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des œuvres de Haydn. Sa vogue s'étend rapidement en Italie, il est célèbre tout jeune; son adolescence est une suite ininterrompue de succès. Directeur de la musique au théâtre San Mosé à Venise, il produit sur commande, avec une fécondité inépuisable, une série d'œuvres charmantes : l'Inganno felice, Tancrède, l'Italienne à Alger, les Turcs en Italie, etc.

Les théâtres de la péninsule se disputent la faveur de répandre ses productions juvéniles, et à vingt ans il peut écrire à sa mère une lettre portant cette suscription :

<< All ornatissima signorina Rossini

« Madre del celebre maestro

<< in Bologna. >>

Il est en même temps d'une grosse jovialité; il se livre au plaisir avec fougue, il ne déteste pas la bouffonnerie et la mystification. On cite cette anecdote entre mille

Le directeur du théâtre San Mosé lui avait donné intentionnellement à mettre en musique un livret absurde. Rossini vit aussitôt qu'il ne pouvait rien tirer d'un pareil sujet, et il se mit à écrire la partition la plus folle du monde. Le jour de la première représentation, le public, ahuri comprend dès l'ouverture qu'il est la victime d'une mystification. Au premier temps de chaque mesure les deuxièmes violons frappent de leurs archets les pupitres de ferblanc. Les voix de basse grimpent en fausset, les ténors rampent dans les parties basses, et Rossini, imperturbable, conduit jusqu'au bout son œuvre hybride, à la grande confusion de l'impresario.

:

Dix-huit mois suffirent au jeune maestro pour composer ces chefs-d'œuvre le Barbier de Séville, écrit en treize jours, et dans lequel il surpassa le vieux Paisiello, Otello, la Cerementola, la Gaza Ladra, Moïse. Il quitta ensuite l'Italie pour se rendre à Londres, puis à Paris, où il fut reçu en triomphe.

Le Siège de Corinthe, joué à l'Opéra en 1826, eut un succès foudroyant. Il est vrai qu'à l'époque des Messéniennes, l'actualité des luttes de la Grèce renaissante contribuait à assurer la réussite d'un ouvrage où l'énergie hellénique était dépeinte en accents si pathétiques. La France s'était attaché le maëstro, qui fit de Paris sa patrie d'adoption. Il avait été nommé inspecteur du chant, et l'Opéra lui avait fait signer un traité très avantageux par lequel il

s'engageait à fournir chaque année un opéra. C'est à ces circonstances que nous devons Moïse, remanié et transformé, le Comte

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Ory (1828), et enfin Guillaume Tell (1829), l'œuvre la plus populaire et la plus parfaite de Rossini.

< Ce dernier ouvrage, dit M. Cavignac, fut accueilli avec stupé

faction par le monde musical tout entier. Rossini avait, en effet, subi une prodigieuse transformation. Ce n'est plus de la musique italienne, c'est de l'art français avec la grâce italienne et la solidité allemande, un style nouveau, en un mot, et tellement intéressant, qu'il fait passer sur les défauts du livret. »

Il se produisit alors ce fait inouï, peut-être sans exemple dans l'histoire de la musique, et qui rappelle la détermination de notre Racine : Après le succès de Guillaume Tell, en pleine force de génie, Rossini, âgé seulement de trente-huit ans, déclara ne plus vouloir écrire, et il tint parole ou presque. Toutes les sollicitations, les prières, les offres les plus alléchantes, furent inutiles. Rossini vécut en rentier et en amateur de la table, car c'était un cuisinier émérite, et il se faisait gloire de ses talents gastronomiques.

Douze ans après Guillaume Tell, comme il passait à Madrid, il reçut auprès d'um religieux, don Varela, un accueil auquel il fut très sensible. Sur un parterre d'un goût exquis, les titres de ses œuvres étaient tracés au moyen de fleurs, ingénieusement disposées. Don Valera lui fit promettre de composer une œuvre religieuse, et Rossini se décida à sortir de son silence pour donner son célèbre Stabat Mater.

S'il avait renoncé au théâtre, il ne pouvait cependant se défendre d'écrire de nombreuses pièces de piano, rassemblées sous le titre de Soirées de Rossini.

Il fit entendre aussi, à l'hôtel de son ami, M. Pillet Will, une Petite messe solennelle, en 1867.

Il mourut en 1868, après avoir connu très jeune toutes les joies de l'apothéose. Il était grand-officier de la Légion d'honneur, commandeur des saints Maurice et Bernard, décoré de la plupart des ordres étrangers, membre de l'Institut, etc.

Nul compositeur n'eut à un plus haut degré l'inspiration spontanée, de premier jet, ni une plus grande abondance d'idées mélodiques. Un de ses amis le surprit un jour au lit composant un duetto, et préférant le recommencer trois fois plutôt que de se lever pour ramasser ses feuillets tombés à terre.

Ce gros homme, heureux de vivre, jovial et narquois, avait des saillies d'une irrésistible gaieté. C'était aussi un pince-sans-rire incomparable.

Un jeune homme avait obtenu, à force de démarches, l'honneur de lui être présenté :

< Maître s'écria l'admirateur maladroit, lorsqu'il fut en présence de Rossini, permettez-moi de baiser la main qui a tracé les sublimes accents de Lucie. ».

Sans se départir de son sérieux :

« Vous vous trompez, reprit le maestro, pas Lucie..., mais la Favorite.

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Oh! oui, pardon, les sublimes accents de la Favorite! »

On sait que Rossini n'est pour rien dans la composition des deux œuvres les plus populaires de Donizetti.

L'influence de Rossini sur l'école française fut indéniable. On a raillé son abus des crescendo et des vocalises, mais nos compositeurs durent puiser à la source intarissable de mélodies du « cygne de Pesaro ». D'autre part, il a gagné, au contact de notre génie, la noblesse, la clarté et le pathétique. Un peu dédaigné aujourd'hui, il survivra par la toute-puissance du génie, comme le Rubens de l'art dont Mozart fut le Raphaël.

MEYERBEER

Rossini! Meyerbeer! quels contrastes entre ces deux hommes également illustres. Tous deux, à la vérité, ont marqué leur passage parmi nous d'une empreinte profonde, tous deux se sont assimilé notre génie, et ont apporté parmi nous les richesses de leurs pays d'origine. Mais quelle différence dans leurs moyens! Quelles oppositions entre leurs carrières !

Giacomo Meyerbeer, le représentant de l'éclectisme caractéristique du XIXe siècle, naquit à Berlin le 23 septembre 1794. Son père était un riche banquier, mais Giacomo et ses deux frères ne se laissèrent pas énerver par la vie facile que leur permettait leur fortune. Le travail est l'excuse de la richesse, la gloire en est la parure; tous les trois, dans des branches diverses, parvinrent à la gloire par le travail. L'un, astronome émérite, a dressé une carte de la lune, couronnée par l'Académie de Berlin; l'autre, Michel, fut un poète remarquable et mourut en 1831; enfin le troisième devait laborieusement s'élever au rang des grands compositeurs de son siècle. Giacomo fut, très jeune, un pianiste de première force; il avait pris des leçons du chef d'orchestre de l'Opéra de Berlin et de Zelter, puis de Clementi. Son seul maître de composition fut,

å Darmstadt, l'abbé Vogler, le théoricien le plus profond de l'Allemagne. L'abbé Vogler avait émerveillé l'Angleterre par un orgue de sa composition; il était conseiller intime de Louis Ier, grand-duc de Hesse. Cet excellent professeur avait deviné le génie de deux de ses élèves Meyerbeer et Weber.

« Si j'avais dû mourir avant d'avoir formé de tels artistes, disait-il, quelle douleur j'aurais ressentie! Il y a en moi quelque chose que je n'ai jamais pu faire sortir et que mes deux disciples réaliseront. Que serait le Pérugin sans Raphaël ? »

C'est pendant les années qu'il passa auprès de l'abbé Vogler, que Meyerbeer composa deux oratorios: Dieu et la Nature (1811), le Vau de Jephté (1812), puis Abiméleck (1815), où s'affirment les qualités et aussi les excès de l'école allemande. Pour assouplir son style il se rend en Italie, où il subit tout de suite l'influence rossinienne. Le Crociato, donné à Venise en 1825, eut un succès considérable. C'était une œuvre tout italienne, farcie des vocalises que l'on aimait de l'autre côté des Alpes. Meyerbeer eut la sagesse de comprendre qu'après le succès de Crociato, il ne pourrait que déchoir s'il s'attardait en Italie. Il passa en France, et bien qu'il ait longtemps résidé plus tard à Berlin, où le retenaient sa charge de maître de chapelle du roi, on peut dire qu'il dut à notre patrie l'éclosion de son génie. Paris représente en 1832 Robert le Diable, et dès lors Meyerbeer est considéré comme un des maîtres de second ordre. Cette pièce marque la deuxième évolution de son talent. Il se dépouille peu à peu de l'italianisme pour acquérir un style vraiment français, nourri cependant de la science allemande. Les Huguenots (1836), le Camp de Struensée (1844), devenu en 1854 l'Étoile du Nord, le Prophète (1849), le Pardon de Ploërmel (1859), l'Africaine, représentée après sa mort, consacrent définitivement sa renommée.

« Je ne ferais pas tant de fautes, disait Rossini, si je me relisais deux fois. >>

Meyerbeer, lui, se relisait et se corrigeait sans cesse; chaque mesure, chaque accord était minutieusement pesé par ce laborieux et scrupuleux artiste, qui dérive de Gluck après être passé par Mozart et par Rossini.

Il allait jusqu'à donner aux musiciens trois versions, écrites, l'une à l'encre noire, l'autre à l'encre bleue, l'autre à l'encre rouge. Puis il choisissait celle qui lui paraissait la plus parfaite, ou

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