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à la chienlit », de « musique en haillons ». La postérité a été plus dure encore. Écoutez Fétis:

< Offenbach offre l'un des exemples les plus prodigieux de la faveur qu'un artiste peut obtenir du public, même lorsqu'il ne

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respecte ni l'art, ni lui-même, ni ce public, et qu'il se borne à flatter les instincts les plus grossiers de la foule. Ce musicien, chez lequel une certaine adresse de main ne saurait masquer une ignorance profonde de l'art d'écrire, occupe cependant la scène depuis près de vingt-cinq ans; il s'est fait jouer sur dix théâtres de Paris, et a joui d'une vogue que, sans exagération, on pourrait qualifier de scandaleuse. »

XI

ÉDOUARD LALO. DELIBES. GUIRAUD. CHABRIER BENJAMIN GODARD

On se rappellera longtemps l'épouvantable incendie qui anéantit, en mai 1887, l'Opéra-Comique de la place Favart, et où périrent la plupart des spectateurs accourus pour applaudir le Mignon d'Ambroise Thomas. Le lendemain de ce sinistre, tout Paris défila devant les cendres fumantes, d'où l'on retirait les cadavres confondus. La responsabilité du directeur de l'Opéra-Comique, M. Carvalho, fut recherchée; on se demanda, trop tard comme toujours, - si toutes les précautions ordonnées en prévision d'un sinistre avaient été prises, et il se trouva que l'administration du théâtre dut s'avouer grandement coupable. Bref, M. Carvalho se retira pour quelques années, et la direction du nouvel OpéraComique, installé provisoirement place du Chatelet, fut confiée à M. Paravey.

Il est probable que sans cette catastrophe Édouard Lalo n'aurait pas connu, sur la fin de sa vie, les joies de la popularité. Son nom, qui marquera une date importante dans l'histoire de l'évolution de l'opéra-comique en France, était ignoré de la foule. Il avait alors soixante-quatre ans, et depuis longtemps il luttait avec un courage juvénile contre l'indifférence de ses contemporains.

Un grand nombre des décors, des accessoires et des partitions des ouvrages en vogue place Favart ayant été détruits dans l'incendie, M. Paravey songea à monter une nouvelle pièce. Il choisit

le Roi d'Ys, que Lalo avait en portefeuille depuis plus de dix ans. En 1877, les concerts populaires et ceux du Conservatoire en avaient fait entendre l'ouverture, néanmoins le grand compositeur n'avait pu trouver une scène pour produire son chef-d'œuvre. Le Roi d'Ys eut un succès retentissant. Tenu longtemps à l'écart

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pour ses tendances trop avancées en art, et pour la perfection de sa facture trop au-dessus du goût frivole de son époque, Lalo assistait enfin, de son vivant, au triomphe de son œuvre. L'accueil enthousiaste que le public fit au Roi d'Ys assurait la victoire du drame lyrique sur l'opéra-comique suranné et de la poésie sur la grivoiserie.

La Légende de la ville d'Ys a tenté de nombreux littérateurs.

De La Villemarqué, Émile Souvestre, M. Édouard Schuré, ont développé avec talent ce vieux conte de l'Armorique.

Aujourd'hui encore on chante en dialecte sur les landes de Cornouailles la complainte suivante :

« As-tu entendu, as-tu entendu ce qu'a dit l'homme de Dieu (saint Gwénolé) au roi Gradlon, qui est à Ys:

«

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༥ Ne vous livrez point aux folles joies. Après le plaisir, la douleur ! » « Le roi Gradlon parlait ainsi :

Joyeux convives, il me convient d'aller dormir un peu...

- Vous irez dormir demain matin; demeurez avec nous ce soir; néanmoins qu'il soit fait comme il vous convient. >>

« Sur cela Mylio contait doucement, tout doucement ces mots :

Dahut et la clef.

<< La clef sera enlevée, le puits sera ouvert : qu'il soit fait selon vos désirs. >>

La puissante évocation de la vieille ville celtique engloutie sous les flots fut comme la révélation d'une école poétique, qui devait depuis lutter, non sans avantage, sur la propre scène de l'OpéraComique, contre les fadaises sans rime ni raison de la génération précédente. Le Roi d'Ys avait dès longtemps sa place toute désignée sur l'affiche de l'Opéra. M. Vaucorbeil, alors inspecteur des beauxarts, avait dit :

«La France se déshonorerait en ne jouant pas une pareille merveille ! »

Cependant, lorsque ce même M. Vaucorbeil fut nommé directeur de l'Académie nationale de musique, il se garda bien de recevoir le Roi d'Ys. Tout ce qu'il daigna faire pour Lalo, ce fut de lui commander un ballet. Le ballet fut du reste refusé aussitôt que présenté. Vaucorbeil donna à l'infortuné compositeur trois mois pour écrire la musique d'un nouveau ballet: Namouna. Le pauvre Lalo, surmené et accablé de tant de déceptions, tomba en paralysie. Néanmoins l'ouvrage fut prêt à temps. Autre martyre! Un maître de danses imposa des corrections, prétendit changer les rythmes; bref, Namouna échoua.

Il est évident que le mauvais vouloir des directeurs nous a privé des belles œuvres. dont l'auteur du Roi d'Ys aurait pu enrichir notre scène s'il n'avait eu à lutter, presque jusqu'à ses derniers jours, contre son destin. Né à Lille en 1830, élève d'un Allemand, Baumann, il avait commencé par écrire de la musique de chambre et deux symphonies. Fiesque, opéra en trois actes, reçu à l'Opéra

par M. Perrin, n'y fut pas représenté. Lalo retira sa pièce après une longue attente, et la donna au théâtre de la Monnaie, à Bruxelles. Le directeur, qui l'avait acceptée, donna sa démission, et, comme nous l'avons dit, Lalo dut abandonner l'espérance de se produire sur la scène, jusqu'au jour où le succès du Roi d'Ys vint le dédommager, trop tard de tous ses déboires. Grâce aux concerts, Lalo était, du moins, connu des dilettantes. On avait applaudi sa Rhapsodie norvégienne, son Concerto pour piano, ses Mélodies et son remarquable Divertissement pour orchestre. Édouard Lalo, qui avait épousé en 1865 Mlle Julie Bernier de Maligny, est mort en 1892, au moment où il commençait à jouir du succès si péniblement conquis. Il laissait un ouvrage posthume, la Jacquerie, qui fut terminé par M. Arthur Coquard et représenté à l'Opéra-Comique en 1895. La Jacquerie a plu aux délicats; certaines pages, comme la prière : C'était la Mère de Dieu, ont fait le tour des salons, et les musiciens ont été unanimes à louer les nombreuses beautés d'expression dramatique et de détail répandues dans cette pièce d'une haute portée sociale.

DELIBES

Enfant de la Sarthe, Léo Delibes fut l'élève d'Adam au Conservatoire. Il hérita de son maître le « faire » facile, rapide et ingénieux. Né le 21 février 1836, sans fortune et obligé de gagner sa vie, il fut d'abord enfant de choeur dans plusieurs églises de la capitale ; devenu bon pianiste, il entra comme troisième, puis comme deuxième accompagnateur au Théâtre - Lyrique. Il conserva cet emploi pendant plusieurs années, et ne l'abandonna que pour passer à l'Opéra en qualité de chef des chœurs, position qu'il occupa conjointement avec Victor Massé. Il n'avait pas vingtcinq ans, que déjà il avait fait représenter un premier ouvrage sur un petit théâtre, devenu depuis le théâtre Déjazet. Il donna ensuite plusieurs opérettes aux Bouffes-Parisiens, alors que ce théâtre était dirigé par Offenbach; il fit représenter deux ou trois ouvrages au Théâtre-Lyrique, et enfin écrivit deux ballets pour l'Opéra. C'est dans ce genre qu'il a pris son essor et gagné une rapide popularité. La Source, Sylvia, sont des œuvres gracieuses et

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