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ORIGINE DE L'HOMME

CHAPITRE XVIII

APPLICATIONS A

MONOGÉNISME DE M. DE QUATREFAGES. POLYGÉNISME D'AGASSIZ. -TRANS-
FORMİSME DE LAMARCK. SÉLECTION DE DARWIN.
L'HOMME, SA GÉNÉALOGIE, SA PLACE DANS LA Nature.

La conclusion générale qui précède sur le rang de l'homme dans la série des mammifères et sur le titre de ses races ne préjuge rien, en effet, des autres problèmes qu'implique la connaissance de cet homme. Peu importe qu'à un moment quelconque, plus tôt ou plus tard, les types physiques aient été des genres, des espèces ou des variétés et qu'il en soit encore ainsi; ce que les philosophes ont le plus de curiosité à connaître, c'est comment ils ont pris naissance : tout à coup, spontanément, de toutes pièces ou progressivement, naturellement, aux dépens des choses préexistantes.

A l'origine, les naturalistes et les anthropologistes se préoccupaient peu de toutes ces questions; ils travaillaient sans prêter l'oreille aux dogmes enseignés en dehors de leur sphère, leurs synthèses se maintenaient dans des régions tempérées. La science des faits progressant, il leur fut cependant impossible de se désintéresser toujours de ces vues élevées qui ont valu à Newton, à Humboldt une si haute renommée et que l'on n'interdit dans aucune autre branche des connaissances humaines.

Deux courants donc se produisirent, aboutissant à deux doctrines différentes sur l'origine de l'homme : l'une orthodoxe, monogéniste, affirmant que toutes les races humaines dérivent

d'une même souche et ont été produites par l'influence des milieux dans le court espace de temps écoulé depuis la création du monde suivant la version biblique; l'autre révolutionnaire, polygéniste, prouvant que ce laps de temps est insuffisant, que, dans les conditions actuelles et sous nos yeux, les types sont permanents et, par conséquent, qu'ils ont dû être multiples dans le passé.

Mais l'horizon aujourd'hui a changé; il ne s'agit plus de 5876 ans, mais d'un nombre incalculable de siècles, et ce qui était faux dans le premier cas peut être vrai dans le second; c'est au télescope qu'il faut chercher à présent l'origine de l'homme.

Voyons donc avec détails les principales doctrines en présence. Nous ne dirons rien des métaphysiciens dissertant sur l'essence de l'homme, l'harmonie préétablie du corps et de l'esprit, ou l'intervention intelligente de la nature, ni des philosophes d'un ordre plus élevé. La citation suivante fera exception. << Dans le cours nécessaire des choses, disaient Epicure et Lucrèce, toutes les combinaisons possibles s'effectuent tôt ou tard, au milieu de conditions complexes qui tantôt les favorisent plus ou moins et tantôt au contraire les contrarient; en sorte que les résultats sont aussi variables que peut l'ètre, suivant le temps et les lieux, le concours de ces conditions (1).»

Nous passerions volontiers aussi sous silence les explications qu'on retrouve à la base de tous les systèmes religieux, si l'un d'eux, le nôtre, n'avait été discuté par des anthropologistes éminents. En ce qui concerne le livre de la Genèse, tel que nous le connaissons par la compilation d'Esdras à la suite de la captivité de Babylone, deux opinions sont en

(1) Sur le transformisme, par M. Paul Broca, in Bull. Soc. anthrop., 2e série, t. IV, 1870.

présence. Les uns, sans cesser de se croire parfaitement orthodoxes, affirment qu'il n'y est question que des peuples sémites et en particulier des Juifs; ils renouvellent les arguments sur lesquels, dès 1655, Isaac de la Peyrère avait fondé sa doctrine des Préadamites (1), rappellent, par exemple, que Dieu marqua Caïn d'un signe « afin que ceux qui le rencontreraient ne le tuassent pas, » et font remarquer que dans le chapitre VI de la Genèse, les enfants de Dieu sont représentés comms les races d'Adam, et les enfants des hommes, comme des races non adamiques. (Ces Préadamites, suivant M. Staniland Wake, étaient dolichocéphales, tandis que les Adamites étaient brachycéphales). Les autres, radicaux dans leur orthodoxie, déclarent au contraire que toutes les races descendent primitivement d'un seul couple, Adam et Eve, et consécutivement de trois couples sauvés d udéluge; que toutes les espèces animales dérivent d'autant de couples sauvés en même temps; que l'influence des milieux commença alors et que la diversité des langues vint ensuite. Mais Linné avait des scrupules, il s'inquiétait de la nature exceptionnelle de la contrée qui avait pu subvenir aux besoins divergents d'espèces zoologiques aussi opposées que l'ours polaire et l'hippopotame des tropiques. Prichard répondit qu'il s'agissait de surnaturel et, dès lors, qu'un peu plus ou un peu moins n'y changeait rien. C'est ce qu'il faut répéter à ceux qui discutent si Adam était blanc, noir (Prichard) ou roux (Eusèbe de Salles).

Passons aux doctrines scientifiques. Tout d'abord se présente celle de M. de Quatrefages, qui, sans se laisser distraire par des influences étrangères à la science, défend avec conviction l'unité de l'espèce humaine tout en acceptant sa très-haute antiquité.

(1) Præadamitæ, par Isaac de la Peyrère. Ed. Elzevier. Amsterdam, 1655.

ANTHROPOLOGIE.

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Pour lui, les espèces zoologiques sont immuables dans leur type physique et délimitées dans leur circonscription par leur caractère d'homogénésie dans leur sein et d'hétérogénésie en dehors. Les races humaines ne sont que des variétés dues à l'influence des milieux et des croisements et se réduisent à un petit nombre de types descendant tous d'une même souche. L'homme aurait été créé, à l'origine, dans des conditions inconnues, par l'intervention d'une force étrangère ou d'une volonté suprême. M. de Quatrefages n'admet donc qu'une seule espèce humaine, et par déférence pour son rang élevé et pour sa caractéristique qui serait la religiosité, il lui accorde une place à part dans la série zoologique, sous le nom, proposé par Isidore Saint-Hilaire, de règne humain.

Les diverses propositions de cette doctrine ont été examinées dans le cours de cet ouvrage. Rappelons seulement que la religiosité n'est réellement pas spéciale à l'homme et que parmi les hommes, individus ou races, beaucoup ne la possèdent pas; que l'influence des milieux est faible et n'arrive pas sous nos yeux, et dans l'état actuel des choses, comme disait Geoffroy SaintHilaire, à produire un caractère physique nouveau transmissible; que la fécondité exclusivement entre individus de la même espèce n'est pas le criterium de l'espèce; et enfin, que l'intervalle qui sépare physiquement les types humains principaux est égal à celui qui sépare et détermine les espèces en zoologie, sinon quelquefois plus grand.

L'origine des espèces, professait Agassiz, se perd dans la nuit du premier établissement de l'état actuel des choses. Les espèces ne sont pas rigoureusement fixées dans leurs limites, ni déterminées par la faculté des individus de ne se féconder qu'entre eux. Les races humaines diffèrent autant que certaines familles, certains genres ou certaines espèces. Elles sont nées d'une façon indépendante, en huit points différents

du globe ou centres qui se distinguent aussi bien par leur faune que par leur flore propre. Agassiz admettait néanmoins l'intervention, à toutes les phases de l'histoire de la terre, d'une volonté supérieure opérant en vertu d'un plan préconçu.

La troisième de ces propositions, de la part d'un naturaliste aussi universel, acquiert un poids considérable et s'accorde avec nos conclusions comme anthropologiste. Quant à ses centres de création qu'il appelle royaumes (realm), leur localisation particulière n'est justifiée que pour quelques-uns par la flore et la faune générales, mais pas par l'homme: tel est le royaume australien. A son royaume arctique, si légitime en apparence, il y a l'objection qu'il est entièrement peuplé, aujourd'hui, d'hommes et d'animaux immigrés et que jadis ses conditions d'existence se retrouvaient identiquement au centre de la France.

La doctrine de M. de Quatrefages est le monogénisme classique qu'il faut distinguer du monogénisme nouveau, dont nous parlerons tout à l'heure; celle d'Agassiz est un polygénisme spécial. Les deux se touchent en ce qu'elles cherchent le secret de la formation de l'homme en dehors des lois naturelles connues qui régissent l'univers. Il en est autrement de la doctrine suivante.

C'est le transformisme; elle est d'origine française. Quoique de Maillet et Robinet en aient esquissé quelques traits, l'honneur tout entier en revient à M. Lamarck (1).

L'espèce, écrivait Lamarck en 1809, varie à l'infini et, considérée dans le temps, n'existe pas. Les espèces passent de l'une à l'autre par une infinité de transitions dans le règne animal comme dans le règne végétal. Elles naissent par voie de trans

(1) Philosophie zoologique, par J.-B.-A. Lamarck, professeur de zoologie au Muséum. Paris, 1809, 2 vol.

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