles à fonder une théorie vraiment internationale. Rappellerons-nous à ce sujet que la doctrine des postglossateurs, la théorie des statuts ont été en grande partie des œuvres de doctrine et que c'est encore la doctrine qui a fourni leurs formules aux codifications les plus récentes ??

41) La tradition est, elle aussi, une source générale.

1 Cf. Zitelmann, Internationales Privatrecht, Einleitung, pp. 6 et suiv., qui expose très bien le double rôle de la doctrine en notre matière, et aussi Brocher de la Fléchère, Le droit coutumier et la philosophie du droit dans la R. D. I, 1877, pp. 578 et suiv. D'après Niemeyer (Zur Methodik des internationalen Privatrechts, p. 9) la législation, la jurisprudence et la théorie figureraient trois cercles concentriques dont la législation serait le plus étroit.

2 Il est certain, par exemple, que sans l'action préalable de la doc

L'influence des doctrines anciennes n'est pas ici comparable à ce qu'elle est, dès qu'il s'agit d'interprétation du droit intérieur. Cependant les doctrines anciennes étaient, comme nous l'avons observé, des doctrines générales. L'insuffisance de leurs bases a été la cause de leur abandon. Les solutions des postglossateurs ne procédaient point d'idées philosophiques générales. Certaines questions nées de la divergence du droit romain et des statuts des villes italiennes les préoccupaient : ils les avaient comprises dans leurs gloses et, pour revêtir leurs opinions de l'apparat scientifique sans lequel elles eussent passé inaperçues, ils ne manquaient jamais de les appuyer sur l'autorité de quelque loi romaine parfaitement étrangère au sujet. Ce procédé leur réussit et certains entre eux, Bartole et Balde en particulier, durent à son emploi de voir leurs opinions pieusement reproduites par la longue série des jurisconsultes statutaires, même lorsqu'elles ne méritaient nullement ce grand honneur1.

On ne peut pas penser pourtant, que ces habiles jurisconsultes aient été les dupes de leurs propres méthodes, qu'ils aient cru aux raisons qu'ils donnaient. Il est plus probable qu'ils se décidaient par des considérations d'équité et que leur perpétuel recours au droit romain avait surtout

trine les conférences de La Haye eussent été infructueuses, et dans les résolutions qui y ont été votées on n'aura pas de peine à reconnaître une série de principes depuis longtemps recommandés par les théoriciens. Sur l'utilité de la science pure, v. Roguin, La règle de droit, ch. 11, pp. 29 et suiv.

1 Telle, par exemple, cette étrange doctrine de Bartole sur la nature personnelle ou réelle des statuts concernant la succession, qui consiste à vérifier si le texte du statut mentionne en premier lieu la personne ou les biens (primogenitus succedat.... bona veniant in primogenitum). On la trouve reproduite pendant tout le cours de notre ancien droit par une sorte de piété filiale, bien qu'en définitive personne ne se résigne à l'adopter. Notre collègue, M. Lainé, a tenté de donner à cette distinction purement verbale un sens raisonnable (Introduction, t. I, pp. 158 et suiv.) en la présentant comme un procédé d'interprétation de l'intention du législateur. C'est faire à Bartole un honneur immérité, car rien dans son texte ne montre qu'il ait considéré autre chose que l'ordre des mots et, jusqu'à M. Lainé, sa doctrine n'a pas été interprétée autrement.

pour eux l'avantage de les dispenser de la nécessité de pourvoir d'une base logique leurs solutions. Peut-on aller plus loin et dire qu'ils se décidaient dans chaque cas d'après la nature des choses et qu'ils fixent ainsi les premières applications de la méthode qui fut ensuite celle de Savigny et de ses disciples1? Nous ne le croyons pas. Savigny procédait de cette idée, que dans la nature ou plus exactement dans le siège de chaque rapport de droit, se trouve un élément de détermination du régime international de ce rapport. Cette idée est complètement étrangère aux postglossateurs. Si l'on peut dire qu'ils se sont laissés déterminer par la nature des choses, c'est à la condition de donner à ces expressions une signification si vague qu'elle exclut toute précision scientifique. Nous rappellerons cependant qu'en liant à l'interprétation de la loi Cunctos populos (1 C. de Summà trinitate) leurs embryons de théories, ces jurisconsultes ont montré un sens très juste de la nature des questions comprises dans le ressort de notre science. Elles concernent bien en effet la détermination des limites de la souveraineté.

La théorie des statuts est scientifiquement de beaucoup supérieure à sa devancière. Elle possède quelques principes reconnus de tous et sur lesquels repose le poids de l'édifice entier. On compte deux au moins de ces principes, la territorialité de la souveraineté et la distinction des statuts concernant la personne et des statuts concernant les biens. Tous les statutaires de tous les pays reconnaissaient l'autorité de ces principes et enseignaient la doctrine de la territorialité des lois, corrigée dans ce qu'elle a de trop

1 Lainé (Introduction, t. I, pp. 111 et suiv.; 248 et suiv.). M. Lainé ne donne pas expressément Bartole comme un prédécesseur de Savigny, mais cette idée se dégage naturellement de la partie critique de ses études. Nous ne partageons pas son sentiment à cet égard. Entre la première doctrine italienne et la doctrine allemande moderne il y aura toujours l'espace immense d'une doctrine coordonnée et consciente de son point de départ et de son but, à une collection de solutions particulières fournies un peu au hasard et inspirées évidemment dans chaque cas par les seuls besoins de la cause.

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absolu par l'admission de l'exterritorialité des dispositions se référant à la personne. Que si, du reste, ils s'épuisaient en vaines discussions, c'était sur des questions d'application, c'était surtout parce que leurs principes n'étaient ni assez justes ni assez clairs. Les mêmes raisons nous obligent à les répudier aujourd'hui en tant que principes d'une doctrine générale. Nous ne pouvons pas admettre que toutes les lois sont réelles, pas davantage qu'elles ont fatalement pour objet ou une personne ou une chose et le rejet de ces principes premiers nous conduit à répudier le système tout entier.

Il est juste cependant de dire que si la méthode des statutaires a été vicieuse dans la direction qu'elle a prise, elle était exacte dans son principe en ce que ses auteurs se sont attachés aux caractères généraux des lois pour mesurer leur effet international. Sur ce point ils restent dignes de nous servir de modèles, car ils se sont montrés de beaucoup supérieurs aux théoriciens qui ont tenté de baser leurs systèmes sur des phénomènes particuliers variables avec les législations.

42) Aux sources générales s'opposent les sources positives. Elles possèdent le grand avantage d'avoir force de loi dans les pays où elles sont en vigueur, mais, par contre, ce défaut au moins aussi grand de n'être susceptibles que d'une application locale, ce qui infecte d'un caractère particulariste le droit qui en découle. Les sources positives de notre science revêtent un caractère un peu suspect aux yeux de ceux qui pensent comme nous, qu'une bonne doctrine de droit international privé doit être une doctrine générale. Cependant ce serait exagérer singulièrement que d'avancer que les sources positives ne peuvent pas avoir une influence réelle et même une influence heureuse sur le développement de la doctrine. Deux observations importantes doivent être faites à cet égard.

Certaines sources d'un caractère positif paraissent être prédestinées à servir d'intermédiaires entre la pure doc

trine et le droit positif. La coutume et les traités sont aptes à remplir cette fonction et la remplissent en effet. On peut citer à l'actif de la coutume l'adoption des règles de droit international privé qui sont aujourd'hui d'une application générale dans la communauté des nations. Telle est la règle locus regit actum qui a fini par vaincre tous les obstacles qui lui ont été successivement opposés. Tel est aussi le principe de l'autonomie de la volonté en matière de conventions, qui, particulier à Dumoulin à son origine, est reconnu partout maintenant et si franchement accepté, que la pratique tend à le pousser au delà des limites que la raison lui assigne. Sur ces deux points l'action incessante de la coutume a réalisé l'unité; sur d'autres elle l'a préparée, éliminant progressivement les différences qui séparaient les législations. Il est certain, par exemple, que la jurisprudence anglo-américaine, qui était au commencement de ce siècle fort éloignée de la pratique suivie sur le continent, s'en est peu à peu rapprochée par le sacrifice progressif de ses principes particuliers. Les jurisconsultes anglais ont aidé à ce mouvement et, quoique partisans de la nature purement relative du droit international, ils s'efforcent de diminuer la distance qui sépare leurs doctrines de celles reçues sur le continent1.

Les traités sont aussi d'actifs instruments de généralisation, surtout lorsqu'ils revêtent la forme de conventions ouvertes à toutes les puissances. L'action des traités est plus neuve que celle de la coutume et ce n'est qu'à une époque encore toute récente qu'elle s'est montrée efficace.

1 Cf. Phillimore, International law, t. IV. pp. 9 et suiv.

2 Cela est vrai au moins si l'on considère l'établissement de règles propres à trancher les conflits de lois. On ne doit pas oublier, que les traités de commerce ont toujours contenu des dispositions touchant aux droits des étrangers et aux charges auxquelles ils seront soumis. Ces clauses ont été de style jusqu'en 1860. Plus rarement ces mêmes traités disaient quelque chose des lois qui seraient applicables aux sujets de l'une des H. P. C. sur le territoire de l'autre ; encore cette mention n'était-elle faite que pour assurer l'application de la loi territoriale, particulièrement en matière immobilière ou au sujet des successions.

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