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château de Lusignan, construit, disent les légendes, par la fée Mélusine, il gouverne la province plutôt en souverain indépendant qu'en officier du roi. En 1586, le chef de la maison, Claude de la Trémoïlle, embrasse le calvinisme; il suit Henri IV à Coutras, à Ivry, aux siéges de Paris et de Rouen. Son fils Henri commande en Italie et revient au catholicisme. On ne peut qu'énumérer ces illustrations militaires, à moins de refaire le travail de M. le duc de la Trémoïlle. Les illustrations d'une autre nature ne manquèrent pas à cette famille. Un la Trémoïlle est mort membre de l'Académie française; la princesse des Ursins était née de la Trémoïlle. La seule liste des alliances de cette maison révèle la place qu'elle occupait: Sully, Amboise, Périgord, Auvergne, Chabannes, Bourbon - Montpensier, la Rochefoucauld, Borgia, Orléans-Angoulême, Foix, Montmorency, Bourbon-Condé, Nassau, Saxe-Weymar, la Tour-d'Auvergne.

Autour de chacune de ces biographies, qui n'ont que le défaut d'être racontées en termes trop succincts, M. le duc de la Trémoïlle groupe d'intéressants documents historiques. Nous avons remarqué de charmantes lettres de Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre, de Jeanne d'Albret et de Henri IV, où se dessinent ces trois grandes figures du seizième siècle. Plusieurs pièces ajoutent des détails nouveaux à l'histoire de certains événements, notamment à l'histoire de la campagne du Milanais sous Louis XII, de la guerre civile en Poitou pendant le règne de Henri III, de l'empoisonnement de Henri de Bourbon, prince de Condé, du siége de la Rochelle par Louis XIII, etc... D'autres peignent la vie de la haute aristocratie au temps où elle rendait de si nombreux services. Le seizième siècle est représenté avec éclat, aussi bien par le nombre que par l'intérêt des documents publiés. On sent que l'éditeur a fait un choix, et qu'il a voulu donner à chaque homme, à chaque fait, l'importance qu'il mérite. Trois tables détaillées mettent le lecteur à l'abri de tout embarras, et lui permettent de retrouver promptement l'objet de ses recherches.

Dans un précédent ouvrage, publié il y a trois ans, M. le duc de la Trémoïlle avait montré la qualité de son érudition; dans le beau livre qu'il consacre aujourd'hui à ses annales domestiques, il prouve que, si ses ancêtres ont su faire l'histoire, ils ont trouvé dans leur descendant un historien digne d'eux.

Baron Alphonse DE RUBLE.

265. VUITRY (Adolphe). Études sur le régime financier de la France avant la Révolution de 1789. - Les impôts romains dans la Gaule, du ve au x° siècle; le régime finan

T. XIV, 1877.

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cier de la monarchie féodale aux xre, xne et xmre siècles. In-8, xx-540 p. Paris, Guillaumin.

Nous avons déjà eu l'occasion de rendre compte ici-même de deux fragments du livre de M. Vuitry; aujourd'hui que ce remarquable travail, d'une portée si utile, se présente dans son ensemble, nous laisserons de côté la première partie, sur la transformation des impôts romains, qui est l'un des deux fragments en question, et nous ne nous occuperons que de la seconde partie, de beaucoup la plus considérable, ayant pour sujet le régime financier de la France sous les premiers Capétiens, jusqu'au règne de Philippe le Bel.

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A la fin du dixième siècle, dit l'auteur dans son avant-propos, la révolution de 987, en élevant au trône l'un des grands feudataires du royaume, vient donner une consécration légale à l'établissement de la féodalité, et, pendant plus de trois cents ans, quel que soit le développement du pouvoir royal, la monarchie reste entièrement et absolument féodale. Le régime de ses finances est tellement inséparable des institutions politiques et civiles, que son étude ne peut se renfermer dans les limites d'un travail exclusivement financier pour comprendre et pour faire comprendre le système fiscal encore en vigueur et les formes si simples de l'administration, il faut connaitre et faire connaitre l'état social qu'a créé la règle des fiefs; la condition des personnes et des terres; le principe et l'étendue de la puissance seigneuriale; les droits encore incertains et mal définis de la royauté. La couronne n'a pas d'autres ressources que les produits de son domaine; l'histoire de ce domaine est celle des événements politiques, et son extension est le seul fait financier important d'une époque (de 987 à 1285) qui a pour caractère principal de ne comporter encore ni contributions ni dépenses publiques. » — - Les deux premiers chapitres sont donc consacrés à une exposition préalable du régime général de cette féodalité, constituée sur trois bases: la propriété territoriale, l'hérédité, le droit d'aînesse; et l'auteur nous montre, en quelques traits, chaque seigneur, plus ou moins puissant, exerçant à des degrés variables les droits régaliens, donnant des lois, faisant la guerre, rendant la justice, percevant tributs et redevances, exigeant des services personnels. C'est cet ordre de choses que consacra l'avénement de HuguesCapet, mais en rendant à la royauté, par l'apport personnel du duc de France, une puissance matérielle, et aussi un crédit moral que les derniers carlovingiens lui avaient laissé perdre. La « cour

1. Année 1874, p. 175-176, les Impôts romains dans la Gaule; année 1876, p. 244-245, les Monnaies et le régime monétaire de la monnaie féodale.

du roi, ce premier conseil unique dont les transformations successives marqueront chacune des étapes de l'organisation nouvelle, commence par n'être autre chose que la cour seigneuriale du duc de France; puis ses attributions s'étendent peu à peu, par la force des choses, jusqu'à prendre connaissance des recours formés par les vassaux des grands feudataires, ou des contestations qui s'élèvent entre les grands feudataires eux-mêmes.

C'est également par l'extension de leur domaine personnel que les nouveaux rois préparent l'établissement définitif de la monarchie française. En 1202, Philippe-Auguste ne possédait encore qu'un territoire à peine égal à nos cinq départements de Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Oise et Loiret, divisé en trentehuit prévôtés domaniales; c'est un de ses plus beaux titres de gloire d'avoir porté le nombre de ces mêmes prévôtés à quaranteneuf.

Après avoir étudié le travail lent de l'accroissement territorial pendant les trois premiers siècles de la dynastie capétienne, M. Vuitry détaille les revenus du roi et leurs éléments divers, << dont la réunion, dit-il, a été l'œuvre du temps, et non le résultat d'une organisation systématique et rationnelle. » Il passe successivement en revue les redevances perçues directement sur les terres et les personnes, sous la forme de cens et de champarts, de tailles et de dimes; puis, les droits domaniaux et régaliens de mutation, d'amortissement, de déshérence, d'aubaine, de régale; les produits du domaine, des mines, des forêts, de la pêche; les émoluments provenant de la justice, droits de greffe, amendes, taxes fiscales. A propos de ces taxes, il fait une digression intéressante sur la condition sociale des Juifs. Il traite ensuite des impôts indirects sur la consommation, sur les marchés, sur les transports, entraves multiples qui étaient la conséquence inévitable d'une infinie subdivision de l'autorité et du pouvoir. Dans la même catégorie sc rangent aussi les droits sur l'importation ou l'exportation, qui ne laissent entrevoir aucune tendance à un système économique quelconque; ce n'est toujours qu'une perception purement fiscale, et M. Vuitry fait remarquer avec raison qu'il n'y a pas lieu non plus de chercher aux produits des droits locaux de péage, de travers, etc., une destination analogue à celle de nos octrois municipaux, ni de demander aucune régularité dans la désignation des objets imposés, dans la fixation des tarifs ou dans le mode de perception. Purement fiscales aussi, et non moins écrasantes sont les charges qui pèsent sur le commerce et l'industrie, comme le hauban, les taxes des métiers, les droits de pesage et de mesurage. Pour lui-même, le seigneur féodal se réserve le monopole des industries de première nécessité, la propriété exclusive des moulins, fours et pressoirs banaux, le droit

de fixer les époques de vendange et de moisson, le privilege de vendre le vin de ses vignes avant tout le monde.

Après avoir terminé cette étude des revenus ordinaires par l'examen de certains droits d'origine antique, comme la procuration ou gîte et la prise, et des services personnels dus par les vassaux, corvées ou service militaire, M. Vuitry passe aux revenus extraordinaires. D'abord, l'aide féodale, dont l'importance varie selon l'occasion, mais qui, pour le roi lui-même, conserve le caractère d'un secours temporaire levé en argent, par le seigneur, sur la population de sa seigneurie. « Cependant, c'est de ce subside extraordinaire que la couronne, dans la suite des temps, est parvenue à faire sortir à son profit l'impôt royal. » Aussi l'auteur examine-t-il avec soin comment le droit d'aide pouvait s'exercer de fief en fief jusqu'à ce dernier arrière-vassal que Guizot a appelé la molécule intégrante de la féodalité. » Et il conclut en ces termes: C'est de l'aide féodale que sortira l'impôt royal; mais il n'en sortira qu'après une longue lutte que la royauté, qui était en même temps la suzeraineté la plus élevée, sera obligée d'engager avec les suzerains d'un ordre inférieur et les vassaux de ceux-ci, et d'autre part avec les roturiers et les bourgeois, les uns relevant immédiatement de chacun de ces seigneurs et médiatement du roi, les autres constitués en communes. Cette lutte, qui se poursuivra pendant plus d'un siècle, à travers tous les désastres de la guerre de Cent ans, fera apparaître la nécessité de demander et d'obtenir le vote des subsides publics. Mais par qui seront-ils votés? Quand, à l'origine, vers le milieu du quatorzième siècle, le clergé, la noblesse et les mandataires des communes eux-mêmes seront appelés à intervenir, sera-ce parce qu'ils sont les représentants des contribuables? Ne sera-ce pas plutôt parce qu'ils sont les seigneurs de ces contribuables, parce qu'ils ont, suivant la règle des fiefs ou suivant les chartes des communes, la prérogative de leur imposer l'aide féodale, et qu'il s'agit d'en abandonner l'exercice à la couronne, qui devra quelquefois en partager avec eux le produit, et plus souvent au moins ne pas leur en faire supporter la charge? Il suffit, quant à présent, de poser la question... »

Enfin viennent les décimes ecclésiastiques, qui seront plus tard transformées en don gratuit et régulier du clergé.

Tel est l'ensemble des ressources que le prince tire de son royaume; mais ce n'est pas comme roi, c'est comme seigneur, nous répète encore M. Vuitry, c'est comme possesseur ou suzerain de fiefs.

L'étude de matières aussi diverses et de questions aussi considérables en elles-mêmes a entraîné fort loin l'auteur du Régime financier; mais il lui reste encore à exposer la contre-partie, c'està-dire à faire connaître quelles étaient les dépenses du roi, ordi

naires ou extraordinaires; quels agents il employait, prévôts, baillis, sénéchaux, sergents, forestiers, etc., pour administrer ses revenus; comment la centralisation des recettes s'obtint petit à petit, quelle était la comptabilité de ces opérations, à quel contrôle elles furent soumises, et enfin quelles données on peut recueillir sur les chiffres des recettes et des dépenses. Tel est l'objet des derniers chapitres du livre que nous venons d'analyser beaucoup trop sommairement à notre gré, car le sujet est d'une importance capitale pour l'étude des époques auxquelles notre Société a consacré une partie de ses meilleures publications, et, en s'attaquant précisément à des siècles sur lesquels l'obscurité a si longtemps persisté, M. Vuitry s'est montré plus apte que personne à discerner les caractères propres de ces temps si mal connus, et à retrouver jusque dans les institutions primitives de la féodalité les principes et les germes de notre organisation administrative et financière.

FIN DU QUATORZIÈME VOLUME.

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