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était étrangère. L'Académie des beaux-arts le choisit comme secrétaire perpétuel, et Halévy a laissé des éloges et des rapports qui sont des modèles de style. Il a du reste longtemps écrit, avec verve, finesse et profondeur, des articles sur son art. Nous citerons, entre autres belles pages, des études sur Cherubini, sur l'organiste Frohberger, sur le Miserere d'Allegri...

Il avait obtenu aussi la succession de Paër, professeur de composition au Conservatoire. Nous donnons à titre de document l'état de ses services dans cette maison et le chiffre de ses appointements. On verra à quel prix l'État paye les leçons de ses maîtres, qui ont souvent une réputation universelle :

RELEVÉ OFFICIEL

HALÉVY

SES SERVICES AU CONSERVATOIRE

Répétiteur de solfège, le 1er avril 1816,

-

en 1817,

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Nommé professeur titulaire de solfège, le 1er janvier 1818, à le 1er janvier 1826, à Professeur d'harmonie et d'accompagnement pratique, en remplacement de M. Daussoigne-Méhul, le 1er avril 1827, à . Professeur de contrepoint et de fugue, en remplacement de M. Fétis, le 1er août 1833, à .

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Professeur de composition, le 1er janvier 1840, en remplacement de M. Paër, å

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300 fr.

500 fr.

800 fr.

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1 000 fr.

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1 500 fr.

2 000 fr.

2 500 fr.

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Fromental Halévy était un philosophe; il s'intéressait, rare chez les musiciens, - aux graves questions de la métaphysique et aux problèmes de la science. Il avouait même que la musique n'était point sa vocation. Sa conversation était nourrie, sérieuse et pleine de charmes. Sainte-Beuve, qui se connaissait en hommes et en talents, a laissé de lui cet éloge:

« Il avait cela de l'honnête homme de La Bruyère, qu'il pouvait causer avec vous pendant tout un dîner, toute une soirée, en vous parlant de tout avec agrément, avec intérêt, et cependant sans vous dire un mot de musique, sans mettre sur le tapis les choses de son métier. Il y avait en lui l'étoffe d'un savant littérateur autant peut-être que d'un grand musicien, et il le montra bien

lorsque dans ses dernières années il eut si peu d'efforts à faire pour être aussitôt un secrétaire perpétuel tout formé, un orateur académique des plus spirituels et des plus avenants 1. »

Les mœurs d'Halévy étaient simples, et son urbanité lui avait conquis toutes les sympathies. Il recevait tout le monde avec bienveillance, sans se laisser rebuter par les importuns.

< Il a tort de demeurer chez lui, disait-on, il devrait demeurer ailleurs. »

Le Nabab, Valentine d'Aubigny, Jaguarita, furent ses dernières œuvres musicales.

Il mourut à Nice en 1862. Il eut ce suprême caprice de demander à son lit de mort à entendre des fragments de la Donna del Lago, de Rossini, et de la Serva padrona, de Pergolèse.

Ce grand musicien eut un jour des velléités politiques. C'était en 1848. On proposait de faire représenter à la Chambre les métiers, les lettres et les arts, par des délégations d'ouvriers, d'écrivains et d'artistes. Fromental Halévy accepta une candidature et prit son rôle au sérieux. Il ne fut pas élu, du reste, mais on le vit suivre assidûment les réunions publiques, et dans l'une d'elles, le 15 avril 1848, son concurrent, l'abbé Deguerry, touché de sa loyauté, vint, lui donner spectacle rare aujourd'hui, l'accolade en présence de tous les électeurs assemblés :

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« Nous servons le même Dieu, dit Halévy, quoique nous ne chantions pas ses louanges dans la même langue. »

ADAM

Adolphe Adam naquit à Paris le 24 juillet 1803. Son père, Louis Adam, était professeur de piano au Conservatoire. Venu d'Alsace, il avait connu Gluck, et il était parvenu sous l'Empire à une situation considérable. On l'appelait le chef de l'école française du piano; c'était le maître à la mode, les célébrités du · temps se retrouvaient dans son salon.

Adolphe Adam était d'une santé délicate, et il fut loin d'être un enfant prodige. A sept ans, il ne connaissait pas ses lettres; il ne voulait surtout pas entendre parler de musique, il déchirait ses

1 Sainte-Beuve.

méthodes de piano. Il a du reste confessé qu'il ne fut jamais bon lecteur. Ses parents, pour le contraindre à travailler, le mirent à la pension Hix, et il y entra avec une telle répugnance, que, vingt ans plus tard, il rêvait encore à sa première apparition dans la salle de classe. Un élève récitait la déclinaison : quivis, quævis, cujusvis, etc., et la barbarie de ces vocables latins l'avait frappé d'une impression ineffaçable. Il ne fit aucun progrès à la pension Hix. On le mit chez M. Gersin, à Belleville.

<< Chez M. Hix, dit-il, je prenais des leçons de piano avec Henry Lemoine, élève de mon père, qui, malgré sa patience, désespérait de faire de moi un musicien. Aussi ne me regretta-t-il pas comme élève. Chez M. Gersin, ce fut sa fille que j'eus comme professeur. C'était une charmante personne; je prenais mes leçons avec plus de plaisir, mais je n'en travaillais pas davantage. Mon goût pour l'improvisation se développait de plus en plus, et le jour de ma première communion j'eus l'aplomb, à vêpres, de monter à l'orgue et d'en jouer assez passablement pour que l'organiste de Belleville ne me mît pas à la porte. J'improvisai pendant vingt minutes, et il m'eût été impossible de lire la plus facile leçon de solfège. »

A la pension Butet, dont on essaya ensuite, il ne donna pas plus de satisfaction à ses maîtres. On le plaça enfin au collège Bourbon, où il fit une assez bonne quatrième.

<< Malheureusement, dit-il, à la fin de l'année, je me liai intimement avec un assez bon élève comme moi, et qui devait devenir un affreux cancre, grâce à notre intimité : c'était Eugène Süe. Nos deux familles se connaissaient d'ancienne date, et cela ne fit que resserrer nos liens d'amitié. Nous nous livrâmes avec ardeur, dès cette époque, à l'éducation des cochons d'Inde. »

Son père, loin de le pousser vers la musique, avait exigé qu'il fit ses études classiques on voit avec quels succès Adolphe Adam était parvenu aux classes d'humanités; il ne montra pas plus de goût pour l'étude du droit. Sa vocation se dessine, il se fait admettre au Conservatoire et suit les cours de Widerkher pour l'harmonie, d'Eler pour le contrepoint, puis de Boïeldieu pour la composition.

A la chute de l'Empire sa famille était tombée dans la médiocrité, et Adolphe Adam dut donner des leçons pour achever ses classes. Il n'obtint, aux concours du Conservatoire, que des succès

insignifiants, et, malgré l'appui de Boïeldieu, il ne put obtenir le prix de Rome.

La conscription allait le réclamer, et il ne se sentait aucun goût pour la carrière militaire. Il veut se faire exempter à tout prix;

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Monument d'Adolphe Adam, à Longjumeau. (M. Fournier, sculpteur.)

il court chez un médecin, qui lui avait soigné autrefois une tumeur au doigt, et qui lui délivre ce certificat peu compromettant :

« Je certifie avoir fait à Adolphe Adam l'opération d'une tumeur au doigt, dont il est parfaitement guéri. »

Adam se tourne d'un autre côté; il va trouver Cherubini, lui expose ses inquiétudes :

« Si vous me faisiez un certificat disant que je donne de grandes espérances...

- Ma tou ne donnes pas dou tout d'espérances, malheureux! » Et Cherubini, condescendant, écrit :

Je certifie que l'élève Adam suit exactement les classes du Conservatoire. »

Malgré le peu de succès de ces stratagèmes, Adam fut réformé. Il entreprit alors un voyage en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Suisse; mais il était incapable d'admirer les beautés de la nature les musées, les œuvres d'art, étaient pour lui lettre morte, et l'auteur du Chalet, qui n'avait rien d'un Tartarin, passa ses journées en Suisse, enfermé dans sa chambre, ne rapportant que des souvenirs désagréables sur les inconvénients du froid et de la neige.

A Genève il fit la connaissance de Scribe, qui fut l'artisan de ses succès. Une première pièce que lui confia le dramaturge, le Batelier de Brientz, sortit de l'obscurité le nom d'Adolphe Adam. Doué d'une facilité extraordinaire, il écrit dix-sept pièces en trois ans Pierre et Catherine, Isaure, Dawivolent, le Chalet, composé en quinze jours, etc. En 1830, pendant les journées de la Révolution, il se fit enrôler comme triangle dans la garde nationale, où il fit mal son service.

Il eut à soutenir, vers cette époque, de rudes assauts de la part des fervents du grand art, qui lui reprochèrent durement d'avoir réinstrumenté à sa fantaisie les pièces de Grétry, d'avoir rentoilé » les chefs-d'œuvre :

Monsieur Adam refait Grétry;
Cette idée est bouffonne,
Grotesque, et de pitié l'on rit.
Il croit rajeunir, il flétrit
Une illustre couronne;
C'est une erreur de son esprit,

Que le public la lui pardonne.

Des épreuves plus douloureuses que ces critiques lui étaient réservées. En pleine vogue, dans l'ivresse du succès, il tomba dans une affreuse misère, et c'est dans cette circonstance qu'il fit preuve d'admirables qualités, de probité, de délicatesse et d'énergie.

Vers 1845, il s'était brouillé avec le nouveau directeur de l'Opéra-Comique, Basset. Ce Basset était vindicatif. Il déclara qu'il

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