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« J'espère bien que vous n'êtes ici qu'en congé et que vous reviendrez à Paris. »

Le 26 février 1806, le Théâtre royal de la porte d'Italie représentait Faniska, et le lendemain le compositeur était proclamé à l'unanimité le « premier musicien de l'Europe ». Profondeur, force, une rare perfection dans les détails, beaucoup de surprises qui émeuvent vivement voilà les qualités que l'on saluait dans ce nouvel ouvrage. Cherubini tomba alors malade et pendant dixhuit mois ne s'occupa plus que de botanique. Lorsqu'il fut rétabli, il partit avec Auber pour le château de Chimay, où l'on exécuta, en 1808, sa Messe à trois voix. Il serait trop long d'énumérer la liste de ses vingt-huit opéras, dont l'un, Pimmalione, fit verser des pleurs à Napoléon, ses treize ouvrages scéniques, ses dix-huit messes solennelles, dont deux messes de Requiem, et la multitude de ses motets, oratorios, hymnes, psaumes, etc... Cherubini affectionnait le genre sacré. Il ne composa pas moins de quatre-vingts O Salutaris; l'un d'eux füt chanté à la messe de mariage de Boieldieu. On lui doit aussi une quantité d'ouvrages didactiques, cent vingt solfèges, un Cours de contrepoint, une symphonie, des quatuors, etc.

Membre de l'Institut, commandeur de la Légion d'honneur, - faveur accordée pour la première fois à un musicien, professeur, puis directeur du Conservatoire, de 1821 à 1841, Cherubini mourut le 15 mars 1842, sans avoir survécu à sa gloire. On lui fit, à l'église Saint-Roch, de grandes funérailles et l'on exécuta sa messe de Requiem.

L'œuvre de Cherubini a été depuis très attaquée. Il serait téméraire de trop la décrier, après les jugements d'un Boïeldieu, qui ne prononçait pas sans attendrissement le nom du maître, après ceux surtout de Berlioz, son ennemi le plus acharné. Il suffit de relire les belles pages des Mémoires de Berlioz, où l'auteur des Troyens parle avec ravissement de la célèbre Marche de la Communion et qualifie de musique angélique ce passage de la messe de Cherubini. On peut donc prévoir que le nom de Cherubini demeurera parmi les plus grands. Sa façon de concevoir la musique religieuse a été critiquée, peut-être avec justice. Il a dramatisé le style sacré, et l'on a pu se plaindre à bon droit, depuis la réformation de Niedermeyer, du caractère profane des moyens qu'il emploie. Il estimait que toutes les ressources de l'orchestre et que

tous les élans de l'imagination devaient être mis en œuvre pour la gloire de Dieu.

Quoi qu'il en soit, on s'accorde à reconnaître en lui un auteur fécond, varié, riche, simple et souvent grandiose.

Comme homme privé, il a laissé la réputation d'un maniaque et d'un bourru. S'il faut en croire Berlioz, il aurait été envieux et féroce pour ceux qui avaient le malheur de lui porter ombrage.

D'autres auteurs, il est vrai, le considèrent comme un « bourru bienfaisant », peu jaloux des succès de ses élèves.

Ne disait-il pas à l'un de ceux qui avouaient n'avoir pas encore vu la Dame blanche:

« Qu'attends-tu donc? Tu attends peut-être qu'elle ait changé de couleur! »

Par exemple, pour obtenir quelque chose de lui, il ne fallait pas se laisser rebuter par sa mauvaise humeur et ses premiers refus. Quand il aura fait le méchant, disait-on, il redeviendra bon. >>

Un jour, un homme lui conduit, pour le faire admettre au Conservatoire, un enfant frêle et mignon, qui avait de merveilleuses dispositions pour le piano. Le père et le fils se tenaient, tremblants d'émotion, dans un corridor que Cherubini prenait chaque matin pour aller inspecter les classes. Le père avait une taille de colosse, ce qui formait un contraste comique avec la petitesse et la gracilité du petit prodige.

Cherubini passe, sombre et sévère :

« Que voulez-vous?

-Vous demander de bien vouloir entendre au piano mon fils, que ses professeurs...

-Je ne prends pas d'enfants en nourrice... »

Et le maître s'éloigne.

Le père ne se laisse pas démonter; il conduit son fils dans une salle voisine et l'enfant prélude sur un piano. Quelques instants après Cherubini rentre dans la salle, ravi et adouci. Il pose au petit garçon quelques questions, lui donne amicalement une tape sur la joue et le reçoit au nombre des élèves.

«Je me suis bien gardé de pousser plus loin l'interrogatoire, dit-il à ceux qui l'accompagnaient, car le bambin allait me prouver qu'il en savait plus que moi. »

Le moindre mérite de Cherubini n'est pas celui d'avoir donné

à plusieurs de ses disciples la recherche de la distinction et de la grandeur, qualités qu'il tenait de son maître Sarti, auquel il fut toujours reconnaissant :

« C'est par les conseils et les exemples de ce grand maître, avouait-il, que je me suis formé dans le contrepoint et dans la musique religieuse et dramatique. >>

Au reste, il ne cessa d'étudier et de relire les classiques. Dans un âge avancé et en pleine possession de son talent, il répondait à sa femme, qui s'étonnait de le voir copier des volumes de Marcello et de Clari:

« Il y a toujours à apprendre. »

Et il pratiquait lui-même, par l'étude incessante des règles et des ouvrages didactiques, l'excellent conseil qu'il donnait à ses

élèves :

« C'est en s'asservissant d'abord à la sévérité, qu'on parvient à éviter ensuite l'abus des licences. >>

MÉHUL

Lesueur et Cherubini se rapprochent de Gluck mieux encore que ses devanciers, Méhul rappelle ce modèle inimitable. Avec l'auteur de Joseph, l'opéra-comique atteint la même élévation de style que le grand opéra et ne s'en distingue que par la substitution du dialogue parlé au récitatif. Auber, Adam, Nicolo, Boïeldieu même, ravaleront le genre que Méhul avait cherché à idéaliser par la poésie et l'émotion, et il nous faudra arriver au drame lyrique moderne pour trouver l'aboutissement de tendances considérées longtemps à tort comme antipathiques au goût français. Méhul a eu la bonne fortune de satisfaire à la fois les idolâtres de la vieille formule d'opéra-comique et de trouver grâce devant les partisans de la nouvelle école.

Givet est une petite ville accorte, aimable, d'un aspect souriant et gai, et, quoiqu'elle soit devenue place de guerre, elle est peu fréquentée. Le rare voyageur qui la traverse s'arrête quelques instants devant la statue d'un jeune homme représenté debout, bien campé, dans une noble attitude; le visage est pensif, le corps plein de mouvement. C'est l'hommage que la ville natale a rendu au plus célèbre de ses enfants.

Maurice-Thiéry Méhul naquit en effet à Givet en 1763, de parents pauvres. Son premier maître de musique fut un organiste aveugle du couvent des Récollets. L'élève fit de tels progrès, qu'à l'âge de dix ans, lorsqu'il remplaçait à l'orgue son professeur, les fidèles désertaient l'église principale pour venir l'entendre. Hauser, moine de l'ordre des Prémontrés et savant musicien, emmena le jeune artiste au couvent de Laval-Dieu, où il avait fondé une petite école de musique composée de huit élèves. Méhul resta quatre ans sous la direction d'Hauser et n'eut jamais d'autre maître.

« Ceux qui s'intéressaient au jeune Méhul, dit l'abbé Bouillot, pensèrent qu'il ne pourrait être mieux formé que par cet homme habile. Il dut à leurs sollicitations d'être admis dans son école en 1775. L'abbé de cette maison le reçut au nombre de ses com

mensaux. >>

L'abbaye était riche et dans un site magnifique, de l'autre côté de la Meuse, au confluent de la Semoy.

< Rien, dit Fétis, ne pouvait être plus favorable aux études du jeune musicien que la solitude où il vivait. Placée entre de hautes montagnes de l'aspect le plus pittoresque, éloignée des grandes routes et privée de communication avec le monde, l'abbaye de Laval-Dieu offrait à ses habitants l'asile le plus sûr contre d'importunes distractions. Un site délicieux, sur lequel la vue se reposait, y élevait l'âme et la disposait au recueillement. Méhul, qui conserva toujours un goût passionné pour la culture des fleurs, y trouvait un délassement de ses travaux dans la possession d'un petit jardin qu'on avait abandonné à ses soins. D'ailleurs il n'éprouvait pas la privation de toute société convenable à son âge. Hauser, qui aimait à parler de l'art qu'il cultivait et enseignait avec succès, avait rassemblé près de lui plusieurs enfants, auxquels il donnait des leçons d'orgue et de composition, circonstance qui accélérait les progrès du jeune Méhul par l'émulation et qui lui procurait un délassement utile. Il a souvent avoué que les années passées dans ce paisible séjour furent les plus heureuses de sa vie. »

Dans le parc immense de l'abbaye, à l'ombre des chênes, des hêtres, des cèdres, au bord de l'étang ou du petit ruisseau qui actionnait un moulin; devant les vertes et réjouissantes prairies, Méhul ne rêvait pas la gloire mondaine : il voulait devenir religieux. Malheureusement ses parents n'avaient pas eu le moyen de lui faire apprendre le latin et sa santé était très précaire. Un jour

il dut jouer pour la dernière fois sur l'orgue de la chapelle où l'on voit encore aujourd'hui cette inscription gravée sur une plaque de marbre:

MÉHUL A TOUCHÉ SUR CET ORGUE

SOUS LE PÈRE HAUSER

MOINE ET ORGANISTE DE LA VAL-DIEU

Un colonel, qui se rendait à Charleroi, parla à l'enfant de Paris et de ses séductions. L'imagination de Méhul s'exalta à ce récit; il quitta la solitude heureuse et, muni d'une recommandation de l'abbé Lissoir, il s'achemina, comme tant d'autres, vers la capitale. Le voici donc

Dans ce Paris plein d'or et de misère,

avec son immense confiance pour seule richesse. Ses jours furent douloureux. La musique faisait oublier la faim, et, pour avoir la joie d'entendre une pièce de Gluck, l'adolescent avait l'audace de se faufiler en fraude dans un théâtre, de passer onze heures tapi sous une banquette, transi de froid, jusqu'au jour où, sa ruse étant découverte, il obtint de Vestris la plus grande des faveurs : ses entrées gratuites!... Il voulut alors connaître Gluck, et bravement il alla sonner à sa porte. La femme du maître le reçut :

« Mon mari travaille, lui dit celle-ci, et quand il travaille, il interdit sévèrement sa porte à tout le monde, même à moi.

-Oh! si je pouvais seulement le voir sans le déranger, sans lui parler! >

Cette insistance émut Mme Gluck, qui permit à Méhul de se cacher derrière un paravent, dans le cabinet de travail de son mari. Alors l'enfant vit un singulier spectacle: Gluck tapait comme un sourd sur son clavecin. Autour de lui, des fauteuils, des chaises, des poufs figuraient une scène, avec les coulisses, les personnages. De temps à autre, Gluck, fredonnant un air de ballet, faisait avancer une chaise, en reculait une autre, pour figurer le jeu de ses héros, leurs révérences et leurs glissades. Mécontent sans doute de la docilité de ses personnages, il donna soudain un violent coup de poing: le paravent tomba et Méhul fut découvert. Gluck fut touché de son subterfuge et il s'occupa d'un admirateur aussi fervent.

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