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de la couleur. Jamais il n'aurait pu produire comme Saint-Saëns une œuvre aussi exclusivement musicale de forme et d'idée qu'un quintette ou un trio. Et c'est là ce qui rend précisément intéressante la personnalité du jeune maître français, c'est que, par le talent et le travail, il se soit élevé jusqu'à cette région supérieure de son art où les séductions d'une spécialité essentiellement française auraient pu l'empêcher d'atteindre... Ce qui le distingue, ce n'est ni l'originalité de la pensée, son invention mélodique n'est pas très riche; il lui manque encore davantage la profondeur du sentiment, dont l'absence se fait sentir surtout dans ses adagios; mais il y a partout dans les œuvres de Saint-Saëns de l'esprit, de l'humour, beaucoup de qualités d'apparat, une piquante vivacité d'allure, et, par-dessus tout, ses compositions révèlent une éminente habileté de facture, une facilité extrême à manier indistinctement tous les genres d'expressions musicales '. »

Avant que ses goûts nomades l'eussent entraîné sur toutes les routes du monde, car c'est des îles Canaries ou des oasis perdues dans les déserts de l'Afrique qu'il date ses partitions, Saint-Saëns avait occupé les fonctions d'organiste à Saint-Merry en 1853, puis à la Madeleine en 1858. Il a été aussi professeur d'orgue à l'École de musique religieuse fondée par Niedermeyer.

Cet homme étonnant, qui fut longtemps un admirateur de Wagner, a voulu secouer le joug wagnérien; il a prétendu faire revivre le vieil opéra-comique, et il a écrit Phryné.

<< Mon Dieu, dit-il, l'opérette n'est nullement à dédaigner pour elle-même, et ce n'est pas un genre inférieur en soi; il n'est inférieur le plus souvent que par suite du peu d'habileté des gens qui le cultivent et qui le rabaissent par leur maladresse. Tant qu'il ne s'agit que de trouver un motif sautillant, entraînant même, sur une situation burlesque, ils sont à leur affaire, et la vulgarité de leurs idées, la pauvreté de leur technique, disparaissent dans le mouvement général; mais dès qu'ils abordent une situation moins extravagante et qu'ils doivent montrer un peu de finesse ou même de tendresse, alors l'insuffisance de leur métier éclate à tous les yeux et les fait verser dans les platitudes les plus odieuses. ›

Gounod, ce maître de l'émotion, appréciait Saint-Saëns en ces termes :

1 Ed. Hanslick, la Nouvelle Presse libre de Vienne.

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<< Saint-Saëns est une des plus étonnantes organisations musicales que je connaisse, c'est un musicien armé de toutes pièces; il possède son métier comme personne, il sait les maîtres par cœur, il joue et se joue de l'orchestre comme personne : c'est tout dire. Ce n'est point un pédant, un solennel, un transcendanteux, il est resté trop enfant et devenu bien trop savant pour cela. » Ajoutons que Saint-Saëns est aussi un écrivain aimable, à qui les questions philosophiques ne sont pas étrangères.

MASSENET

Nous arrivons au plus fécond et au plus actif des maîtres contemporains; il n'est que juste d'ajouter que Massenet est celui qui représente actuellement à l'étranger, avec le plus d'éclat, notre école française.

Jules-Émile Massenet, né à Montaud le 12 mai 1842, admis au Conservatoire à l'âge de onze ans, fut d'abord élève de Basin, qui le chassa de sa classe on ne sait pourquoi. Cette mésaventure l'empêcha de travailler pendant cinq ans; mais lorsqu'il entra ensuite dans la classe de Reber, puis dans celle d'Ambroise Thomas, il rattrapa bien vite le temps perdu. Ambroise Thomas fondait les plus grandes espérances sur cet enfant « timide », modeste, qui ne passait pas une classe sans lui apporter quelque nouveau travail. Prix de Rome en 1863, Massenet fit exécuter à son retour une fantaisie Pompeia, et voici comment l'appréciait un journal de l'époque. On verra jusqu'à quel point ses prédictions se sont réalisées :

« M. Massenet, prix de Rome de 1863, n'a pas parcouru en vain la terre classique des arts; il en a rapporté une fantaisie symphonique intitulée Pompeia, dans laquelle il a essayé de retracer quelques scènes antiques. Les quatre morceaux dont elle se compose pourraient être signés Berlioz; on y retrouve la touche vigoureuse de ce maître, l'horreur des lieux communs qui le fait quelquefois tomber dans l'étrange; et tel dessin d'orchestre, tel duo d'instruments à vent rappelle, sans y ressembler pourtant, les danses puniques des Troyens à Carthage. On conçoit que la coupe ordinaire des morceaux symphoniques n'était pas ici de mise; il ne

faut pas chercher dans cette évocation du fantôme de la vieille Italie des développements selon les règles, des motifs revenant à la place voulue, des modulations prévues : c'est une description, un programme suivi pas à pas, avec des accents tantôt grandioses, tantôt naïfs, quelquefois exagérés dans leur expression, mais toujours vrais. Nous avons été frappé de l'habileté de l'instrumentation, vraiment surprenante chez un jeune homme de cet âge,

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que le sentiment doit guider plus encore que l'expérience. M. Massenet est d'ailleurs un musicien consommé, et un de nos plus habiles pianistes. Après un pareil début, nous sommes en droit d'attendre d'une organisation aussi heureuse des travaux sérieux d'un autre ordre, qui, nous en avons la conviction, lui assigneront une place honorable parmi les compositeurs contemporains1. >

1 Revue et gazette musicale.

La liste de ses productions, qui s'allonge sans cesse, tiendrait plusieurs pages de ce volume. Nous devons nous borner à citer les plus célèbres: Don César de Bazan, trois actes (1872); les Erynnies, magnifique commentaire musical de la belle tragédie de Leconte de l'Isle (1873); Eve, mystère (1875); le Roi de Lahore (1877); Manon (1884); le Cid (1885); Esclarmonde (1889); le Mage (1891); Werther (1892); Thaïs (1894); le Portrait de Manon (1894); la Navarraise (1894); sept suites d'orchestre, Biblis, Narcisse; de nombreux recueils de mélodies, universellement célèbres Poèmes d'Avril, Souvenir d'octobre, Pastorale d'hiver, etc. etc. Il a composé également des Scènes hongroises, des Scènes dramatiques, d'après Shakespeare, une messe de Requiem, etc.

Massenet est inégal, et ses ouvrages ont eu des fortunes diverses. Il compose peut-être trop hâtivement, avec une sorte de fièvre; il subit aussi avec trop de docilité les entraînements de l'école wagnérienne, mais son œuvre abonde de jolis détails; une nervosité maladive, mais aussi un charme réel s'épanchent de ces partitions palpitantes de vie. Massenet, qui est membre de l'Institut, a été longtemps professeur de composition au Conservatoire, ой il a formé des élèves pleins de promesses.

Ce qui ne gâte rien, Massenet a conservé la modestie de sa jeunesse, et c'est un homme d'une grande affabilité.

REYER

Ernest Reyer, né à Marseille le 1er décembre 1823, fut pendant six ans élève de l'École de musique de cette ville. Il reçut aussi des leçons d'une de ses tantes, Mme Farrenc, musicienne remarquable. Malgré ses dispositions pour la musique, il dut entrer en qualité de commis dans les bureaux du trésorier d'Alger. Il devint bientôt l'âme des salons pour son talent de pianiste. En 1848 il fit exécuter à Alger une messe dédiée au duc d'Aumale. Cette œuvre fut appréciée, et Reyer vint à Paris, où il fit la connaissance de Théophile Gautier. Ce grand poète lui fit écrire la musique d'une ode, le Selam (1850). Maitre Wolfram, joué au

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