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ouvrier. Ce qu'il saura des autres parties du métier, il le saura mal, ne le sachant point par principes, par une pratique de toutes les heures, ne l'ayant appris qu'en regardant par intervalles le compagnon qui travaille et qui n'est pas toujours d'humeur à lui donner des explications.

Il y a heureusement des patrons qui prennent au sérieux leurs devoirs. Ceux-là sont pour les apprentis de vrais pères. Ils exercent une surveillance constante, préservent les mœurs, interdisent les relations mauvaises, avertissent les parents ou les tuteurs. Mais ce n'est point d'après ces hommes honorables qu'il faut juger ce qui se passe en général. Un grand nombre de patrons prennent des apprentis, non pour former des artisans habiles, mais parce qu'un apprenti coûte moins cher à son début qu'un homme de peine, et, vers la fin, moins cher qu'un ouvrier.

Les prescriptions de la loi sur les obligations morales du maître sont suffisantes en elles-mêmes, mais elles manquent d'une sanction sérieuse. C'est par une simple résiliation du contrat d'apprentissage que se résolvent le plus souvent les contestations dont la violation de la loi est l'objet.

Souvent aussi les torts sont de l'autre côté. L'apprenti quitte le patron avant la fin de l'apprentissage. A l'atelier où il doit son travail sans salaire, il préfère l'atelier où on le payera; à l'atelier où on le paye moins qu'un ouvrier ordinaire, il préfère un atelier où il sera traité comme compagnon. Il devrait être passible d'une peine, mais la responsabilité en pareil cas est presque toujours illusoire. Retrouver la trace du fugitif dans une grande ville est souvent impossible. Le maître a bien son recours contre les parents; mais quels dommagesintérêts demander à des gens qui suffisent à peine aux besoins de leur existence?

Le remède à ce mal déplorable serait peut-être d'étendre à l'apprenti l'obligation du livret. Le livret est pour l'ouvrier le certificat honorable de sa moralité et de sa capacité, un moyen certain de lui assurer du travail et une protection. Le livret ne

serait-il pas pour l'apprenti la garantie de la fidélité au contrat passé avec le maître, et plus tard une recommandation aux yeux de ceux qui l'emploieraient comme ouvrier? L'étroite observance des contrats d'apprentissage serait un bien social. L'enseignement technique au premier degré ne serait plus, comme trop souvent, une fiction.

Quant au projet de loi sur l'organisation spéciale d'un enseignement technique professionnel, il est intéressant de constater que la commission de la Chambre a proposé de le remplacer par l'inscription, au budget du département du commerce, d'une somme déterminée, destinée à encourager en France cet enseignement, abandonné, d'ailleurs, à l'initiative individuelle. Elle a pensé qu'il suffirait de la liberté donnée à tous et de l'encouragement décerné aux méritants. Les institutions libres seront plus hardies, moins routinières, plus attentives au progrès; elles profiteront de toutes les découvertes de la science, de tous les perfectionnements de l'art. Tantôt des associations fonderont des écoles pratiques, destinées à tel ou tel corps d'état; tantôt les travailleurs de telle ou telle profession prieront quelqu'un d'entre eux de les initier aux secrets de son expérience. Les cours se fonderont en s'inspirant naturellement des besoins de l'industrie locale. Toutes les convenances, tous les besoins réels, auront leur satisfaction; l'initiative privée fera vite et bien ce dont l'État viendrait mal à bout. Les individus, les associations, les communes, les chambres de commerce, les conseils généraux, etc., sauront bien trouver partout ce qu'il y a de mieux pour organiser leçons, cours, ateliers, conférences, pour déterminer la méthode, pour choisir le professeur. Quant au gouvernement, qu'il reste dans son rôle qu'il patronne, qu'il surveille, qu'il excite, qu'il encourage, qu'il récompense, qu'il n'intervienne que là où l'initiative personnelle fera défaut.

L'enseignement technique n'est, du reste, pas susceptible d'être réglementé d'après un plan uniforme. Il serait à la gêne entre les lignes droites d'un ordre symétrique. Sa variété est

infinie, et il a besoin d'une entière liberté d'action. Il prend dans chaque contrée, dans chaque ville, dans chaque atelier, le caractère qu'exige la nature même de l'industrie locale. Il ne se substitue point à l'atelier, il en est le développement et l'auxiliaire. La meilleure école technique sera toujours, comme on l'a dit, un bon atelier; mais un bon atelier aura toujours besoin d'être complété par un enseignement technique.

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L'État doit favoriser le développement de cet enseignement sous toutes ses formes écoles de dessin, écoles professionnelles, ateliers d'apprentissage, cours du soir, pour l'application des mathématiques aux arts et à l'industrie, cours de chimie et de physique appliquées aux arts industriels. et en particulier à la teinture, ouvroirs municipaux, ouvroirs de charité, ouvroirs annexés aux hospices, aux écoles communales de filles, etc. Mais cet enseignement existe déjà en France. Notre pays possède, sur un grand nombre de points, des institutions, les unes anciennes et florissantes, d'autres récemment fondées, mais qui grandissent, toutes nées de nécessités locales et répondant heureusement à leur objet. L'enseignement technique secondaire est, d'ailleurs, virtuellement contenu dans l'enseignement secondaire spécial. N'oublions pas non plus que l'État entretient des écoles d'arts et métiers à Aix, à Angers et à Châlons; qu'une foule d'autres écoles concourent au même but, et qu'au sommet s'élèvent l'École centrale et le Conservatoire des Arts et Métiers.

22. Lois qui protégent l'industrie manufacturière.

Poids et mesures.

Livrets, Coalitions d'ouvriers.

Au nombre des lois d'organisation intérieure dont l'objet est de protéger l'industrie manufacturière, on peut ranger les

dispositions relatives à l'établissement du système métrique déci mal des poids et mesures, aux livrets d'ouvriers, aux livrets de compte exigés dans certaines industries, à l'organisation du travail dans les manufactures, aux coalitions des patrons ou des ouvriers, aux conseils de prud'hommes '.

Poids et Mesures 2. Les marchands ne peuvent posséder que des poids et mesures conformes au système décimal. Dans chaque arrondissement: un préposé public chargé de la vérification des poids et mesures. Forme des poids et matières employées pour leur fabrication, déterminées par des règlements d'administration publique. Le nom qui leur est affecté par le système métrique doit y être marqué distinctement. Les préfets doivent dresser, pour chaque département, le tableau des professions soumises à la vérification. Indication dans ce tableau de l'assortiment des poids et mesures dont chaque genre de commerce doit être pourvu.

Livrets 3. Le livret est une sorte de compte courant de la vie industrielle de l'ouvrier, le journal fidèle de ce qu'il a promis et de ce qu'il a tenu. Il imprime à ses rapports avec le chef d'établissement le sceau de la probité; il atteste la loyauté de l'un, et il affranchit la responsabilité de l'autre

Déer. 27 mai et 6 juin 1848; loi 7 août 1850; décr. 2 mars 1852; loi 1er juin 1853; décr. 16 nov. 1854; décr. 8 sept. 1860; loi 4 juin 1864; Pradier-Fodéré, Précis de droit commercial, seconde édition, p. 472.

2 Décr. 26 mars 1791; loi 18 germinal an III; loi 4 juil. 1837; ordon. régl. 19 avril 1839; loi 10 mars 1851.

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3 Loi 7 mars 1850; décr. 20 juil. 1853; loi 22 juin 1854; décr. régl. 30 avril 1856; décr. 21 juil. 1856. Sur les Livrets, voir: Arnaud, Du livret d'ouvrier; — Du Puynode, Des lois du travail et des classes ouvrières ; — Fix (Th.), Observations sur l'état des classes ouvrières; - Frégier, Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes et des moyens de les rendre meilleures; Levasseur, Histoire des classes ouvrières en France, depuis la conquête de César jusqu'à la révolution française ; — Audiganne, Les populations ouvrières et les industries de la France; - Cretté de Palluel, Des ourriers des houillères. etc.; Deloume, Droits et obligations des ouvriers, sous le point de vue de la loi civile; - Féraud-Giraud, Législation française concernant les ouvriers, etc.; — Rameau, Cours de législation usuelle pour l'instruction professionnelle des ouvriers.

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envers ceux qui auraient précédemment employé le même ouvrier. Les ouvriers de l'un ou de l'autre sexe attachés à des établissements industriels, ou travaillant chez eux pour un ou plusieurs patrons, sont donc tenus de se munir d'un livret, qui leur est délivré par les maires, et, à Paris, par le préfet de police. Les chefs d'établissements ne peuvent employer d'ouvriers qui ne seraient pas porteurs de livrets. Inscription de la date de l'entrée de l'ouvrier dans l'établissement, sur le livret et sur un registre que doit tenir le chef ou directeur. L'ouvrier est dépositaire de son livret qui, visé gratuitement par l'autorité administrative, lui tient lieu de passeport à l'intérieur. Il ne peut être fait sur le livret aucune annotation favorable ou défavorable à l'ouvrier. Les contrevenants à ces dispositions sont justiciables des tribunaux de simple police, encourent une amende, et, suivant le cas, peuvent être punis d'un emprisonnement. Des peines plus graves sont infligées à ceux qui se sont rendus coupables d'avoir fabriqué un faux livret, d'avoir falsifié un livret véritable, de s'être fait délivrer un livret sous un faux nom, ou d'avoir fait usage du livret appartenant à un autre. Le livret énonce le nom et les prénoms de l'ouvrier, son âge, le lieu de sa naissance, son signalement, sa profession, si l'ouvrier travaille habituellement pour plusieurs patrons, ou s'il est attaché à un seul établissement, et, dans ce dernier cas, le nom et la demeure du chef d'établissement chez lequel il travaille ou a travaillé en dernier lieu; enfin les pièces sur lesquelles le livret est délivré. Il est tenu dans chaque commune un registre sur lequel sont relatés, au moment de leur délivrance, les livrets et les visa de voyage.

L'ouvrier est tenu de représenter son livret à toute réquisition des agents de l'autorité. Dans le cas où l'ouvrier est quitte envers le chef d'établissement, celui-ci, lorsqu'il cesse de l'employer, doit inscrire sur le livret l'acquit des engagements.

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